samedi 22 novembre 2008

Les limites de la diplomatie des "bons offices" pratiquée par Ankara

Depuis deux ou trois ans, il y a peu de conflits au Moyen-Orient et à ses confins qui n'aient fait l'objet de bons offices turcs. Contentieux syro-israélien, interpalestiniens, indo-pakistanais, afghano-pakistanais ou caucasiens, tous ont eu droit à des efforts publics de médiation des dirigeants "post-islamistes" d'Ankara. Ceux-ci, tout en démentant vouloir ainsi compenser leurs déboires avec l'Union européenne, se sont activement tournés vers leurs "profondeurs stratégiques" orientales, oubliées à la chute de l'Empire ottoman. Mais on ne leur a pas - ou pas encore - décerné des lauriers pour autant.

Leur contribution au dégel des relations entre la Syrie et Israël fut certes applaudie, mais leurs invitations lancées à des "parias", comme le chef du Hamas, Khaled Meshaal, ou le président soudanais, Omar Hassan Al-Bachir, ont fait grincer bien des dents. Les espoirs d'Ankara de voir ces deux hommes assouplir en retour leurs positions furent déçus ; il en fut de même pour le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, invité en Turquie en août et qui en a surtout profité pour consolider ses positions chez lui.

Mais les dirigeants turcs persévèrent, non sans admettre que tout succès dépend de Washington. L'arrivée de Barack Obama ouvrant les espoirs, le chef du gouvernement turc, Recep Tayyip Erdogan, a relancé, en marge de son invitation au sommet du G20 le 15 novembre, une offre de médiation turque dans le dossier iranien, à laquelle Téhéran s'est déclaré "non opposé". Mais d'autres déclarations de M. Erdogan lors de cette visite ont brouillé son message. Il a appelé "les pays qui pressent l'Iran d'abandonner son programme nucléaire militaire" à renoncer d'abord à ces armes eux-mêmes. Ce qui n'est pas la position de son pays, membre de l'OTAN.

Gaffe ? Inexpérience ? Ses opposants ont mis cela au compte de ses emportements habituels, pouvant mettre à mal toute bonne initiative de la Turquie.

Car son nouvel activisme diplomatique est vu avec espoir, surtout dans le monde arabe et musulman. Le principal atout de ce pays hybride qu'est la Turquie - sa capacité à traiter avec "tout le monde" - se renforce avec l'éclaircie attendue de l'arrivée de M. Obama.

Signe des temps, alors que Washington s'était fermement opposé au partenariat gazier Turquie-Iran, ces deux pays l'ont encore renforcé par un nouvel accord signé lundi 17 novembre. Ankara faisant maintenant valoir qu'il pourra ainsi réduire non seulement sa propre dépendance au gaz russe, mais aussi à terme celle de l'Europe.

Les handicaps ne manquent pourtant pas aux ambitions de la Turquie. Elle a déployé des efforts coûteux pour devenir, en octobre, membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Ce qui devrait l'obliger, lors des votes, à indisposer soit les Etats-Unis, soit la Russie, alors qu'elle en dépend et veut les ménager pareillement. La Turquie aurait-elle voulu ce siège par "simple fierté nationale", comme le dit l'expert Gareth Jenkins ? Son déploiement tous azimuts, avec l'ouverture de multiples ambassades en Afrique et en Asie, dépasse ses capacités, ne fut-ce qu'en expertise.

Mais cette recherche d'un poids international découle aussi de deux impératifs : le besoin économique de voir se stabiliser son environnement régional et, plus encore, son désir de s'assurer le maximum d'appuis diplomatiques sur la question kurde, son problème crucial. C'est une complicité tacite contre tous les Kurdes indépendantistes qui cimente son rapprochement avec la Syrie et l'Iran. De même que celui qu'elle vient d'opérer, sous pression des Etats-Unis, avec l'Irak.

Mercredi 19 novembre, a été créé à Bagdad un "comité anti-rebelles kurdes du PKK (Parti des travailleurs kurdes)" entre Américains, Turcs et Irakiens, comprenant pour la première fois un représentant de la région autonome du Kurdistan d'Irak, ostracisée jusque-là par Ankara. Ce qui laisse espérer que les dirigeants turcs sauront un jour traiter leurs propres conflits internes, avec les Kurdes avant tout, en usant de la même sagesse que celle qu'ils apprennent à déployer hors de leurs frontières.
Sophie Shihab

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