mercredi 26 novembre 2008

Que doit faire la nouvelle administration avec l'Iran ? Les experts n'ont pas la réponse

Que faire du dossier iranien ? Dans l'atmosphère de changement qui règne à Washington, les cercles de réflexion tiennent colloque sur colloque. Pendant des années, l'essentiel du débat a tourné autour des frappes militaires, "entre ceux qui pensaient qu'on devrait parler d'abord aux Iraniens et ceux qui pensaient que ce n'était même pas nécessaire", résume James Dobbins, ex-envoyé spécial de l'administration Bush en Afghanistan.

Avec l'élection de Barack Obama, c'est "le candidat du dialogue" qui "a prévalu", note-t-il. "Il y a maintenant une dynamique forte" en faveur de négociations inconditionnelles avec Téhéran, ajoute Goli Fassihian, du Conseil national iranien-américain (NIAC). Même si Hillary Clinton devient secrétaire d'Etat, la question n'est plus de savoir s'il faut parler mais quand, comment et avec qui. Le ton est tout sauf menaçant. "Quand un vice-ministre israélien a parlé d'attaque, il y a quelques mois, le prix du baril a augmenté de 11 dollars, dit Karim Sadjadpour, du Carnegie Endowment for International Peace. Lorsqu'on les menace, on les aide à réduire le coût de leur programme nucléaire. Et c'est 1 million de plus pour le Hezbollah."

Quand Barack Obama prendra ses fonctions le 20 janvier, les Iraniens seront à quelques semaines du 30e anniversaire de leur révolution (le 11 février). Les analystes ont beau relire ses déclarations, ils n'y voient pas d'indication très concrète de ses orientations. Pendant la campagne, il a affirmé aussi bien qu'il n'hésiterait pas à faire usage de "tous les éléments de la puissance américaine" que proposé de rencontrer le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, sans conditions (ce qu'il a affiné ensuite en rencontre avec "le dirigeant iranien approprié, à un endroit et un moment à (sa) convenance, si et seulement si cela peut faire avancer les intérêts des Etats-Unis").

L'Iran doit tenir une élection présidentielle en juin 2009. Faut-il engager le dialogue avant ? "Je ne commencerais pas quelque chose de substantif maintenant, dit Karim Sadjadpour. Tout grand geste avant juin 2009 risque d'aider Ahmadinejad." Joseph Cirincione, l'un des conseillers "informels" de Barack Obama sur les questions de prolifération, recommande lui aussi "d'attendre, de ne pas se précipiter. Il ne faut pas qu'Ahmadinejad tire le bénéfice des négociations".

INTÉRÊTS COMMUNS

Ce n'est pas l'avis de tous. "Barack Obama se trouve devant un dilemme, explique Clifford Kupchan, spécialiste de l'Iran au groupe Eurasia, une firme privée de conseils stratégiques. Comme l'a montré la semaine dernière le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique, l'Iran avance vite. Ce serait une erreur d'attendre que les élections soient passées. A chaque fois qu'on a essayé de parier sur une élection iranienne, rien n'a abouti. Il faut nommer un envoyé spécial pour l'Iran et si une personnalité plus modérée est élue en juin, tant mieux." Le "grand bargain", l'idée d'un grand marchandage qui permettrait de mettre tous les contentieux sur la table, ne paraît pas à l'ordre du jour. "Après trente ans d'absence de relations, je n'y crois pas, dit M. Sadjadpour. Il faut d'abord des mesures pour établir la confiance." Celles-ci porteraient sur les dossiers d'intérêts communs : l'Irak, l'Afghanistan, la lutte contre le trafic de drogue. Le premier pas devrait être l'ouverture d'une section d'intérêts américaine à Téhéran, un geste que l'administration Bush avait étudié cet été. Pour James Dobbins, l'administration Obama devrait aussi lever toutes les restrictions qui empêchent les diplomates américains et iraniens de se parler, que ce soit à Bagdad, Kaboul, Vienne ou New York. "Le dialogue produit des informations, sinon des résultats", explique-t-il.

Joseph Cirincione pense qu'il ne faut pas être obsédé par le dossier nucléaire. "Il faut commencer les rencontres, écouter, établir ensemble l'agenda. Cesser de faire du nucléaire la question centrale parce que c'est la plus antagoniste, avec Israël", déclarait-il le 18 novembre dans un forum. Selon M. Kupchan, les experts constatent qu'il devient difficile "d'empêcher l'Iran de devenir une puissance nucléaire. Ce dont il est question maintenant c'est de roll back, c'est-à-dire comment amener une puissance nucléaire à renoncer à sa capacité". La question fondamentale, dit-il, est de savoir "si Israël et les Etats-Unis peuvent vivre avec un quelconque programme d'enrichissement iranien ou pas. Je ne sais pas si les gens, chez Obama, connaissent la réponse".

Quid des négociations sous l'égide des Européens ? Des sanctions ? Elles sont à peine mentionnées. "Les Iraniens en ont assez de discuter avec un sous-traitant des Etats-Unis", dit M. Kupchan. La négociation est-elle morte ? "Peut-être pas. Mais en survie artificielle", répond M. Cirincione. "Les Européens seront peut-être vexés, dit M. Dobbins. Mais si le problème est résolu, ils seront probablement contents."

Corine Lesnes

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