mardi 26 août 2008

Les bahaïs d’Iran en danger

Cela dure depuis près de deux ans. A l’heure de la prière matinale, dans des cours d’école de la République islamique de l’Iran, des maîtres et des maîtresses injurient, humilient les enfants de famille bahaïe devant leurs camarades, pour les amener à renier la religion de leurs parents. Ces enseignants obéissent à une directive du ministère de l’Education et de l’Instruction, datée de l’automne 2006. Ces scènes d’un autre âge me rappellent des souvenirs.

Je me souviens d’avoir subi, en 1954, sous la monarchie triomphante, avec les gamins bahaïs de ma classe, des maltraitances similaires de la part de notre professeur d’instruction religieuse. Je me souviens de ce que racontait ma mère. A 20 ans, dans les années 1930, cette institutrice, grande jeune femme épanouie, a failli être vitriolée, pour s’être promenée sans voile dans le bazar de Téhéran. Les femmes votaient dans la communauté bahaïe dès avant la Première Guerre mondiale. Je me souviens qu’en 1981, le professeur Manoutchehr Hakim, célèbre médecin des pauvres et bahaï, a été assassiné. Les autorités se sont empressées de confisquer ses biens et ceux de son épouse française (1).

La «secte des égarés»


Je me souviens qu’au milieu des années 1980, le cimetière bahaï de Téhéran, où reposaient de nombreux membres de ma famille, a été profané, puis passé au bulldozer. Depuis un siècle et demi, chaque fois que les dirigeants iraniens sont en difficulté, ils s’en prennent à leur bouc émissaire habituel, érigé en ennemi intérieur : la communauté bahaïe. Même si, sous le régime islamique comme au temps de la monarchie, les bahaïs «n’existent pas», n’apparaissent dans aucune statistique et que les autorités ne les mentionnent que par «secte des égarés». Ils sont otages et étrangers dans leur propre patrie.

Les bahaïs sont sept à dix millions à travers le monde, dont seulement cinq cent mille d’origine iranienne. Enraciné dans les cinq continents, le bahaïsme n’est plus, depuis longtemps, une affaire irano-iranienne. Mais qui sont les bahaïs et que leur reproche-t-on ? Pourquoi le clergé iranien persiste-t-il à persécuter les fidèles de cette religion non-violente saluée par Léon Tolstoï, Gandhi, Romain Rolland, Eléonore Roosevelt, Arnold Toynbee, Bertrand Russell ?

La foi bahaïe est une religion née après l’islam. Y croire est considéré par la majorité des théologiens musulmans comme inacceptable et, par le clergé chiite, comme un crime d’hérésie et d’apostasie. Nombre de principes bahaïs leur sont irrecevables : la recherche individuelle de la vérité et le refus de tout clergé, l’éloge de la non-violence, l’égalité des droits de la femme et de l’homme, la science comme pilier de la vie du croyant, la vision internationaliste des affaires publiques, la démocratie interne. La communauté bahaïe est le seul groupe de cette envergure en Iran organisé de façon démocratique, avec des élections annuelles, sans candidature, sans dirigeants permanents, sans chef, ni clergé. Il faudrait dire «était» organisé, car à deux reprises, ses dirigeants élus, parmi lesquels plusieurs femmes, ont été enlevés, puis exécutés clandestinement au début de la Révolution islamique. Depuis, toutes les organisations bahaïes, se sont autodissoutes. Au printemps, les sept administrateurs de la communauté, interlocuteurs habituels et très surveillés des autorités, dont la tâche essentielle était de réduire le poids de l’oppression, ont été arrêtés, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux. Depuis, une campagne les accuse de trahison, d’espionnage et même d’avoir organisé l’attentat du 12 avril à Chiraz, avec l’appui des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et d’Israël.

Dans la Perse rétrograde du milieu du XIXe siècle, le babisme, précurseur du bahaïsme, proposait une réforme radicale des mœurs politiques, religieuses et sociales du Moyen-Orient. La fine fleur des lettrés et des théologiens iraniens de l’époque ont adhéré au babisme. Contre les babis, la réaction du clergé chiite et de son bras séculier, le pouvoir impérial, a été si sanglante que des diplomates occidentaux, pourtant habitués à la cruauté des Qadjars (1798-1925), avaient dû s’en mêler pour sauver des vies.

