samedi 31 mai 2008

Comment le Hezbollah impose sa loi au Liban

Le parti pro-iranien allie la force militaire et les manœuvres politiques.

Dans le centre néo-ottoman de Beyrouth, une foule joyeuse a réinvesti les cafés et les restaurants. Comme si rien ne s'était passé. Comme si les dix-huit mois d'occupation de la place des Martyrs par le village de toile du Hezbollah, disparu en un clin d'œil, s'étaient déroulés dans un espace-temps parallèle. Chacun sait que le Liban est entré dans une «ère nouvelle», selon l'expression de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. En quelques heures de combats, les 7 et 8 mai, le parti chiite a changé de statut au Liban. Jusque-là, il était respecté. Maintenant, il est craint. Sa victoire militaire se traduira prochainement par une avancée politique. L'entrée au gouvernement de 11 ministres appartenant au mouvement ou à ses alliés lui donnera une minorité de blocage, permettant de renvoyer toute loi qui ne lui plaira pas.

La miniguerre civile de début mai a couronné une montée en puissance entamée il y a vingt-six ans. En 1982, plusieurs groupes chiites se réunissent pour fonder un nouveau mouvement qui prenne en main la lutte contre l'armée israélienne. Après avoir chassé le dirigeant palestinien Yasser Arafat de Beyrouth, Tsahal a installé une zone tampon au Liban-Sud, avec l'aide d'une force locale de supplétifs. L'armée libanaise, divisée par la guerre civile qui fait rage plus au nord, est incapable de s'opposer à Tsahal.

La mobilisation chiite vient de loin. Elle s'est construite sur la conscience de représenter la minorité la plus méprisée du Liban, depuis son implantation dans le pays, accélérée par les expulsions d'Égypte à partir du XIIIe siècle. L'obsession des chiites, celle de n'être pas représentés à la hauteur de leur nombre réel, se manifeste dès le recensement français de 1932, qui les situe en troisième position derrière les chrétiens, majoritaires, et les sunnites, avec 19,6 % de la population. C'est sur cette base que le pacte national de 1943 donnera aux chrétiens la présidence de la République, aux sunnites le poste de premier ministre, et aux chiites la présidence de l'Assemblée. Mais, selon l'historien libanais Joseph Alagha, «nombre de chiites ont été comptés comme chrétiens ou comme sunnites».

Aujourd'hui, les estimations de la population chiite varient entre 40 et 55 %, mais le pacte est toujours en vigueur. L'histoire de l'avènement du Hezbollah comme force politique majeure au Liban vient de là, mais la disparité n'explique pas tout. Comme tout le monde au Liban, le Hezbollah s'appuie sur des forces extérieures. Ses liens avec l'Iran ne datent pas d'hier. Les chiites libanais se flattent d'avoir largement contribué à l'implantation de leur religion à Téhéran. Quand la dynastie safavide prend le pouvoir en Iran au XVIe siècle, elle fait appel à des oulémas, des savants religieux libanais, pour convertir leur population. Le va-et-vient entre les deux contrées, renforcé par de nombreux intermariages, ne cessera plus. Pour les chiites libanais, l'Iran n'est pas vraiment un pays étranger. C'est d'ailleurs le fils d'un père iranien et d'une mère libanaise, l'imam Moussa Sadr, formé à Téhéran et dans la ville sainte iranienne de Qom, qui crée l'un des précurseurs du Hezbollah, le Mouvement des déshérités. Ce dernier veut assurer une meilleure présence chiite au sein des institutions, mais aussi améliorer le sort de tous les pauvres. Il ratisse large : on compte parmi les fondateurs un évêque grec-catholique, Grégoire Haddad.

Le catalyseur de l'occupation israélienne du Sud entraînera la radicalisation d'une grande partie des chiites. L'aile militaire du Mouvement des déshérités, Amal, éclate avec le départ de nombre de ses cadres vers le Hezbollah, le «Parti de Dieu», plus radical. Le nouveau parti prône d'abord la résistance à Israël, à la fois dans un cadre national et selon le principe du djihad, la guerre sainte. Il envisage à ses débuts la création d'un État islamique au Liban.

Le Hezbollah est aussi une création de l'Iran. La révolution islamique de 1979 cherche un point d'ancrage stratégique au Liban. Le futur chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, sera nommé plus tard représentant personnel du guide de la révolution iranienne, l'ayatollah Khameneï. Téhéran envoie 1 500 pasdarans, les gardiens de la révolution, former les combattants libanais dans la plaine de la Békaa. Le maître d'œuvre de l'opération, l'ambassadeur iranien à Damas Ali Akbar Mohtachami, le reconnaîtra bien plus tard, en août 2006, dans une interview au quotidien iranien Charq. «Ce fut une nouvelle phase qui aboutit à la création du Hezbollah, expliquait-il. Chaque cours comprenait 300 combattants, qui servaient à leur tour de formateurs.»

L'ambassadeur détaille l'armement et les missiles qui ne cesseront d'alimenter le Hezbollah en passant par la Syrie, alliée de Téhéran et tutrice du Liban. Les attentats contre les forces françaises et américaines de 1983 et les enlèvements d'Occidentaux, comme celui du journaliste Jean-Paul Kauffmann, sont effectués sous le couvert de groupes créés pour la circonstance, mais sont attribués par les services de renseignements occidentaux au Hezbollah.

Les accords de Taëf, qui mettent fin à la guerre civile en 1990 à laquelle le Parti de Dieu a peu participé, permettent au Hezbollah de garder ses armes dans le Sud, au titre de la «résistance». Même après le départ de la Syrie sous la pression internationale, le gouvernement de Fouad Siniora né de la mobilisation antisyrienne concède au Hezbollah le droit à ses armes, remettant leur discussion à plus tard.

Une bonne partie des Libanais, quoi qu'ils en disent, en veulent au Hezbollah de déclencher la riposte massive d'Israël en enlevant des soldats de Tsahal en juillet 2006.

Plus d'un Libanais n'aurait pas regretté, alors, une défaite du Parti de Dieu. Mais le Hezbollah étrille les Israéliens. En partie à cause de la mauvaise préparation de Tsahal, mais aussi, encore une fois, grâce aux armes venues d'Iran. Les attachés militaires étrangers identifient une grande variété de missiles antichars, dont le Milan, de conception française, le Kornet AT-14, de fabrication russe, ou les RPG-29, également russes, capables de pénétrer la double armure des chars israéliens Merkava.

L'autre ressource des combattants est leur moral. Difficile de battre une armée qui se croit secondée par des forces surnaturelles. Les combattants chiites ont tous raconté avoir été aidé par des spectres à cheval, par des fantômes qui tiraient à leur place, par des voix qui les prévenaient de l'arrivée d'un obus. Les miliciens attribuent leur endurance, issue en réalité d'un entraînement de fer, à une puissance divine, qui leur permettait de se passer de sommeil pendant une semaine. Des histoires colportées partout sont devenues vérité à leurs yeux, comme celle de l'officier israélien dont la main aurait été tranchée d'un coup d'épée par un cavalier fantôme, au moment où le militaire s'apprêtait à tirer sur des combattants du Hezbollah*.

Fort de sa «victoire divine», le parti de Hassan Nasrallah entame dès lors un combat politique destiné à obtenir enfin la représentation à laquelle il estime avoir droit au gouvernement et au Parlement. Depuis 1992, le mouvement chiite a officiellement abandonné l'idée d'un État islamique et participe aux élections. Il s'est allié avec le Mouvement patriotique libre (MPL) du général chrétien Michel Aoun, l'homme qui avait déclaré la guerre à la Syrie en 1990. Ce mariage, dénoncé par les autres partis chrétiens comme contre nature, est expliqué par le général comme la réaction à une injustice : lui aussi s'estime lésé par le résultat des élections législatives de 2005. En 2006, les ministres du Hezbollah et leurs alliés quittent le gouvernement, entamant une crise qui culminera avec les affrontements du 7 mai. Qui les a déclenchés ? En privé, selon un diplomate occidental, plusieurs hauts responsables du gouvernement reconnaissent avoir commis une erreur. En dénonçant subitement le réseau téléphonique privé du Hezbollah, probablement construit avec l'aide de l'Iran, le ministre druze Walid Joumblatt a rompu le pacte qui remettait à plus tard la négociation sur l'armement du parti chiite. Le Hezbollah, pour sa part, estime n'avoir fait que «défendre ses armes», selon une doctrine publiquement affichée. Les Libanais qui ont subi l'occupation de leur quartier l'ont compris autrement. «Il y a eu aussi des erreurs du côté du Hezbollah, dit le politologue Joseph Bahout, Et elles ont déclenché un débat interne.»

