vendredi 30 mai 2008

A la tête du Majlis iranien, Ali Larijani se pose en anti-Ahmadinejad

La bataille pour l'élection présidentielle de 2009 en Iran est-elle déjà lancée ? En tout cas, pour les derniers mois de son mandat, le président iranien, le fondamentaliste Mahmoud Ahmadinejad, va devoir affronter une fronde aussi inédite que généralisée face au nouveau Parlement (Majlis) issu des élections législatives de mars, remportées pourtant à plus de 60 % par les conservateurs.

Pénalisé par sa gestion populiste de l'économie qui se traduit par une inflation à 24 % et par un certain mécontentement devant ses diatribes jusqu'au-boutistes sur le nucléaire qui ont isolé le pays et lui ont valu trois séries de sanctions internationales, le président est critiqué dans son propre camp.

Son parti ("La Bonne odeur de servir") n'a obtenu qu'un faible score aux élections (10 %). De plus, les différents courants qui composent la majorité conservatrice viennent d'infliger un camouflet à M. Ahmadinejad en s'unissant pour écarter le candidat qu'il proposait et faire élire à la tête du Parlement son ancien rival à la présidentielle de 2005, l'ex-négociateur en chef du dossier nucléaire, Ali Larijani.

Dès son premier discours, devant les députés, mercredi 28 mai, M. Larijani a marqué son terrain : "Il faut une gestion saine de l'économie car c'est le principal problème dont souffre la population", a-t-il déclaré, exprimant son souhait de voir s'opérer une "mise en ordre économique" dans laquelle "le Parlement doit être actif et guider l'action du gouvernement". " Le nouveau président du Majlis s'est clairement positionné en contre-poids politique au populisme de M. Ahmadinejad dans la perspective de l'élection de 2009, explique Ahmad Salamatian, ancien député démocrate d'Ispahan. Il va tenter, en quelque sorte, de mettre la gestion du gouvernement sous tutelle parlementaire."

RECENTRAGE PARLEMENTAIRE

Peut-il y arriver, dans un système où le Parlement a longtemps servi, comme le confie un diplomate iranien, "d'alibi républicain et démocratique plus que de centre réel de décision" ? "Ce n'est pas impossible, dit encore M. Salamatian, le mécontentement est tel, en tout cas sur l'économie, que M. Larijani peut compter sur l'appui des députés conservateurs critiques, le soutien tactique des partisans de l'ancien président Rafsandjani et la neutralité, pour l'instant, bienveillante des réformateurs."

De plus, dans son premier discours, M. Larijani a pesé ses mots. Ils faisaient référence à une intervention, quelques heures plus tôt, du guide suprême, l'ayatollah Khamenei, arbitre par excellence de la politique iranienne, qui incitait le gouvernement à "ne pas violer les règles et les lois du Parlement".

Ce "recentrage parlementaire" de la politique iranienne, M. Larijani l'a également amorcé sur le si sensible dossier nucléaire. Il s'est livré, mercredi, à une critique en règle du dernier rapport de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA). Menaçant même de revoir la coopération avec l'agence qui a introduit des articles "ambigus" dans son rapport accusant l'Iran de refuser de s'expliquer sur ses éventuelles visées nucléaires militaires.

"Le Parlement, insistait M. Larijani, ne permettra pas de telles tromperies." Une façon de lancer un message "interne" pour montrer que dans ce domaine aussi, qui est son champ d'expertise, le président du Majlis s'interposera pour éviter de nouveaux dérapages de M. Ahmadinejad. Même si, sur le fond, M. Larijani, qui a démissionné de son poste de négociateur nucléaire fin 2007, car, plus pragmatique, il critiquait la gestion agressive de M. Ahmadinejad, est tout aussi orthodoxe sur le dossier.

"C'est un changement très significatif qui s'est opéré dans le clan conservateur, explique l'économiste iranien Saeed Leylaz. Tous prennent leurs distances par rapport au désastre économique du pays et ne veulent pas en endosser la responsabilité. Il n'est pas exclu que s'il se heurte trop au Parlement, M. Ahmadinejad décide même de ne pas briguer un second mandat en 2009."

Dans la bataille présidentielle, ajoute Ahmad Salamatian, "le guide a deux cartes conservatrices en main, Larijani et Ahmadinejad. Il jouera la moins impopulaire et, pour l'instant, M. Ahmadinejd devient un handicap".

A 50 ans, fils d'un grand ayatollah et ancien haut dirigeant des gardiens de la révolution, Ali Larijani ne manque pas d'atouts. Il est très proche du guide qui apprécie sa rigueur intellectuelle et son idéologie sans faille qu'il a montrée entre 1994 et 2004 à la tête de la télévision d'Etat, autorisant des films étrangers mais les censurant. Il a aussi l'écoute des dignitaires religieux de Qom, la ville sainte, où il a été plébiscité lors des élections et enfin un réseau influent d'amitiés.

Marie-Claude Decamps

Sur le même sujet, lisez ici l'article de L'Express publié dimanche 1 Juin.

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