mercredi 17 septembre 2008

Les plans de Téhéran en cas de frappes hostiles

La marine iranienne prépare des attentats aux bateaux suicides contre la flotte américaine.

Une «attaque en bande, comme des loups» contre les bateaux américains : c'est la tactique de guerre éclair mise au point par la marine iranienne dans les eaux du golfe Arabo-Persique, en riposte à d'éventuelles frappes contre les installations nucléaires de Téhéran. Pilotées par des gardiens de la révolution fanatisés, une vingtaine de petites embarcations donnent régulièrement l'impression de fondre sur des navires occidentaux croisant dans les eaux internationales. Des attentats aux bateaux suicides «ne laisseront aucune chance de s'enfuir aux ennemis», avertit Ali Shirazi, représentant du guide suprême auprès des gardiens, l'armée idéologique du régime, qui menace de mettre le feu à Tel-Aviv et à la flotte américaine dans le Golfe, en cas d'attaque contre l'Iran.
«Avec leurs patrouilleurs et leurs vedettes rapides armées de lance-roquettes, les Iraniens peuvent faire des dégâts aux gros bateaux occidentaux», reconnaît un haut responsable du ministère de la Défense à Paris, qui surveille les mouvements iraniens dans le Golfe.
Outre trois sous-marins soviétiques (de classe Kilo) et une petite dizaine de mini-sous-marins pouvant délivrer des commandos de forces spéciales, Téhéran dispose, au total, d'un millier d'embarcations armées, dont plusieurs centaines de vedettes rapides, prêtes à des missions kamikazes. «Leur furtivité et la détermination de leur équipage les rendent particulièrement dangereuses», estime Hubert Britsch, ancien attaché militaire à Téhéran.
Une action de guérilla aéromaritime est redoutée par les pays arabes, impuissants, sur l'autre rive du Golfe. Fin août, les marines de plusieurs monarchies ont repéré un «durcissement» de l'activité des pasdarans dans les eaux internationales. Signe de l'imminence d'une attaque, le départ de certains navires américains a même relancé les spéculations sur des bombardements. Bluff ou non de la part de Téhéran ? À chaque fois, comme en janvier, date du dernier incident connu, on redoute le faux pas, qui déclencherait les hostilités.

Signaux contradictoires

Sans donner l'impression de se préparer à des frappes, auxquelles Téhéran dit ne pas croire, les Iraniens viennent tout de même de procéder à un nouveau test du Raad, un missile antinavire, dont la portée dépasserait les 300 km. Ils auraient également mis au point un nouveau sous-marin de classe moyenne, le Ghaem, capable de lancer des torpilles. Même si Téhéran est passé maître dans l'art de dissimuler ou d'exagérer ses forces, dans le Golfe, sa «capacité de nuisance» doit être d'autant moins sous-estimée que c'est dans le domaine naval que la coordination fonctionne le mieux entre les pasdarans et leur rival, l'artesh, l'armée régulière. Les premiers peuvent notamment s'appuyer sur des avions de détection sous-marine (des Orions américains notamment), capables de repérer des sous-marins adverses très silencieux, s'inquiète-t-on dans les états-majors occidentaux.
Les Iraniens iraient-ils jusqu'au mouillage de mines dans le détroit d'Ormouz, pouvant conduire à la fermeture de ce canal, qui leur permet d'exporter le pétrole, si précieux à leur économie ? Ces derniers mois, Téhéran a envoyé à ce sujet des signaux contradictoires.
Une chose paraît certaine : aucune installation militaire ou politique américaine dans le Golfe n'est à l'abri de frappes de rétorsion iraniennes. Mais dans les airs comme en mer, pour contrer la défense adverse, les Iraniens devront avoir recours à la même tactique de saturation de l'espace. Pendant un temps donné, leurs tirs de missiles devront être suffisamment nombreux pour passer au travers des mailles de la défense aérienne, et finalement toucher leurs cibles. Celles-ci ont déjà été définies. De la base américaine d'al-Udeid au Qatar, en passant par les installations pétrolières saoudiennes, les objectifs ne manquent pas. Et l'Iran a déjà transmis un message aux pays arabes, leur demandant de ne pas autoriser les Américains à utiliser leur territoire pour attaquer la République islamique.
Face aux Émirats arabes unis, les Iraniens ont prépositionné des missiles sol-sol tactiques CR8 Silwan sur les îles Tomb et Abou Moussa, que revendique Abu Dhabi. Au total, Téhéran disposerait d'un millier de missiles balistiques et tactiques, pouvant être tirés à partir de lanceurs mobiles, de tout point du pays. Si leur système de guidage laisse souvent à désirer, en revanche «leur mise en place dans des sites de desserrement pourrait ne pas être détectée, car les véhicules peuvent être camouflés en semi-remorques civils», prévient Hubert Britsch, qui n'écarte pas l'installation de têtes chimiques.
D'une portée de 150 à 500 km, leurs 450 missiles sol-sol stratégiques (CSS-8, Shahab 1 et 2) peuvent tous atteindre les bases américaines dans le Golfe. Mais les plus dangereux sont les Shahab 3 une vingtaine seuls capables de frapper Israël, grâce à une portée entre 1 300 et 1 500 km. De récents tirs de missiles effectués au cours de manœuvres étaient «un signal clair» de la détermination de Téhéran. Mais l'un des engins était manifestement «traficoté». S'agissait-il d'un Shahab 3 modifié, ou d'un autre d'une plus longue portée, résultat d'un programme technologiquement crédible, capable de porter une charge nucléaire. Le mystère demeure.
Si Téhéran peut riposter directement, ce n'est certainement pas ce mode d'action, aux conséquences désastreuses, que l'Iran privilégiera, estiment la plupart des experts. Grâce à ses relais en Irak, en Afghanistan, au Liban, dans le Golfe, voire en Afrique, la République islamique optera plutôt pour le non-conventionnel.