La délégation de l'occupation de Beyrouth-Ouest, en maints endroits, aux miliciens d'Amal et du Parti social nationaliste syrien, moins disciplinés, a laissé des traces. Le Liban vit aujourd'hui dans la méfiance, et dans le camp de la majorité actuelle certains parlent ouvertement de réarmer. En attendant les négociations sur la composition du gouvernement, l'ère nouvelle est grosse de dangers.

(*) Le Hezbollah, état des lieux, ouvrage collectif dirigé par Sabrina Mervin, Actes Sud.



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vendredi 30 mai 2008

A la tête du Majlis iranien, Ali Larijani se pose en anti-Ahmadinejad

La bataille pour l'élection présidentielle de 2009 en Iran est-elle déjà lancée ? En tout cas, pour les derniers mois de son mandat, le président iranien, le fondamentaliste Mahmoud Ahmadinejad, va devoir affronter une fronde aussi inédite que généralisée face au nouveau Parlement (Majlis) issu des élections législatives de mars, remportées pourtant à plus de 60 % par les conservateurs.

Pénalisé par sa gestion populiste de l'économie qui se traduit par une inflation à 24 % et par un certain mécontentement devant ses diatribes jusqu'au-boutistes sur le nucléaire qui ont isolé le pays et lui ont valu trois séries de sanctions internationales, le président est critiqué dans son propre camp.

Son parti ("La Bonne odeur de servir") n'a obtenu qu'un faible score aux élections (10 %). De plus, les différents courants qui composent la majorité conservatrice viennent d'infliger un camouflet à M. Ahmadinejad en s'unissant pour écarter le candidat qu'il proposait et faire élire à la tête du Parlement son ancien rival à la présidentielle de 2005, l'ex-négociateur en chef du dossier nucléaire, Ali Larijani.

Dès son premier discours, devant les députés, mercredi 28 mai, M. Larijani a marqué son terrain : "Il faut une gestion saine de l'économie car c'est le principal problème dont souffre la population", a-t-il déclaré, exprimant son souhait de voir s'opérer une "mise en ordre économique" dans laquelle "le Parlement doit être actif et guider l'action du gouvernement". " Le nouveau président du Majlis s'est clairement positionné en contre-poids politique au populisme de M. Ahmadinejad dans la perspective de l'élection de 2009, explique Ahmad Salamatian, ancien député démocrate d'Ispahan. Il va tenter, en quelque sorte, de mettre la gestion du gouvernement sous tutelle parlementaire."

RECENTRAGE PARLEMENTAIRE

Peut-il y arriver, dans un système où le Parlement a longtemps servi, comme le confie un diplomate iranien, "d'alibi républicain et démocratique plus que de centre réel de décision" ? "Ce n'est pas impossible, dit encore M. Salamatian, le mécontentement est tel, en tout cas sur l'économie, que M. Larijani peut compter sur l'appui des députés conservateurs critiques, le soutien tactique des partisans de l'ancien président Rafsandjani et la neutralité, pour l'instant, bienveillante des réformateurs."

De plus, dans son premier discours, M. Larijani a pesé ses mots. Ils faisaient référence à une intervention, quelques heures plus tôt, du guide suprême, l'ayatollah Khamenei, arbitre par excellence de la politique iranienne, qui incitait le gouvernement à "ne pas violer les règles et les lois du Parlement".

Ce "recentrage parlementaire" de la politique iranienne, M. Larijani l'a également amorcé sur le si sensible dossier nucléaire. Il s'est livré, mercredi, à une critique en règle du dernier rapport de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA). Menaçant même de revoir la coopération avec l'agence qui a introduit des articles "ambigus" dans son rapport accusant l'Iran de refuser de s'expliquer sur ses éventuelles visées nucléaires militaires.

"Le Parlement, insistait M. Larijani, ne permettra pas de telles tromperies." Une façon de lancer un message "interne" pour montrer que dans ce domaine aussi, qui est son champ d'expertise, le président du Majlis s'interposera pour éviter de nouveaux dérapages de M. Ahmadinejad. Même si, sur le fond, M. Larijani, qui a démissionné de son poste de négociateur nucléaire fin 2007, car, plus pragmatique, il critiquait la gestion agressive de M. Ahmadinejad, est tout aussi orthodoxe sur le dossier.

"C'est un changement très significatif qui s'est opéré dans le clan conservateur, explique l'économiste iranien Saeed Leylaz. Tous prennent leurs distances par rapport au désastre économique du pays et ne veulent pas en endosser la responsabilité. Il n'est pas exclu que s'il se heurte trop au Parlement, M. Ahmadinejad décide même de ne pas briguer un second mandat en 2009."

Dans la bataille présidentielle, ajoute Ahmad Salamatian, "le guide a deux cartes conservatrices en main, Larijani et Ahmadinejad. Il jouera la moins impopulaire et, pour l'instant, M. Ahmadinejd devient un handicap".

A 50 ans, fils d'un grand ayatollah et ancien haut dirigeant des gardiens de la révolution, Ali Larijani ne manque pas d'atouts. Il est très proche du guide qui apprécie sa rigueur intellectuelle et son idéologie sans faille qu'il a montrée entre 1994 et 2004 à la tête de la télévision d'Etat, autorisant des films étrangers mais les censurant. Il a aussi l'écoute des dignitaires religieux de Qom, la ville sainte, où il a été plébiscité lors des élections et enfin un réseau influent d'amitiés.

Marie-Claude Decamps

Sur le même sujet, lisez ici l'article de L'Express publié dimanche 1 Juin.


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jeudi 29 mai 2008

Comment l'Iran parvient à contourner les sanctions

La communauté internationale s'apprête à renforcer les mesures pour dissuader Téhéran d'avancer dans son programme nucléaire.

La peau cuivrée par le soleil, Reza, un marchand iranien, somnole en attendant le chargement d'imprimantes Hewlett-Packard, d'ordinateurs Apple et d'autres produits américains, interdits d'entrée en Iran. Nous sommes dans la crique de Dubaï, sur les rives du golfe Persique. Bientôt, le boutre voguera sur l'une des mers les plus surveillées au monde. «Mes commanditaires iraniens se fichent que ce soient des produits américains venant d'Asie qui vont être réexportés en Iran» , déclare cet habitué de la contrebande, assis au milieu de cagettes de Coca-Cola et de palettes d'appareils électroménagers.

Le voyage jusqu'à Bandar Abbas va durer une quinzaine d'heures. «Les patrouilles américaines que nous croisons ne nous contrôlent pas», dit Reza. L'US Navy «se préoccupe de traquer les terroristes», répond laconiquement le siège de la Ve flotte américaine dans le Golfe. Les autorités de Dubaï ne s'émeuvent pas davantage. «Il me suffit de présenter la liste des marchandises au bureau des douanes, qui tamponne aussitôt le document», se vante Reza. Et au port de Jebel Ali, cet autre centre de réexportation vers l'Iran à quelques kilomètres de là, les contrôles se font «par sondages», c'est-à-dire au compte-gouttes.

Chaque jour, une trentaine d'embarcations mettent le cap sur Buchehr, Bandar Abbas et Abadan, avec à bord en moyenne 100 tonnes de marchandises chacune. Tout n'est pas fabriqué par le «Grand Satan», mais la part du trafic de produits américains est tout de même estimée à 250 millions de dollars par an. Du matériel sensible pourrait aisément passer entre les mailles très larges du filet. Évalué à 1,2 milliard de dollars chaque année, l'important commerce informel entre Dubaï et l'Iran est l'une des principales filières de contournement des sanctions imposées par la communauté internationale à l'Iran pour que Téhéran cesse sa marche vers le nucléaire militaire. Elle est loin d'être la seule. Une autre consiste à déjouer l'asphyxie financière à laquelle l'Occident entend soumettre l'Iran, en interdisant aux banques étrangères l'ouverture de lettres de crédit, indispensables aux entrepreneurs iraniens pour commercer avec le reste du monde.

L'objectif, affiché par les États-Unis, est clair : faire de l'Iran «un paria de la finance». Mais la République islamique est encore loin d'être à genoux. Direction la rue Youssef Abbad à Téhéran, où Sadati, un importateur d'enseignes lumineuses, nous renseigne sur le système D iranien. «Depuis que BNP Paribas ne veut plus m'ouvrir de lettres de crédit pour financer mes achats de néons en France, j'ai trouvé une banque arabe domiciliée à Barcelone qui accepte de jouer le jeu», explique-t-il. L'Europe se refermant, Sadati a réorienté ses activités vers l'Asie. Là aussi, les grandes banques ont fini par plier devant les injonctions américaines. Peu importe. Sadati vient de débusquer un établissement chinois de seconde catégorie, l'Agricultural Bank of China, prêt à lui ouvrir une lettre de crédit.

Achat au Brésil via Dubaï

«Des banques qui n'ont pas d'intérêts aux États-Unis offrent encore leurs services aux Iraniens à un coût majoré de 10 à 15 %», explique un expert économique à Dubaï qui en donne la liste : «Les Caisses d'épargne allemandes, des banques cantonales suisses, des succursales de l'Union des banques arabes en Europe, des banques asiatiques et de Dubaï, sans sous-estimer ce qui peut se passer à Beyrouth, où des sociétés écrans cherchent à obtenir des financements pour l'Iran.»

La malice iranienne est sans limite. Lorsque Sadati ne parvient pas à dénicher une banque complaisante, il «exporte» des tapis pour financer ses achats de néons, profitant de la bienveillance des autorités sur ces procédures de substitution. Pour ses besoins en dollars, il sollicite un intermédiaire à Téhéran, qui se chargera de lui en procurer en liquide, auprès d'un bureau de change à Dubaï. «La semaine dernière, raconte Sadati, j'ai payé une commande de 10 000 dollars à un fournisseur brésilien, en donnant l'équivalent en rials à mon intermédiaire, qui a négocié avec son agent à Dubaï, et en 48 heures, les 10 000 dollars étaient au Brésil.»

Treize frontières maritimes ou terrestres

Ironie de l'histoire : les valises de dollars ont refleuri grâce aux sanctions, alors que celles-ci étaient censées combattre le vieux système des hawalas (le paiement en espèces). Dubaï, et ses 350 sociétés iraniennes, reste une passoire. Malgré les pressions américaines, l'émirat, qui a bâti une partie de sa fortune sur le cash, n'entend pas renoncer aux transactions en espèces. «On peut se présenter dans une banque avec 300 millions de dollars dans une mallette, elle les acceptera sans problème», déplore un diplomate.

«Si j'accepte pour 300 millions de dollars à mon guichet, dit un banquier dubaïote, je peux tout aussi bien ouvrir des fonds d'investissement pour tel ou tel pays.» C'est justement l'une des dernières trouvailles des autorités iraniennes : se tourner vers le marché financier, pour se procurer l'argent indispensable à leur développement. Telle est la mission de Stephen Austen à la tête de Melli Holding International Limited, la filiale de gestion de fonds de la banque iranienne Melli, que les États-Unis veulent marginaliser pour son financement supposé du terrorisme. Lorsque nous l'avons appelé, ce Britannique était en Arabie où il proposait des participations dans ses fonds spécialisés sur l'Iran. «Je ne crains pas les sanctions car mon partenaire est la Bank Melli Iran Investment Company qui, à ma connaissance, n'a pas de liens avec la banque Melli elle-même» , se défend-il. Doté de 300 millions d'euros, son First Persian Equity Fund a pourtant bel et bien été ouvert par la banque Melli à l'été 2006 au Dubai Financial International Center (DFIC).

Particularité du DFIC : il est indépendant, le gouverneur de la banque centrale des Émirats n'y a aucun droit de regard. Précision : le Persian Equity Fund est domicilié aux Caïmans, un paradis fiscal des Caraïbes. «Et des fonds comme celui-là, il y en a certainement d'autres», ajoute le banquier de Dubaï. L'Iran ambitionnerait d'en ouvrir un gigantesque de 90 milliards de dollars auprès du DFIC. Les États-Unis autoriseront-ils l'émirat à le faire ?

«L'Iran a treize frontières terrestres ou maritimes avec ses voisins. Il est très difficile de bloquer toutes les transactions à destination de ce pays», reconnaît Nasser Hashempour, responsable du Centre iranien des Affaires à Dubaï. Même les sociétés américaines sont toujours bien représentées sur les Salons qui se tiennent dans la zone franche de l'île iranienne de Kish, dans le golfe Persique, à laquelle les ressortissants américains ont accès. Quant à la Chine, premier partenaire commercial de l'Iran, elle devrait bientôt ouvrir une zone franche dans le port de Khoramshar, toujours dans le Golfe, où les clients iraniens pourront s'y approvisionner en rials. Même au Congrès américain, l'efficacité de la stratégie d'étranglement de l'Iran est remise en cause par la réalité des chiffres : 20 milliards de dollars de contrats signés avec des prestataires étrangers par l'Iran depuis 2003. Chaque jour, 220 millions de dollars de recettes pétrolières entrent dans les caisses iraniennes, «à quoi il faut ajouter 50 % des ventes d'opium d'Afghanistan qui transitent par l'Iran et se retrouvent dans les banques iraniennes ou à Dubaï» , affirme une source bien informée.

Certes, comme d'autres négociants, Sadati a subi une baisse de son chiffre d'affaires l'an dernier ( 30 %). Mais à court terme, l'impact des sanctions reste minimal. À moyen terme, en revanche, l'Iran souffrira de l'absence d'investissements nécessaires à la modernisation de ses secteurs pétrolier et gazier. «Or, ce n'est pas la Chine qui peut lui fournir la technologie pour liquéfier son gaz» , note un diplomate à Téhéran. Ce n'est pas faute, pourtant, d'échafauder des structures opaques de financements de ses investissements vitaux. L'une des entités iraniennes les plus secrètes est la société Nico, basée à Jersey, qui a créé en 2002 son principal établissement à Pully, près de Lausanne. Dirigée par l'ancien ambassadeur d'Iran en Italie, Majid Razavi Hedayatzadeh, cette filiale de la National Iranian Oil Company, possède d'importantes lignes de crédit auprès de BNP Paribas et de Calyon, qui ont dû se retirer l'an dernier du marché iranien. Devant l'inefficacité des sanctions, la communauté internationale songe à en adopter de plus dures. «Les Américains peuvent faire ce qu'ils veulent, impossible n'est pas farsi», sourit Sadati.



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mardi 27 mai 2008

L'Iran dans les coulisses de Doha

lisez ici l'article de Delphine Minoui sorti dans le blog du Figaro.

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L'AIEA demande plus d'informations à l'Iran sur son programme nucléaire

L'Iran refuse toujours de faire toute la lumière sur son programme nucléaire, constate l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) dans son dernier rapport, rendu lundi 26 mai, près de trois mois après le vote de nouvelles sanctions de l'ONU, après celles de 2006 et de 2007. Les études que l'Iran a menées sur un projet dit "Green Salt", sur des explosifs de haute intensité, et sur un élément de missile (le "véhicule de rentrée") "demeurent un objet de sérieuse préoccupation", dit ce texte dont Le Monde a pris connaissance.

"L'Iran détient plus d'informations qu'il ne nous en fournit", a commenté une source proche de l'AIEA. "L'Iran doit encore fournir des explications substantielles", a ajouté cet officiel, laissant filtrer la frustration des équipes d'enquêteurs internationaux. Il a souligné qu'en l'absence de transparence de la part de l'Iran, l'AIEA "n'a peut-être qu'une vision partielle" de l'ensemble des travaux nucléaires, faisant ainsi allusion à une possible dimension restée clandestine.

SITE DE TESTS

Depuis février, l'AIEA enquête au cœur des questions les plus sensibles du programme nucléaire iranien, celles liées à une possible militarisation : des études soupçonnées de recouvrir la mise au point d'un site de tests nucléaires et la fabrication d'une tête de missile capable d'accueillir une charge nucléaire. L'Iran avait refusé de se pencher sur ces questions dans son dialogue avec l'Agence, avant de se raviser le 21 avril. Mais ses réponses ont été incomplètes, selon l'AIEA.

Le rapport, d'une tonalité assez sévère, insiste sur la nécessité pour l'Iran de tirer au clair les liens entre des institutions militaires et le secteur nucléaire. Des sociétés rattachées au ministère iranien de la défense ont produit des équipements pour le programme nucléaire, notamment des composantes de centrifugeuses, et auraient pris part à des efforts d'acquisition de matériel nucléaire à l'étranger. L'AIEA a ainsi demandé en vain des éclaircissements à propos des voyages effectués entre 1998 et 2001 à l'étranger par un homme clé du programme iranien, Mohsen Fakrizadeh.

Le rapport met aussi en évidence le rôle du Pakistan. L'AIEA a eu la confirmation qu'un document sur le moulage d'uranium-métal en forme hémisphérique, susceptible de correspondre à une tête de missile, provenait des réseaux pakistanais du marché noir nucléaire.

L'Iran continue d'affirmer que certains des documents que lui a soumis l'AIEA sont des "falsifications", mais il a néanmoins accepté le processus de l'enquête, qui pourrait s'étirer encore sur des mois, dit l'officiel proche de l'Agence. Entre-temps, défiant les demandes de l'ONU, l'Iran continue d'enrichir de l'uranium. Quelque 3 500 centrifugeuses tournent désormais sur le site de Natanz.

