vendredi 29 mai 2009

Shirin Ebadi : "L'Iran a dépassé la Chine en nombre d'exécutions"

Prix Nobel de la paix et animatrice du Centre des défenseurs des droits de l'homme à Téhéran, l'avocate iranienne Shirin Ebadi a vu ces derniers mois augmenter les pressions sur son centre et restreindre ses activités. Dans un entretien téléphonique au Monde, elle confie ses craintes sur le respect des libertés en Iran, à quelques jours de l'élection présidentielle du 12 juin.




C'est une réalité. Notre centre de défense des droits de l'homme a été fermé le 21 décembre 2008. Mon cabinet a été fouillé, mes archives emportées pêle-mêle dans des cartons et notre site Internet "filtré", sans justification formelle. Ensuite, la secrétaire du centre a été arrêtée (elle a passé deux mois en détention) et une campagne de diffamation orchestrée par le journal conservateur Keyhan nous a traités d'"agents de la CIA et du sionisme". Ajoutez à cela une manifestation devant mon cabinet, des pressions sur mes deux assistantes pour qu'elles démissionnent et la fermeture de ma boîte e-mail. Je suis sans accès à Internet. Voilà pour les conditions de travail. Quant au travail lui-même, jugez vous-même : la journaliste irano-américaine Roxana Saberi, finalement libérée, avait demandé notre assistance lorsqu'elle avait été condamnée à huit ans de prison pour espionnage, en avril. Nous n'avons pas eu accès au dossier. Depuis, deux membres du centre font l'objet de pressions, Mme Mohammadi n'a pu quitter le pays pour honorer un rendez-vous à l'étranger et M. Seyfzadeh a été convoqué devant les tribunaux révolutionnaires, sans explication. Ma conclusion, c'est que cette campagne de harcèlement et de pressions n'a d'autre but que de nous amener à abandonner le combat, nous dont le centre était l'ultime recours pour bien des Iraniens.

Quel le bilan faites-vous du mandat présidentiel qui s'achève dans lequel les fondamentalistes avaient tous les pouvoirs ?

Nous constatons une dégradation constante de la situation des droits de l'homme depuis 2005. En 2008, pour prendre un exemple, nous avons constaté qu'en trois ans il y avait eu 300 % d'exécutions en plus ! L'Iran, toutes proportions gardées, a dépassé même la Chine : il y a eu chez nous 355 exécutions pour 70 millions d'habitants et 2 200 exécutions en Chine qui compte 1,3 milliard d'habitants. Faites le calcul...

Le plus grave, c'est l'exécution des jeunes, mineurs au moment des faits reprochés. En trois ans, 32 ont été exécutés dans le monde entier dont 26 en Iran ! 138 attendent en ce moment dans le couloir de la mort en Iran dont cinq filles. Ces exécutions sont contraires à l'article 6 du pacte international du droit civil et politique ratifié par l'Iran en 1975, mais les autorités n'en ont cure, elles attendent que les jeunes meurtriers aient 18 ans en prison pour les pendre. Devant cet état de fait, 20 personnalités iraniennes, dont moi-même, 5 religieux, dont Mehdi Karoubi, candidat à la présidentielle, et des artistes de renom comme les cinéastes Jafar Panahi ou Rakhshan Banietemad ont lancé une pétition demandant la fin de ces exécutions.

Je reste pessimiste, comment ne pas l'être ? On vient d'apprendre qu'un couple a été condamné à la lapidation la semaine dernière. De toute façon, lorsque le 18 décembre 2008, l'Assemblée générale de l'ONU a adopté une résolution demandant un moratoire sur la peine de mort, seuls 46 pays ont voté contre sur 192. Et parmi eux, il y avait l'Iran...

La société civile est touchée ?
Bien sûr. En deux ans, plus de 100 femmes qui ont participé à la campagne pour l'égalité des droits ont été traduites devant les tribunaux révolutionnaires et condamnées à des peines fermes de trois mois à quatre ans de prison pour "atteinte à la sécurité de l'Etat". Pour les mêmes raisons, trois autres femmes, Alieh Eghdamdoust, Ronak Safarzadeh et Zeynab Bayazidi, purgent des peines de prison de trois ans pour la première, quatre ans pour les autres. La "sécurité de l'Etat", c'est le mot-clé. Celui qui justifie la condamnation à respectivement dix ans et un an de prison de deux défenseurs des droits de l'homme kurdes, Mohammad Sadigh Kaboudvand et Massoud Kordpour. Pourquoi je cite tous ces noms ? Pour qu'ils existent, c'est la seule protection contre le silence... On pourrait y ajouter aussi ceux de ces neuf étudiants arrêtés en février ou de cette centaine de personnes interpellées le 1er mai. Ou encore ceux de Kamyar et Arash Alai, ces deux frères médecins, condamnés à trois et six ans de prison, en juin 2008.

Rien n'échappe à la répression : surtout ne pas être "différent". Les minorités religieuses sont touchées en premier comme les bahais, dont sept responsables sont en prison depuis un an pour "espionnage". Nous tentons de les défendre malgré les intimidations, mais la date du procès n'est même pas fixée. Les sunnites font aussi l'objet de tracasseries, et même certains groupes chiites qui prônent un dialogue des religions monothéistes sont accusés de "propos hérétiques". Idem pour les minorités ethniques. Un journaliste, Yacoub Mehrnehd, a été exécuté en 2008 au Sistan-Balouchistan et une dizaine d'activistes kurdes sont condamnés à mort.

Qu'attendre de l'élection de juin ?
Les droits de l'homme, c'est aussi pouvoir exercer ses droits de citoyen. Il y a deux semaines, nous avons publié un communiqué réclamant des élections "libres" et " transparentes" dans lesquelles le peuple peut s'exprimer sans contrainte. Malheureusement, en Iran, le Conseil des gardiens sélectionne les candidats au préalable. Sur plus de 300 qui se sont présentés à la présidentielle, seuls 4 ont été retenus. La légitimité d'un gouvernement n'émane pas seulement du suffrage universel, mais aussi du respect des citoyens sans distinction de leur opinion ou de leur religion. Or qu'avons-nous depuis quatre ans ? Une répression accrue et des libertés de plus en plus surveillées. Un bilan dans lequel la démocratie est bien malmenée.



Aucun commentaire: