samedi 19 juillet 2008

Washington tend la main à l’Iran

A la télévision iranienne, l’ex-président Ali Akbar Hachémi Rafsandjani se donnait du mal, mercredi soir, pour convaincre que Téhéran avait été bien inspiré d’accepter, en juillet 1988, un cessez-le-feu dans la guerre Irak-Iran. Sans l’arrêt des combats, disait-il, de grandes villes auraient été détruites par Saddam Hussein. Une façon de dire, à l’iranienne, en convoquant le passé, que le pays serait menacé de terribles destructions s’il persistait dans son bras de fer nucléaire. La République islamique triompherait en fin de compte, mais le prix à payer serait trop élevé. Même tonalité sur d’autres programmes de la télévision, comme sur le site de l’agence de presse officielle Irna, où l’on découvre des images d’apocalypse.

Compromis. Désormais, Téhéran reconnaît vivre sous la menace d’une possible intervention militaire américaine ou israélienne. On le confesse même au plus haut niveau. «Certains disent […] que Bush mènera une action [militaire contre l’Iran, ndlr] durant les derniers mois de son mandat […]. Si quelqu’un commet une telle action, le peuple iranien le poursuivra et le punira, même s’il n’est plus au pouvoir», a lancé le Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei. Même le président Mahmoud Ahmadinejad, longtemps réticent à admettre l’idée une telle attaque, a fini par s’en convaincre. D’où l’impression donnée à présent par le régime que tout est fait pour prévenir ou parer une telle opération. C’est dans ce contexte que Téhéran a fini par accepter de rencontrer les Six, les cinq pays membres du Conseil de sécurité plus l’Allemagne, conduits par le diplomate en chef de l’Union européenne (UE), Javier Solana, afin d’essayer de trouver un compromis sur la crise nucléaire. Ces discussions se dérouleront demain à Genève.

Une rencontre exceptionnelle puisque participera, pour la première fois depuis 1979, un diplomate américain de premier plan, le sous-secrétaire d’Etat américain pour les Affaires politiques, William J. Burns, numéro 3 du département d’Etat. «Le geste américain est courageux et substantiel. La présence de Burns permettra de renforcer ceux qui, au sein du régime iranien, veulent négocier», commente une source diplomatique européenne. Même si Washington prend soin d’en minimiser la portée, précisant qu’il s’agit d’une mission sans lendemain et que Burns n’aura pas de tête-à-tête privé avec Saïd Jalili, le chef de la délégation iranienne, son déplacement constitue un revirement spectaculaire de l’administration Bush. Celle-ci avait fait jusqu’alors de la suspension de l’enrichissement d’uranium la condition impérative d’une présence américaine à des négociations multilatérales avec l’Iran.

A Téhéran comme à Washington, les lignes ont donc bougé. Mais très peu. Ahmadinejad continue de répéter que l’Iran n’acceptera pas de suspendre son programme d’enrichissement et décrit la nouvelle offre de coopération élargie avec l’Iran - en échange de cette suspension - présentée mi-juin par Solana comme «un nouveau jeu qui n’apportera rien d’autre que l’humiliation» ; le «paquet» offert par l’UE est pourtant substantiel, avec un volet économique et un autre nucléaire. Avant, il y avait eu les déclarations d’Ali Velayati, un conseiller du Guide suprême, pour qui l’Iran a intérêt à trouver un compromis avec les Six. Mais, dans les milieux diplomatiques, on estime que ses pouvoirs sont limités.

Ce qui complique tout, ajoute-t-on, c’est que le Guide «laisse tout le monde parler en son nom». Néanmoins, il semble que les pays européens aient reçu des «signaux significatifs». D’abord, d’Ahmadinejad lui-même qui, le temps d’un discours, vient de briser quelques tabous, empiétant sur les prérogatives du Guide : il s’est déclaré favorable à des négociations avec Washington, et même à l’ouverture d’une section d’intérêts américains à Téhéran ; il a aussi prétendu que l’Iran était en mesure d’arriver à la «connaissance nucléaire», ce qui est différent que d’arriver à l’enrichissement.

Les Iraniens et les Six vont donc discuter à Genève, ce qui n’était pas arrivé depuis plusieurs années. D’où «la mise en scène» orchestrée par Téhéran pour justifier ces pourparlers. Mais sur quoi porteront-ils ?

Pourparlers. Les Six, qui cherchent à provoquer «une dynamique de négociations», ne veulent surtout pas affoler Téhéran. Outre le pactole offert en échange de la suspension définitive de l’enrichissement, ils proposent des prénégociations de six semaines. Au cours de celles-ci, l’Iran renoncerait à poursuivre l’enrichissement et les Six n’adopteraient pas de nouvelles sanctions. C’est la formule «gel contre gel».

L’Iran acceptera-t-il ou cherchera-t-il à gagner du temps ? Personne n’a la réponse. D’autant plus que le régime obéit à une règle qui ne souffre pas d’exception : sauver la face. Ce qui pourrait consister à négocier tout en prétendant ne pas le faire. A dire secrètement oui tout en claironnant non. Il lui resterait à trouver la formule magique d’une telle opération.


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