Natalie Nougayrède
lisez aussi les articles parus à ce sujet dans le nouvel observateur et aussi dans L'Express


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jeudi 22 mai 2008

Refoulée de France, son passeport est confisqué en Iran

L'affaire devient chaque jour un peu plus kafkaïenne. Chaque jour, Sharar Nakhaï se demande quand elle va pour voir rejoindre son père, Français et malade. Cette femme Iranienne de 53 ans avait été refoulée la semaine à arrivée l' aéroport Saint-Exupéry, parce qu'elle avait un visa mais pas de certificat d'hébergement. Elle avait été recontactée lundi par l'ambassade de France à Téhéran, qui lui proposait un nouveau visa en urgence. Mais voilà. Comme elle est revenue de France refoulée par les policiers français, Shahar se retrouve suspecte dans son pays, et son passeport lui a été confisqué à son retour.

Suite des mésaventures d'une Iranienne refoulée de France

SOCIETE - L'affaire devient chaque jour un peu plus kafkaïenne. Chaque jour, Sharar Nakhaï se demande quand elle va pour voir rejoindre son père, Français et malade. Cette femme Iranienne de 53 ans avait été refoulée la semaine à arrivée l' aéroport Saint-Exupéry, parce qu'elle avait un visa mais pas de certificat d'hébergement. Elle avait été recontactée lundi par l'ambassade de France à Téhéran, qui lui proposait un nouveau visa en urgence. Mais voilà. Comme elle est revenue de France refoulée par les policiers français, Shahar se retrouve suspecte dans son pays, et son passeport lui a été confisqué à son retour. Elle ne parvient pour l'instant pas à le récupérer...

C'était au départ une histoire ordinaire. Celle d'une passagère refoulée à son arrivée en France. Sharar Nakhaï vit en Iran. Sa soeur, Chiva, vit aux Etats-unis. Elle ont donc un père Français, qui vit dans la région grenobloise et qui est très malade, dans un état critique depuis peu. Prévenues, les deux soeurs ont entrepris des démarches pour le rejoindre le plus vite possible. Sharar a demandé un visa à l'ambassade de France à Téhéran. On lui a demandé un certificat médical. Elle en a fait faxer un rapidement, et le sésame lui a été immédiatement délivré. Les deux soeurs ont alors pris l'avion.

Chiva est arrivée sans problème mercredi. Sherar s'est posée vendredi de Téhéran, via Istambul, et elle a été refoulée. «On l'a attendu toute la journée, raconte Chiva. Vers 23h, je me suis rendu à l'aéroport. On m'a dit qu'elle avait été refoulée parce qu'il lui manquait un papier. J'ai réussi à la joindre le lendemain. Elle avait été remise dans le premier avion avec des menottes. Les policiers l'ont laissée appeler chez mes parents, cela ne répondait pas, ils n'ont pas voulu qu'elle passe un deuxième appel. » La direction interrégionale de la police aux frontières conteste le menottage, mais confirme que la jeune femme a été refoulé, parce qu'elle avait un visa, mais pas de certificat d'hébergement.

De retour en Iran, elle a téléphoné lundi à l'ambassade de France, qui lui a dit que le visa n'était plus valable, puisqu'elle était rentrée. Il fallait écrire aux Affaires étrangères. Mais quelques heures plus tard, la même ambassade a rappelé, et lui a expliqué que son histoire avait été médiatisée en France, qu'il fallait qu'elle vienne rapidement. Un visa devait lui être délivré. Mais il faudrait d'abord que les autorités iraniennes lui rendent son passeport...
Ol.B.



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mardi 20 mai 2008

Téhéran décapite la direction baha'ie

Les persécutions ont repris contre cette minorité religieuse pacifique.

L'ARRESTATION sans motif, mardi, de six dirigeants de la communauté baha'ie, vient de susciter un profond émoi parmi les membres de cette minorité religieuse régulièrement persécutée en Iran. « Depuis l'arrivée au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad (juin 2005), on assiste à un durcissement. Il y a deux ans, une cinquantaine de jeunes Baha'is avaient déjà été arrêtés. Mais là, c'est la première fois que ce sont des coordinateurs importants de la communauté qui sont touchés en bloc », indique au Figaro Diane Ala'i, représentante de la communauté baha'ie auprès des Nations unies, à Genève.

Depuis la révolution islamique de 1979, le culte baha'ie, né en Iran au XIXe siècle, est proscrit. À l'inverse des autres minorités religieuses (chrétiens, zoroastriens, juifs) du pays, la petite communauté ne dispose d'aucun représentant au Parlement iranien. Au début des années 1980, les neufs membres de l'assemblée spirituelle baha'ie disparurent sans laisser de trace. L'année suivante, huit des neufs nouveaux membres furent exécutés. À l'époque, la répression finit par pousser la communauté à s'organiser dans la plus grande discrétion, et à créer un groupe d'amis, chargé de gérer les affaires de la communauté de manière informelle. C'est de ce groupe que faisaient partie les six personnes arrêtées, Behrouz Tavakkoli, Saeid Rezaie, Fariba Kamalabadi, Vahid Tizfahm, Jamaloddin Khanjani et Afif Naeim. Le septième membre du groupe, Mme Mahvash Sabet, était déjà emprisonné depuis le 5 mars.

Incitation à la haine

« Ce qui vient d'arriver ne peut que nous alarmer et nous rappeler les années noires », confie Diane Ala'i. C'est après des perquisitions poussées pendant cinq heures à leur domicile, hors de toute procédure légale, que les six personnalités baha'ies ont été arrêtées et conduites à la prison d'Evin à Téhéran. Pour l'heure, aucun chef d'accusation ne leur a été notifié. On ne sait rien de leurs conditions de leur détention. Seule Mahvash Sabet a pu être montrée, de loin, à un membre de sa famille, qui s'inquiétait de sa survie.

« Cette détention sans accusation de l'intégralité du leadership baha'i est révélatrice d'une tendance à la persécution violente et illégale des Baha'is d'Iran », déplore, dans un communiqué, l'organisation de défense des droits de l'homme Human Rights Watch. Depuis août 2004, plus de 200 membres de la minorité ont été emprisonnés et détenus sur des périodes plus ou moins longues. L'atteinte à la sécurité de l'État fait partie des accusations les plus couramment avancées. « On assiste, par ailleurs, à un accroissement de l'incitation à la haine contre les Baha'is, professée par voix de presse officielle ou dans les mosquées », relève Diane Ala'i. Ainsi, dans les journaux conservateurs, les Baha'is sont souvent dépeints comme des « ennemis de l'islam » et des « mercenaires des États-Unis ». En dépit de mesures de clémence annoncées, il y a quelques années, par les instances universitaires, les procédures d'accès aux études supérieures restent limitées pour les étudiants baha'is qui se voient souvent dire que leur dossier d'examen est « incomplet ».



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L'Iranienne refoulée de France va pouvoir revenir

Sharar Nakhaï pourra vite revenir auprès de son père. Cette Iranienne de 53 ans avait atterri jeudi en France, où son père se trouve dans un état critique. L’ambassade française à Téhéran lui avait délivré un visa en urgence, mais les policiers l’ont refoulée, faute de certificat d’hébergement (Libération d’hier). De retour en Iran, elle a téléphoné hier à l’ambassade de France, qui lui a dit que le visa n’était plus valable. Il fallait écrire aux Affaires étrangères. Quelques heures plus tard, l’ambassade rappelle et lui explique que son histoire a été médiatisée en France, il faut qu’elle vienne rapidement. Un visa va lui être délivré.

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Parabolique. Un film défi et inattendu de Saman Salour.

Quinzaine des réalisateurs Lonely Tunes of Tehran de Saman Salour, avec Behrouz Jalili, Hamid Habibifar… 1h15.

Comme tout ce qui rode aujourd’hui autour du réel, Lonely Tunes of Tehran fait d’emblée envie : à la lecture du synopsis, on pouvait deviner à travers l’activité à haut risque des deux personnages principaux - vendre et installer chez des particuliers iraniens des antennes paraboliques (briseuses de dogmes, évidement interdites) - le prétexte semi-politique d’une virée en ville, un survol de Téhéran vu depuis les toits, assorti d’un descriptif d’activitées souterraines.

Découvrir que l’un des deux héros est un nain mythomane à la voix aiguë et que son adjoint est un grand escogriffe avec de l’eau salée à la place du cerveau désoriente un peu. Mais c’est presque le charme (pas superdiscret) du film : offrir tout à la fois le documentaire, les variétés, le numéro de cirque et même le feuilleton tire-larmes.

On se félicite généralement qu’un cinéaste prenne des risques. Saman Salour, trentenaire ayant déjà deux longs métrages à son actif, est assez fou - et on l’en félicite - pour entreprendre un film clandestin tourné à 80 % en extérieur (avec acteurs lâchés dans la nature et caméra planquée au loin). Rajouter à cela un second défi, esthétique cette fois, en mariant la carpe comédie avec le lapin néoréaliste (on pense surtout à De Sica), c’était peut-être le risque de trop.