La figure la plus exceptionnelle du mouvement babi est la poétesse Tahéreh-Qorratol’Aïn (1817-1852). Théologienne, elle enseigne sans se voiler, écrit des poèmes d’amour, prend la défense des femmes, organise des cours d’alphabétisation pour nombre d’entre elles, quitte son mari, tient tête à sa famille, au clergé et au pouvoir impérial. Pour faire taire à jamais cette dangereuse hérétique devenue célèbre, Nasser-ed-Edine Chah la fait étrangler en août 1852, après une fatwa des théologiens de la cour (2). Ironie du sort, si elle est exécutée c’est qu’en tant que savante et théologienne, elle a rang d’homme, donc passible de la peine de mort pour apostasie. Une simple femme, mineure devant la loi aurait été remise à un homme de sa famille pour être rééduquée !

Baha’u’llah (1817-1892) prend à son compte une grande partie des enseignements du Bab et fonde une religion nouvelle à vocation mondiale, le bahaïsme. Il allie les réformes politiques et sociales à un renouveau de l’humanité dans la spiritualité. Emprisonné, torturé, il meurt en exil à Saint-Jean-d’Acre. Les bahaïs résument son message temporel par : «La Terre n’est qu’un seul pays et tous les humains en sont les citoyens.»

Monnaie d’échange

Les persécutions contre les bahaïs continuent au XXe siècle. Ils n’ont jamais eu le droit de vote, leur mariage n’est pas enregistré si bien que tout enfant bahaï est considéré comme bâtard et à ce titre exclu de l’héritage. Les deux monarques de la dynastie Pahlavi (1925-1979) n’ont jamais mené de politique définie à l’égard des bahaïs. En fait cette communauté leur a servi de monnaie d’échange dans leur relation avec le clergé. En 1934, dans un pays sous-équipé en établissements scolaires, le gouvernement du chah Reza (1925-1941) fait fermer des dizaines d’écoles et lycées administrés par les bahaïs, laissant sans scolarité des milliers d’élèves de toutes origines religieuses et sociales. Au début des années 1950, sous le règne du chah Mohammed Reza (1941-1979) les services secrets impériaux organisent l’émergence d’un groupe extrémiste fanatique : le Hodjatieh, dit «Association pour l’éradication du bahaïsme». Ce groupe politico-religieux sera la pépinière de nombreux dirigeants de la République islamique, dont le président Ahmadinejad. Au printemps 1955, une campagne de haine à la radio d’Etat, dans les journaux et au Parlement donne le signal et encourage les violences contre les bahaïs : les fonctionnaires sont exclus des administrations, l’Etat confisque ou détruit des biens, des foules pillent, tuent et restent impunies. Cette campagne orchestrée en pleine Guerre froide, a pour but d’acheter le silence du clergé, au moment de la signature du pacte de Bagdad et des accords déshonorants avec les consortiums pétroliers internationaux. Dans l’Iran de l’époque, on accuse les bahaïs d’apostasie, de trahison et d’inféodation à la Russie communiste et athée (on feint d’oublier que Staline a anéanti la communauté bahaïe de l’URSS dans les années 1930). A un régime impérial casqué et botté, mégalomane et dictatorial succède un régime enturbanné, xénophobe, misogyne, totalitaire encore plus répressif.

Le pouvoir iranien islamiste persécute aujourd’hui, à des degrés divers, tout ce qui est différent de lui, paraît le contester, en particulier les jeunes femmes, les étudiants, les minorités ethniques et religieuses (les zoroastriens, les juifs et les chrétiens, dits «gens du Livre», citoyens de seconde zone) et même les musulmans sunnites et soufis. Avec la République islamique, le clergé chiite tente ce qu’il n’avait pu faire sous les dynasties impériales : le nettoyage religieux de l’Iran. Depuis trois décennies, le pouvoir politico-religieux en place a émis de nombreux édits de persécutions. Publiques ou secrètes, ces fatwas laissent le champ libre aux polices et à des femmes ou à des hommes de mains. Enlèvements, disparitions et exécutions des intellectuels et des responsables élus de la communauté, viols de prisonnières avant d’en exécuter certaines, autodafés de livres, spoliations massives des biens, expulsions des emplois publics, interdiction de les embaucher et de commercer avec eux, tel a été le lot des bahaïs. Nombre de leurs lieux historiques ou sacrés, datant des XVIIIe et XIXe siècles, entretenus avec ferveur, héritages de tous les Iraniens, ont été détruits. Régulièrement les cimetières sont profanés ou passés au bulldozer, des maisons sont incendiées.