Alliances de circonstance


Chez son voisin irakien, les gardiens de la révolution accentueraient la pression sur les milices chiites qu'ils soutiennent depuis 2003 (l'Armée du Mahdi de Moqtada al-Sadr et la Force Badr). Les 140 000 soldats américains seraient des cibles toutes désignées. En cas de frappes contre son territoire, Téhéran n'aurait plus aucune raison de restreindre sa capacité de nuisance, comme il se l'impose jusqu'à présent en Irak.
En Afghanistan, l'Iran n'hésiterait pas, non plus, à nouer une alliance de circonstance avec ses ennemis sunnites talibans. Déjà, des armes et des engins explosifs improvisés y ont été livrés par Téhéran. Sur le dossier afghan, l'Iran estime avoir été fort mal récompensé de sa «neutralité positive» adoptée après les attentats du 11 septembre 2001 : George Bush plaça, juste après, le régime des mollahs sur «l'axe du mal».
Au nom de ce même pragmatisme, un appui momentané à al-Qaida n'est pas à exclure. Téhéran est fortement soupçonné d'abriter quelques cadres de la mouvance terroriste. Malgré la haine qu'ils se vouent mutuellement, al-Qaida n'a jamais frappé l'Iran. Est-ce vraiment un hasard ?
Au Liban, son allié, le Hezbollah, serait vraisemblablement autorisé à utiliser ses armes les plus sophistiquées contre Israël. Les experts estiment en effet que le réarmement de la milice chiite, depuis la guerre de l'été 2006 contre Israël, a été conditionné par un engagement du Hezbollah à ne les utiliser que contre l'État hébreu. Il pourrait en être de même en Palestine avec le Hamas et le Djihad islamique, qui ont réussi à améliorer la portée de leurs missiles ces dernières années.
Enfin, dans les monarchies du Golfe, l'Iran pourrait s'appuyer sur les minorités chiites, souvent victimes de discriminations de la part des régimes sunnites en place. Que ce soit en Arabie saoudite, au Koweït, et a fortiori à Bahreïn, où les chiites (majoritaires) commencent à manifester violemment. Certains membres du clergé pourraient y mobiliser des foules. Dans le passé, des attentats ont été commis par des chiites inspirés par Téhéran, notamment en 1996, contre le site pétrolier d'al-Khobar en Arabie saoudite.
Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi Nicolas Sarkozy a parlé de «catastrophe», lorsqu'il a évoqué la semaine dernière à Damas, les conséquences d'une frappe israélienne contre l'Iran.

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