PHILIPPE AZOURY


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vendredi 16 mai 2008

La bataille pour le gaz iranien ne fait que commencer




Le 11 février 2008, à l'ambassade d'Iran à Paris, Christophe de Margerie était des nombreux convives qui se pressaient à la réception marquant le 29e anniversaire de la révolution islamique. Le directeur général de Total est loin d'être un inconditionnel de la république des mollahs, mais la compagnie pétrolière française a toujours cherché à entretenir de bonnes relations avec Téhéran. Malgré la difficulté d'investir dans un pays sanctionné par les Nations unies pour son programme nucléaire, rien ne serait pire que d'injurier l'avenir : l'Iran, qui possède les deuxièmes réserves mondiales de gaz, sera tôt ou tard une nouvelle source d'approvisionnement de l'Europe.

Pour l'heure, la situation des majors américaines, européennes et asiatiques est intenable. Elles lorgnent toutes sur les champs pétrolifères et le gisement géant de South Pars dans le golfe Persique, le plus grand réservoir gazier de la planète. Mais tout se conjugue pour retarder leur mise en production : les tensions géopolitiques, l'emballement des coûts des projets pétro-gaziers, le caractère peu lucratif des contrats buy-back proposés par les Iraniens en paiement des investissements des majors.

Depuis le Qatar, qui partage l'immense champ gazier avec l'Iran, M. de Margerie a réitéré, lundi 12 mai, son intérêt "sur le long terme" pour des partenariats en Iran, tout en ajoutant qu'il ne faut pas s'attendre à une décision rapide. Total hésite à investir plusieurs milliards de dollars dans Pars LNG, un projet d'extraction et de liquéfaction de gaz. Plusieurs compagnies pétrolières tergiversent aussi. L'anglo-néerlandais Shell et l'espagnol Repsol veulent renégocier le contrat d'exploitation d'un bloc de South Pars, signé en 2002, qui devait déboucher sur une production en 2007, et se donner du temps.

Ces hésitations ne sont pas du goût des Iraniens. "L'Occident affirme que l'Iran est en train d'expulser Total et Shell, mais aucun ultimatum ne leur a été adressé", a récemment déclaré le ministre du pétrole. En mars, Gholam Hossein Nozari leur avait pourtant signifié qu'ils avaient jusqu'au mois de juin pour se décider. Et Téhéran ne cesse de rappeler que, en cas de délais excessifs, le russe Gazprom et des groupes indiens ou chinois prendront leur place.

Non sans dépit, les Iraniens constatent en effet que sur la côte opposée du golfe Persique, le Qatar est devenu en quelques années le premier exportateur mondial de GNL grâce à des partenariats avec les majors étrangères. Puits d'extraction et usines de liquéfaction du gaz sont si nombreux que Doha a décidé un moratoire sur les nouveaux investissements gaziers jusqu'en 2010 !

CONCURRENCE RUSSO-IRANIENNE

Téhéran en est encore à se demander ce que le pays doit faire de son gaz. "Il existe un débat interne sur la définition des priorités gazières : privilégier l'utilisation du gaz pour la consommation interne (L'Iran a dû en importer cet hiver), les injections dans les champs de pétrole (pour améliorer le pompage) ou les exportations", souligne Clément Therme, spécialiste de l'Iran à l'Institut français des relations internationales (IFRI).

Faute de capacités financières suffisantes, l'Iran ne peut suivre toutes ces pistes. Dans tous les cas, ajoute M. Therme, "d'importants investissements étrangers seront indispensables pour réaliser l'objectif fixé par les autorités : devenir le troisième producteur mondial d'ici dix ans". Une ambition systématiquement contrariée par Washington. La loi d'Amato, votée par le Congrès en 1996, sanctionne tout investissement important dans la République islamique. Et les Etats-Unis, qui n'ont cessé de renforcer leur arsenal, font pression sur les banques et les industriels de l'énergie pour tuer dans l'oeuf toute velléité de conclure des affaires avec la République islamique.

En attendant des jours meilleurs, l'Iran cherche à prouver qu'il est resté un grand pays pétrolier capable d'exploiter seul ses richesses. Son président, Mahmoud Ahmadinejad, est de ceux qui veulent pousser les sociétés nationales à démontrer leur capacité à se passer des technologies et des financements occidentaux. Après le quasi-retrait du japonais Inpex fin 2006 - sous la pression des Etats-Unis, indiquaient alors certaines sources -, il a fait de la mise en production en février de l'énorme champ d'Azadegan (sud-ouest) un enjeu autant politique qu'économique.

Plus complexe, la production de GNL nécessite le recours au savoir-faire des majors étrangères. Gazprom peut-il se substituer aux Occidentaux et renforcer ainsi son emprise sur les livraisons vers l'Europe ? Le géant russe ne dispose pas de compétences dans ce domaine et n'a donc fait aucun investissement massif dans South Pars. Quant au rapprochement énergétique scellé en 2007 par M. Ahmadinejad et Vladimir Poutine, il ne fait pas l'unanimité à Téhéran, où certains courants dénoncent la vieille tentation "impérialiste" russe, rappelle M. Therme.

Sous couvert du rapprochement Téhéran-Moscou dans l'énergie (électricité, nucléaire, pétrole), les deux pays sont en fait concurrents. La situation géographique de l'Iran en fait un fournisseur-clé de l'Europe et de l'Asie. Or Gazprom ne souhaite pas que le gaz iranien coule vers le Vieux Continent, notamment dans le pipeline Nabucco, ce qui en ferait un rival redoutable. Et sans l'or bleu iranien, ce projet de gazoduc soutenu par l'Union européenne et les Etats-Unis n'est pas viable puisque l'Europe a si mal manoeuvré en Asie centrale qu'elle a laissé la Russie préempter une partie du gaz des pays à l'est de la Caspienne.

Avec le pétrolier italien Eni, Gazprom défend son propre "tuyau", le South-stream, qui acheminera le gaz de Sibérie et d'Asie centrale au coeur de l'Europe, ce qui accroîtra sa dépendance. Et Moscou soutient le "gazoduc de la paix" reliant l'Iran à l'Inde (et peut-être à la Chine) à travers le Pakistan. Un projet vigoureusement combattu par Washington, qui voit là un moyen pour la République islamique de sortir de son isolement économique et diplomatique.

Jean-Michel Bezat




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mardi 13 mai 2008

Attentat de Shiraz: l'Iran arrête 12 personnes, accuse les USA et la GB

La justice iranienne a annoncé mardi l'arrestation de douze personnes, accusées d'avoir participé à l'attentat ayant fait 13 morts en avril dans une mosquée à Shiraz (sud), et qui ont "avoué" avoir reçu une aide financière des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne.

"Jusqu'ici, 12 individus ont été arrêtés en lien avec l'incident terroriste (...) des explosifs, des armes, des équipements et du cyanure ont été saisis", a déclaré le porte-parole de la justice, Alireza Jamshidi lors de son point de presse hebdomadaire.

"Ils sont actuellement interrogés et ont avoué leurs liens avec des étrangers, en particulier avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis", a ajouté M. Jamshidi, qui a affirmé qu'ils "seront sévèrement punis".

Les autorités iraniennes avaient annoncé la semaine dernière l'arrestation de six personnes.

Selon M. Jamshidi les individus arrêtés ont reçu "un entraînement pour fabriquer des bombes et, en vérifiant leurs comptes bancaires, le soutien financier par les étrangers aux terroristes est devenu clair".

"Ces choses sont désormais claires, ils les ont avoué, ils ont avoué leurs liens avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne", a ajouté le porte-parole.

Téhéran a imputé jeudi à des groupes monarchistes soutenus par les pays occidentaux l'attentat qui a fait 13 morts et 200 blessés à Shiraz le 12 avril, après avoir annoncé la veille l'arrestation du cerveau de l'opération.

Les autorités iraniennes avaient un temps affirmé que l'explosion, qui s'était produite dans une mosquée bondée, était accidentelle.

"Ils projetaient de commettre d'autres attentats à la bombe dans des endroits très fréquentés", a encore affirmé M. Jamshidi.

Les journaux iraniens ont rapporté, citant des sites internet, que les personnes arrêtées avaient planifié un attentat à la foire du livre de Téhéran, qui s'est achevé dimanche.

Des attentats meurtriers ont été perpétrés ces dernières années dans des villes frontalières de l'Iran, où résident des minorités ethniques. Les autorités iraniennes ont accusé les Etats-Unis et la Grande-Bretagne d'en être les instigateurs.

Mais une attaque dans une ville telle que Shiraz, l'une des plus grandes du pays, est sans précédent. Cette cité historique est éloignée de toute zone frontalière et ne compte pas de minorités importantes.