Université de l’ombre


Depuis plus de deux décennies, l’accès à l’enseignement supérieur leur est, dans les faits, interdit. Avec le renouvellement des générations, il n’y a plus de bahaïs exerçant des professions libérales, telles avocat, médecin, pharmacien. On imagine l’ampleur du drame, dans une communauté qui valorise, au plus haut point, le savoir et la science. Alors, ces militants de la connaissance ont mis en place une université souterraine : l’Institut bahaï d’études supérieures. Grâce à des enseignants locaux, bahaïs ou non, et à un réseau mondial, avec l’aide d’universités de pays démocratiques qui valident les enseignements, quelques centaines de jeunes femmes et hommes arrivent, tous les ans, de haute lutte, à acquérir des diplômes. Les autorités harcèlent régulièrement cette université de l’ombre, arrêtent des enseignants et des étudiants ou confisquent le matériel éducatif. L’un des principaux animateurs de cette université, Bahman Samandari, a été exécuté au début des années 1990.

Depuis un siècle et demi, rares sont les lettrés qui, bravant le pouvoir clérical, ont pris la défense des bahaïs. Ils occultent les apports majeurs de cette minorité à la Révolution constitutionnelle de 1905, à l’amélioration du sort des femmes ou à l’éducation de la jeunesse : ils ont ouvert, au XIXe siècle, des écoles modernes à travers tout le pays, instruit des milliers de femmes et d’hommes, donné l’exemple de la démocratie. Parmi les politiques, le docteur Mossadegh, Premier ministre dans les années 1951-1953 - renversé par le coup d’Etat de la CIA - est un des rares qui ait refusé de persécuter les bahaïs pour s’attirer les bonnes grâces des fanatiques religieux. Heureusement, avec les militants défenseurs des droits humains, en particulier la courageuse Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix, les choses changent. A présent des intellectuels iraniens s’intéressent publiquement au sort des bahaïs et prennent leur défense avec plus de vigueur. Il y a quelque mois, l’armée, la milice des Pasdarans, les services secrets, ont reçu l’ordre secret du Guide suprême de recenser tous les bahaïs, «sans oublier les enfants». La présidence française de l’Union européenne pourra-t-elle mettre fin à cette conspiration du silence et réveiller chez les gouvernants de la République islamique la tradition de tolérance du vieil empire multiethnique et multiculturel perse ?

Foad Saberan né à Téhéran, médecin psychiatre à Paris.
(1) Christine Hakim, les Baha’is ou victoire sur la violence, éd. Pierre-Marcel Favre, Lausanne, 1982. (2) Bahiyyih Nakhjavani, la Femme qui lisait trop, éd. Actes Sud, 2007.



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dimanche 24 août 2008

L'Iran compte lancer un satellite de télécoms, dit Ahmadinejad

Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad déclare que Téhéran a l'intention de lancer un satellite de télécommunications faisant appel à une technologie dont l'Occident craint de voir l'Iran se doter pour lancer des ogives nucléaires.

Dimanche dernier, les autorités iraniennes avaient affirmé avoir mis en orbite pour la première fois un satellite factice au moyen d'un lanceur de fabrication nationale, mais des responsables américains avaient déclaré que cette tentative s'était soldée par un "échec spectaculaire".

"Aujourd'hui, le peuple iranien a acquis la technologie permettant de produire différentes sortes de satellites et, avec l'aide de Dieu, il lancera dans l'espace son premier satellite de télécommunications", a dit Ahmadinejad à l'occasion d'un rassemblement.

Il n'a pas avancé de calendrier dans les extraits de son discours retransmis par la télévision nationale. Jeudi, le chef de l'agence spatiale iranienne avait déclaré que Téhéran espérait envoyer dans l'espace un vol habité au cours des dix prochaines années.

"Notre pays dispose d'un missile moderne qui peut lancer le deuxième étage à 250 km dans l'espace. Le deuxième étage est un missile plus petit transportant le satellite qui contient des matériels techniques très complexes", a dit le président.

La technologie balistique à longue portée qui sert à placer des satellites en orbite peut aussi être utilisée comme vecteur d'armements.

Les pays occidentaux, qui accusent l'Iran de vouloir fabriquer une bombe atomique, pensent que Téhéran cherche à se doter d'une technologie plus avancée en matière de missiles dans le but de lancer des ogives nucléaires. Téhéran rejette ces accusations et affirme que son programme nucléaire répond à des desseins pacifiques.

Reza Taghipour, le chef de l'agence spatiale, avait déclaré jeudi que l'Iran coopérerait avec d'autres pays islamiques pour construire un satellite. Il ajoutait que Téhéran s'unirait en outre à la Russie et à des pays d'Asie pour lancer un autre satellite.

Edmund Blair, version française Philippe Bas-Rabérin



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