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vendredi 9 mai 2008

Iran, Pakistan, Inde, ou l’entente gazière

Pour sa première visite à New Delhi, le 29 avril 2008, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad n’est resté que quelques heures, mais son passage a marqué les esprits. D’abord par la qualité de ses rencontres : la présidente de la République Pratibha Patil et le premier ministre Manmohan Singh. Ensuite par la relance du projet de gazoduc reliant l’Iran à l’Inde en passant par le Pakistan. Ce dernier semble désormais sur les rails, la construction devant commencer d’ici à 2010. Tous les détails ne sont pas encore réglés - il s’en faut de beaucoup. Mais le principe est retenu. « Le gazoduc est faisable, a déclaré lors d’une conférence de presse le ministre indien des affaires étrangères, M. Shiv Shankar Menon, et c‘est plus qu’un accord commercial. » (Agence France-Presse, 29 avril 2008.)

Pour saisir l’importance ces progrès, il faut savoir que les premières négociations datent de… 1994. L’idée de départ est de puiser dans les énormes réserves gazières de l’Iran (les deuxièmes plus importantes du monde) pour alimenter les besoins énergétiques de l’Inde, qui grimpent à vive allure et sont couverts aux trois quarts par des importations. (Lire « Actualité stratégique en Asie », n° 8, 15 mars 2007.) Rien de plus logique que de construire un gazoduc long de 2 700 kilomètres, qui, selon les prévisions actuelles, apporterait 90 millions de mètres cubes de gaz par jour à l’Inde, et 50 à 60 millions de mètres cubes au Pakistan. Plus simple et moins coûteux à terme que par la mer (voir Philippe Rekacewicz, « En Asie, des projets de construction de voies d’acheminement du pétrole et du gaz »). Mais, depuis quatorze ans, les discussions se sont enlisées. Nombres d’experts ont même cru le projet définitivement enterré, au début des années 2000. D’où l’importance de ces pourparlers relancés la semaine dernière. Et cela, à plus d’un titre.

1. Le pipeline de la paix

Ce nouveau coup d’envoi signifie, d’abord et avant tout, un accord entre l’Inde et le Pakistan, qui ont connu des guerres à répétition pour le partage du Cachemire - la dernière en date remontant à 1999, sur fond de course à l’armement nucléaire (lire Jean-Luc Racine, « Entre Washington et les talibans, les ambiguïtés du Pakistan », février 2007). Jusqu’à présent, les relations entre les deux voisins étaient si détériorées que la traversée du territoire pakistanais apparaissait inacceptable aux yeux des dirigeants indiens (et de la population). « Pas question de laisser notre indépendance énergétique entre les mains d’Islamabad », m’expliquait encore, en 2005, un diplomate indien qui voyait déjà le général Pervez Moucharraf fermant de ses propres mains les robinets du gazoduc et privant l’Inde d’une énergie si indispensable. Certes, depuis 2001, le dialogue a repris entre les frères ennemis, et progressivement les échanges commerciaux se sont étoffés. Mais on reste fort loin de l’entente cordiale et de la paix.

C’est dire le changement d’attitude de part et d’autre dont témoigne cet accord tout neuf pour la mise en place des tuyaux gaziers. En effet, le 25 avril 2008, les deux ministres du pétrole, M. Murli Deora pour l’Inde et M. Khwaja Asif pour le Pakistan, sont arrivés à « un consensus sur les principes pouvant aboutir à un accord », selon leur déclaration commune. Les « deux parties, est-il précisé, reconnaissent l’immense valeur économique et stratégique du pipeline » (« India, Pakistan hope IPI pipeline will begin next year », Indianews.com, 25 avril). « L’Inde, a commenté M. Deora, croit que la coopération économique avec ses voisins n’est pas seulement une nécessité mais qu’elle permet d’établir la confiance et de renforcer les relations ». Ce « pipeline de la paix », comme on l’appelle parfois, a donc une importance autant diplomatique qu’énergétique. Comme le notait le commentateur Edward Luce, ancien collaborateur de M. William Clinton au milieu des années 2000, « ce serait un puissant incitatif au maintien de la stabilité entre l’Inde et le Pakistan » (In Spite of the Gods. The Strange Rise of Modern India, Little, Brown, Londres, 2006).

Le différend sur le montant des droits et des taxes pour le transit n’est pas effacé : le Pakistan réclamait deux fois plus que ne le proposait l’Inde, jusqu’à une date récente. Mais New Delhi et Islamabad cherchent un compromis. Et l’accord élaboré par les deux ministres du pétrole devrait être ratifié par leurs gouvernements respectifs.

2. L’ingérence américaine en échec

Depuis son rapprochement avec New Delhi (lire Christophe Jaffrelot, « Pari américain pour l’Inde », septembre 2006), l’administration américaine fait pression pour que les autorités indiennes abandonnent ce projet. Le porte-parole du département d’Etat, M. Sean McCormak, a « mis en garde » ses partenaires (le Pakistan comme l’Inde) contre ce projet. Et d’ajouter : « Alors que l’Iran est sous le coup de sanctions de la part de la communauté internationale, est-ce bien le moment de conclure un accord avec l’Iran ? » (« India, Iran to discuss pipeline, ignoring US fears », Bloomberg.com).

En fait, les Etats-Unis espéraient que l’Inde troquerait ce projet contre un autre, tout aussi ambitieux mais plus maîtrisable à leurs yeux : le futur gazoduc reliant le Turkménistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde. Les troupes de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), que M. Nicolas Sarkozy vient de renforcer avec un contingent français, étaient censées sécuriser ces approvisionnements. On sait ce qu’il en est…

Certes, les quatre pays concernés ont relancé les pourparlers à la mi-avril. Mais l’enlisement occidental en Afghanistan et la menace d’un retour des talibans éloignent toute idée de construction à court terme d’un tel gazoduc. L’Inde préfère tenir que courir et refuse de mettre tous ses œufs énergétiques dans le même panier (proaméricain). D’où les pas accomplis pour la construction du gazoduc reliant l’Iran, malgré les risques et les instabilités qui perdurent au Pakistan (lire Selig S. Harrison, « Contestation indépendantiste au Baloutchistan », octobre 2006).

3. Un certain non-alignement indien

En recevant le président iranien et en redonnant vie au projet de gazoduc, le premier ministre Manmohan Singh a voulu marquer l’autonomie indienne. D’une part, à un an des élections, son gouvernement doit faire face à une forte opposition, au sein même de la coalition qui le soutient. Plusieurs partis et un grand nombre d’intellectuels lui reprochent un alignement trop marqué sur Washington. Ainsi, par exemple, sept anciens dirigeants d’organismes officiels pour l’énergie nucléaire ont rédigé une note publique où ils pointent les dangers de l’accord passé avec les Etats-Unis – et toujours pas ratifié par le Parlement indien (The Hindu, 16 décembre 2006). D’autre part, les difficultés militaires en Afghanistan, l’enlisement dans la guerre d’Irak ne plaident guère pour une diplomatie totalement calquée sur le géant américain, même lorsque l’on est, comme New Delhi, à la recherche d’une stature internationale. Tout en ménageant les susceptibilités américaines, le premier ministre indien tente de naviguer entre les récifs, optant pour la solution lui paraissant la meilleure pour l’Inde. C’est ainsi que New Delhi a voté le renforcement des sanctions à l’encontre de l’Iran à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en 2005 et en 2006 sans pour autant rompre les liens économiques et diplomatiques. Il est évident que les besoins énergétiques indiens jouent un rôle, mais l’on aurait tort d’oublier le volet politique. Il faut aussi se rappeler que l’Inde est le deuxième pays musulman du monde (derrière l’Indonésie, mais devant le Pakistan).

Les dirigeants indiens veulent-ils revenir aux origines du non-alignement cher à Jawaharlal Nehru ? Il est sans doute trop tôt pour l’affirmer. Mais le fait est qu’ils n’ont pas cédé aux injonctions de l’administration Bush.
Martine Bulard


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dimanche 4 mai 2008

Iran: l'inflation sur 12 mois a atteint 19,1% en avril

Le taux d'inflation a atteint 19,1% en Iran sur les douze mois précédant le 19 avril 2008, avec une forte accélération au cours des derniers mois, ont rapporté dimanche les journaux iraniens citant des chiffres officiels.

L'inflation en mars dernier sur 12 mois avait été annoncée à 18,4%. Ce taux s'établissait à 12,8% en avril 2007.
L'inflation est plus forte dans les zones urbaines, selon la Banque centrale, qui a précisé que le taux atteignait 19,5% à Téhéran pour avril, précise la presse.
L'ex-ministre de l'Economie, Davoud Danesh Jaafari, qui a durement critiqué l'amateurisme de l'entourage du président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad, avait affirmé début avril, peu avant son départ, que "le gouvernement avait échoué à contrôler l'inflation".
Cette inflation est notamment le fruit d'une injection massive dans le circuit économique de fonds publics, rendue possible par la hausse des revenus de la vente du pétrole.
Le président Ahmadinejad a largement puisé dans cette cagnotte pour distribuer de l'argent à travers le pays, notamment en attribuant de petits prêts à taux faible, et financer des projets d'infrastructures, gonflant la masse monétaire en circulation de près de 40% au cours de l'année iranienne passé (mars 2007 - mars 2008).
De nombreux responsables politiques et religieux ont critiqué cette politique économique, qui a entraîné une forte hausse de l'inflation.
Selon les experts, l'inflation devrait encore s'accélérer au cours des prochains mois. Certains spécialistes estiment que le chiffre officiel de l'inflation est en dessous de la réalité et que ce taux dépasse en fait les 25%.



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samedi 3 mai 2008

Nucléaire iranien: nouvelles mesures incitatives pour Téhéran

Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l'Allemagne, réunis vendredi à Londres, sont convenus de faire de nouvelles propositions à l'Iran pour l'inciter à renoncer à son programme nucléaire, a annoncé le chef de la diplomatie britannique, David Miliband.

"Je suis heureux de dire que nous sommes parvenus à un accord sur une offre à présenter au gouvernement iranien", a-t-il dit à la télévision. Il a ajouté que les détails de cette offre ne seraient pas rendus publics.

Toutefois, un diplomate d'un pays de l'Union européenne a indiqué par la suite qu'aider Téhéran à développer de l'électricité nucléaire restait au coeur de la nouvelle offre qui renferme des éléments économiques propres à la rendre plus séduisante.

Jeudi, la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice avait fait part de son scepticisme quant à de nouvelles mesures incitatives pour encourager l'Iran à mettre fin à son programme d'enrichissement d'uranium.

Elle avait à l'inverse appelé à une application plus stricte des sanctions décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies contre Téhéran.

Pour les Etats-Unis et plusieurs pays occidentaux, le programme nucléaire iranien masque le développement clandestin d'armes atomiques. Téhéran dément et assure ne vouloir que produire de l'électricité pour pouvoir exporter une plus grande partie de ses hydrocarbures.

L'Iran a rejeté une proposition incitative formulée en juin 2006 et a affirmé que les sanctions n'avaient pas d'effet sur son programme nucléaire.

Arshad Mohammed, version française Guy Kerivel


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Il ne faut pas avoir peur de l'Iran




L'Iran, soupçonné de vouloir se doter de l'arme atomique, est frappé de sanctions internationales et, régulièrement, à Washington, l'idée d'une opération militaire refait surface. L'image de ce pays se réduit souvent à l'étranger à celle des diatribes inquiétantes de son président, Mahmoud Ahmadinejad, pour "rayer Israël de la carte". Faut-il vraiment avoir peur de l'Iran ?

L'Iran n'a pu exporter sa révolution islamique, mais garde une capacité de nuisance, au Sud-Liban avec le Hezbollah, en Irak ou ailleurs. En réalité, l'Iran est faible. Il crie d'autant plus fort, comme Ahmadinejad, qu'il veut "détruire Israël" qu'il sait qu'il n'en a pas la capacité. Téhéran sait qu'il ne peut rien régler dans la région, mais aussi que rien ne s'y réglera sans lui. Et cette certitude le fait crier encore plus fort. L'Iran fait peur, parce qu'on le réduit à quelques images fortes et qu'on n'essaye pas de comprendre ce qu'est ce pays aujourd'hui. Beaucoup en Occident traitent la République islamique comme si elle était illégitime et transitoire. Pourtant, la révolution de 1979 était une révolution fondamentale.

De quoi est faite l'identité iranienne ?

C'est la synthèse oscillante de trois facteurs : le nationalisme, l'islam, et la volonté d'être un acteur de la communauté internationale. Le nationalisme est une donnée ancienne, l'Iran a été le premier Etat indépendant de la région au Ve siècle avant J.-C. L'identité islamique avec le chiisme comme religion d'Etat remonte au XVIe siècle, sous chah Abbas. Le chiisme a façonné l'Iran comme le catholicisme a marqué la France. Le dernier facteur, c'est l'aspiration internationale, au sens de progrès scientifique, d'échanges. L'Iran a été le premier pays de la région où du pétrole a été trouvé en 1908, mais il est resté en marge de la révolution industrielle. Il y a trente ans, tout ce qui était novateur, scientifique, venait d'Occident, les physiciens étaient formés en France. A présent, ils sont formés en Iran. Il y a 2 300 000 étudiants, ils étaient 170 000 à la fin du chah Reza Pahlavi. Malgré l'image rétrograde qu'il projette, Ahmadinejad lui-même est ingénieur. En matière de technologie, les Iraniens ne veulent plus être de simples consommateurs de produits américains et français, mais des partenaires. Le pays a un potentiel de modernité étonnant et les moyens de participer à la mondialisation. D'où ce désir de s'intégrer à la vie du XXIe siècle.

C'est de là que vient le consensus unanime en Iran sur la recherche nucléaire ?

Je le pense. Personnellement je n'ai pas d'information confirmant ou non un programme militaire. Ce qui est évident, c'est que l'Iran, quel que soit à l'avenir son régime politique, aura la capacité scientifique de produire, s'il le souhaite, une arme nucléaire, comme le Japon ou l'Allemagne. C'est pour cela qu'il faut le prendre au sérieux. Il faut exiger qu'il tienne ses engagements mais aussi bénéficie de ses droits. Il y a une composante nationaliste évidente là derrière : chercher à acquérir une technologie autonome pour défendre éventuellement la patrie, c'est quasiment du gaullisme. Il y a aussi un défi scientifique. Voilà un pays sous embargo qui a réussi à enrichir de l'uranium à 4 %. C'est un brevet de modernité, dont même les Iraniens réfugiés aux Etats-Unis, qui vomissent Ahmadinejad et sont contre la bombe, sont fiers. Ensuite, il y a la récupération politique par le gouvernement et sa façon de négocier qui divise les Iraniens.

Le jeu politique consiste ainsi à gérer les tensions entre ces composantes de l'identité iranienne ?
En grande partie. Le chah Mohammad Reza Pahlavi a voulu marginaliser le chiisme. C'est une des raisons de sa chute en 1979. Plus tard, le président réformateur Mohammad Khatami, bien que religieux, a échoué, lui, pour avoir malmené les gardiens du dogme. Après huit ans d'une guerre avec l'Irak (1980-1988) qui combinait le côté patriotique et islamique, l'Iran voulait s'ouvrir à l'international. En 1997, le premier discours de politique étrangère de Khatami s'adressait "au peuple américain". Mais malgré le soutien de la grande majorité de la société civile, le mouvement réformateur a été paralysé par la double opposition du Guide Ali Khamenei, gardien du dogme, et des neocons américains qui voulaient un changement de régime et non juste des réformes en Iran.

Le mot réformateur est ambigu...

Khatami voulait infléchir la politique, pas changer le régime. Même s'ils critiquent le gouvernement et le régime, l'immense majorité des Iraniens et les partis politiques ne veulent pas d'une autre révolution. Je suis étonné quand des élus à Paris ou Bruxelles me demandent les chances en Iran du fils du chah ou des Moudjahidins, ces opposants de gauche qui ont viré à la secte politique et se sont discrédités en combattant auprès de Saddam Hussein. Ils ne représentent rien. C'est comme si on s'interrogeait sur les chances du comte de Paris en France ou des Khmers rouges au Cambodge... La société iranienne a subi une évolution profonde et durable depuis 1979. Toute une génération n'a connu que ce bain islamo-nationaliste. Une classe moyenne s'est créée. L'Iranienne d'aujourd'hui est fille de gardien de la révolution. Elle a un BTS de chimie et a épousé le commerçant du coin. Que veut-elle ? Sa place dans la société et un retour dans sa vie de la richesse du pays. Elle connaît le monde à travers Internet et sent que son pays doit s'ouvrir. Face à l'essor de cette société qui avance toujours plus, le pouvoir, paniqué, tente de l'étouffer sous la répression.

On voit aussi émerger une nouvelle génération de politiciens...

Ces jeunes qui avaient 20 ans à la révolution et ont connu la guerre en ont aujourd'hui 45-50. Ce sont des laïques, bons musulmans. Beaucoup viennent des anciens gardiens de la révolution (pasdarans), l'armée idéologique, ou des bassidjis, les milices volontaires. Leur arrivée dans la vie politique n'est pas une militarisation en soi, c'est normal dans un pays où des millions de jeunes se sont battus. Ils ont différentes approches. Ahmadinejad vient des bassidjis et représente les 20 % d'Iraniens traditionnels et conservateurs qui, même lorsqu'il s'agit de goudronner une route, disent agir pour la venue du Mahdi (Messie). Pour eux, le martyre est une réponse politique aux problèmes internationaux de l'Iran et tout ce qui est occidental est hostile.

Pourquoi le Guide a-t-il soutenu Ahmadinejad à la présidentielle de 2005 ?

En fait, le Guide a voulu porter au pouvoir la nouvelle génération des "fils de la révolution", fidèles aux principes de la République, mais capables de mettre fin à l'isolement du pays. Ahmadinejad paraissait le candidat le plus docile. Il faisait contrepoint à la phase khatamiste dont la politique d'ouverture était allée, de l'avis du Guide, trop vite, et trop loin. Or, Ahmadinejad a tout bloqué avec ses agressions verbales et sa méfiance vis-à-vis de l'extérieur. Le constat est accablant. L'économie va très mal et le pays est encerclé par la présence militaire américaine en Irak, en Afghanistan et dans le golfe Persique. Malgré sa richesse en gaz et en pétrole, l'Iran a besoin de 15 milliards de dollars par an pour maintenir les exportations. Au lieu d'investir, le gouvernement populiste d'Ahmadinejad distribue l'argent du pétrole. Le reste de ses exportations se réduit aux tapis et aux pistaches, comme au XVIe siècle. Alors, ces anciens combattants qui ont rêvé d'un Iran islamique fort se sentent floués par les mollahs qui ont laissé aller les choses et par Ahmadinejad, qui a isolé un peu plus le pays. Certains convaincus, surtout depuis les sanctions, que si rien ne change, l'Iran n'a pas d'avenir, tentent une troisième voie entre réformateurs et conservateurs.

Quel est le but de cette troisième voie ?
Etablir un Iran moderne sans perdre son identité. Ils ont compris l'erreur de Khatami : hors du Guide, point de salut. Rangés sous sa bannière ils défendent les valeurs fondamentales. Plus que conservateurs, ils se disent "fondamentalistes" "osulgaran", d'"osul", le fondement. Ce n'est pas un parti, mais des personnalités comme Ali Larijani, l'ex-négociateur du dossier nucléaire, ou Mohsen Rezaï, chef des pasdarans durant la guerre. Le plus marquant est le maire de Téhéran, Mohammad-Bagher Qalibaf. Candidat malheureux en 2005 à la présidence, il se présentera sans doute en 2009. A 23 ans, sur le front, il commandait 15 000 hommes à la bataille de Khoramchahr. C'est un Bonaparte iranien, avec une vision dynamique des relations avec l'étranger. Il s'est rendu cette année à Davos. Il veut rallier les classes moyennes, sortir l'Iran du désastre économique, lui rendre une crédibilité. Face à Ahmadinejad, des accords sont possibles entre lui, les réformateurs et les pragmatiques de l'ancien président Rafsandjani.

La suprématie du religieux sur le politique en Iran ne bloque-t-elle pas le jeu ?
Tout est mêlé, tout le monde contrôle tout le monde. Il y a des débats très vifs au Parlement, et en même temps, on l'a vu aux législatives, en mars, les rouages de contrôle religieux sélectionnent les candidats en amont. Le Guide, en haut de la pyramide n'est pas un dictateur pour autant. Son rôle de gardien du dogme, c'est de dire "non". Pas d'imprimer sa propre ligne, juste d'indiquer les limites du possible. Parfois, ses choix semblent contradictoires, en fait, c'est un arbitre. Et en ce moment, il cherche qui est porteur d'avenir parmi ces clans qui se déchirent. En attendant, le système, bloqué, a des aspects despotiques terribles. Certains songent à le changer de l'intérieur. De grands intellectuels religieux comme Mohsen Kadivar estiment même qu'il faut remettre l'islam à sa place, celle d'un idéal philosophique et spirituel car cet islam politique exacerbé n'est bon ni pour la religion ni pour la société. Une société dans laquelle les jeunes, notamment les femmes, majoritaires à l'université, étouffent. D'autres tombent dans la drogue.

C'est pourquoi, je crois qu'il faut oser parler avec l'Iran. Il faut le faire participer à ce bain de valeurs universelles qui irrigue le reste du monde. Mais sans imposer un modèle extérieur. Le Prix Nobel de la paix, Shirin Ebadi, est un bon exemple : elle défend les droits de l'homme, mais ne renie ni sa culture ni sa religion. Il y a d'autres Shirin Ebadi en Iran. Sur le plan politique, Qalibaf et les adeptes de la troisième voie ont peut-être une chance de faire évoluer les choses. Là encore, cela dépendra des Iraniens, mais aussi de nous Occidentaux. Et sans doute du résultat de l'élection présidentielle aux Etats-Unis.




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vendredi 2 mai 2008

Délégation irakienne en Iran, double attentat au nord de Bagdad

Une délégation de la coalition emmenée par le Premier ministre irakien Nouri al Maliki s'est rendue en Iran pour demander à Téhéran de cesser de soutenir des milices chiites, alors qu'une localité au nord-est de Bagdad a été endeuillée jeudi par un double attentat suicide.

Une délégation de l'Alliance irakienne unie (AIU) s'est envolée mercredi pour l'Iran afin de "demander au gouvernement iranien d'arrêter de financer et de soutenir les groupes armés", a déclaré Sami al Askari, un influent député de l'AIU, qui comprend les principaux partis chiites soutenant Maliki.

Djalal al Din al Saghir, un autre député de l'AIU, a expliqué que l'envoi de cette délégation avait été décidé au vu de "la grave détérioration de la sécurité récemment survenue en Irak".

Ce regain de violence a encore été illustré, jeudi, par un double attentat suicide qui a fait au moins 30 morts et 65 blessés sur un marché, dans une localité située au nord-est de Bagdad.

Un second kamikaze s'est fait exploser alors que la foule se précipitait pour porter secours aux victimes de la première attaque, une tactique souvent utilisée par les activistes pour faire un maximum de victimes.

D'après des chiffres communiqués par le gouvernement irakien, le mois d'avril a été le plus meurtrier pour les civils depuis août de l'an dernier.

IMPORTANTE SAISIE D'ARMES IRANIENNES

Par ailleurs, le commandant en chef des forces alliées en Irak, le général David Petraeus, a annoncé à Londres qu'un nombre "très, très significatif" d'armes iraniennes avaient été saisies depuis le début, fin mars, de l'offensive menée contre les milices.

Interrogé par la BBC à l'issue d'une rencontre avec le Premier ministre britannique Gordon Brown, Petraeus a déclaré que plus d'un millier d'obus de mortier et d'artillerie, des centaines de roquettes et des dizaines de bombes antichars avaient été saisis.

Des responsables américains accusent depuis longtemps l'Iran de fournir des roquettes, des bombes sophistiquées et une formation à des combattants chiites en Irak. Téhéran a nié soutenir les milices, qui disent obéir à l'imam radical chiite Moktada Sadr, lequel serait en Iran selon les Etats-Unis.

Washington s'est réjoui de la visite d'une délégation irakienne en Iran. "C'est une étape très importante", a déclaré le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates.

"Je pense que les Iraniens se préoccupent de leurs futures relations avec l'Irak (...) Veulent-ils travailler avec le gouvernement irakien ou cherchent-ils à renverser le gouvernement irakien?", a-t-il interrogé.

Le porte-parole du gouvernement irakien, Ali Al Dabbagh, a déclaré que la délégation demanderait des réponses précises au régime iranien, notamment sur la question de l'armement des milices.

"Toutes les questions qui ont été soulevées seront évoquées (...). Nous attendons et nous voulons que l'intervention de l'Iran (en Irak) se fasse par le biais du gouvernement élu et non par un tiers", a-t-il dit, sans préciser quels seraient les interlocuteurs côté iranien.


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Un ministre israélien affirme que l'Iran maîtrisera la fabrication de la bombe nucléaire dans quelques mois

Le ministre israélien Shaul Mofaz, ancien ministre de la Défense et ex-chef de l'état-major, a estimé jeudi que l'Iran pourrait posséder la technologie de fabrication de la bombe nucléaire dès cette année, avec au moins un an d'avance sur les prévisions les plus pessimistes.

Israël devrait "être prêt pour un tel scénario", a-t-il déclaré jeudi à la Radio de l'armée, après avoir exposé son point de vue la veille dans un discours à l'Université américaine de Yale, selon sa porte-parole Talia Somech. M. Mofaz n'a pas fourni d'éléments étayant sa nouvelle estimation.
Téhéran affirme que ses travaux nucléaires ont un but strictement civil, et le régime islamique refuse donc d'interrompre les activités les plus sensibles liées à l'enrichissement d'uranium. Nombre de pays, au premier rang desquels les Etats-Unis et l'Etat hébreu, soupçonnent l'Iran de développer un programme militaire clandestin. Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad appelle régulièrement de ses voeux la destruction d'Israël.
Le bureau du Premier ministre israélien Ehoud Olmert s'est refusé à tout commentaire des propos de Shaul Mofaz. Jusque-là, le renseignement militaire israélien estimait que l'Iran pourrait fabriquer une bombe nucléaire dans un ou deux ans.



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