vendredi 5 juin 2009

Duel télévisé tendu en Iran entre Mahmoud Ahmadinejad et Mir Hussein Moussavi

C'est un duel inédit qui s'est tenu, mercredi soir 3 juin, à la télévision iranienne. Face à face pendant quatre-vingt-dix minutes, le président sortant, le fondamentaliste Mahmoud Ahmadinejad, et son principal rival pour la présidentielle du 12 juin, l'ancien-premier ministre des années de guerre avec l'Irak (1980-1989), le "modéré" Mir Hussein Moussavi, soutenu par les réformateurs, se sont affrontés en direct devant 45 millions de téléspectateurs, selon certaines estimations. Pour l'occasion, les rues de Téhéran étaient désertes : tous devant le petit écran.


Chacun jouait à contre-emploi. Sur la défensive, le combatif Mahmoud Ahmadinejad, en général très habile pour enflammer les foules, était moins à l'aise en tête à tête. Visiblement tendu, le président sortant a joué la meilleure défense qu'il connaît : la fuite en avant. Il s'est plaint de ce qu'il devait affronter une campagne qui se résume à "trois personnes contre une seule", citant M. Moussavi, l'autre candidat réformateur Mehdi Karoubi - ancien président du Parlement - et le conservateur Mohsen Rezaï - ex-chef historique des Gardiens de la révolution. En "m'insultant, a-t-il dit, mes adversaires insultent le peuple iranien qui m'a élu".

M. Ahmadinejad s'est ensuite lancé dans une critique, impensable jusque-là, qui touche même les fragiles équilibres politiques du régime, estimant que M. Moussavi "représente les gouvernements précédents". Il a nommé le pragmatique Akbar Hachémi Rafsandjani (président de 1989 à -1997) et homme le plus puissant du sérail iranien, ainsi que le réformateur Mohammad Khatami (président de 1997 à 2005) qui, après avoir retiré sa candidature, il y a quelques semaines, appuie les deux candidats réformateurs, surtout M. Moussavi. Devenant ainsi en coulisses un "faiseur de rois" plus dangereux pour M. Ahmadinejad que lorsqu'il était un simple candidat à l'élection.

Argumentant cette attaque, M. Ahmadinejad est allé jusqu'à citer un message qu'aurait envoyé peu après son élection en 2005, M. Rafsandjani aux Saoudiens pour leur dire : "Ne vous inquiétez pas, cet Ahmadinejad ne va pas durer..."

Nerveux, le président sortant s'en est également pris à l'épouse de M. Moussavi, Zarah Rahnavard, devenue un atout dans la campagne réformatrice auprès des jeunes et des femmes. Il l'a accusée de détenir illégalement un diplôme de docteur en sciences politiques : "Elle a eu son doctorat sans passer les examens...", a-t-il dit, agitant brièvement devant la caméra un document illisible.

Et comme pour entamer l'image d'intégrité de M. Moussavi en l'associant au florissant clan Rafsandjani, critiqué pour s'être enrichi aux dépens de l'Etat, il a lancé : " D'où vient l'argent de votre campagne, M. Moussavi ?"

La conclusion était dans le style populiste cher au président sortant : "Vous tous avez pendant des années gouverné l'Iran avec l'aide des puissances étrangères, a-t-il dit en substance, et vous ne supportez pas depuis quatre ans qu'il y ait un gouvernement au service du peuple. Vous avez misé sur ma chute depuis le début..."

Pâle à l'occasion, mais resté maître de lui, le jusque là très mesuré, Mir Hussein Moussavi, qui affiche d'être pour une certaine "détente" avec l'Occident et dit vouloir poursuivre les discussions sur le dossiernucléaire, a attaqué à son tour : "Avec votre politique étrangère,vous avez humilié la dignité des Iraniens." Et de dénoncer "l'aventurisme, l'instabilité, l'extrémisme, l'exhibitionisme, la superstition" de ces dernières années.

Citant les diatribes belliqueuses du président sortant sur l'holocauste, Israël et l'Occident en général, il a conclu : "Vos excès ont fait le jeu de nos ennemis." Venaient ensuite des critiques sévères sur la répression endurée par les étudiants et la société civile, et sur la désatreuse gestion économique de l'équipe en place.

Un règlement de compte en direct jamais vu dans les méandres filandreux et feutrés du sérail politique iranien. Comment l'expliquer ? Peut-être par le fait que, au fil des jours, la campagne semble mobiliser de plus en plus d'Iraniens, notamment cette moyenne bourgeoisie dégoûtée de la politique, et se crystalliser sur la gestion de la présidence sortante.

Des sondages, pour ce qu'ils valent, montrent qu'en-dessous de 50 % de participation, 70 % des votes seraient en faveur de M. Ahmadinejad, mais qu'il n'aurait que 30 % seulement de suffrages au-delà de 50 % de participation. Autrement dit, pour arracher son élection au premier tour - sa meilleure chance -, M. Ahmadinejad a sans doute tenté le tout pour le tout, mercredi soir, en se présentant à nouveau comme "le candidat du peuple face à la mafia des pouvoirs".

"Ce débat insensé marque un tournant pour la République islamique, nous a confié à chaud l'analyste iranien Ahmad Salamatian. Face à face il y avait Ahmadinejad, qui ignore la réalité et veut perpétuer l'utopie révolutionnaire agressive du passé. Et le tenant d'une vision "moderne" d'une République islamique enfin à l'âge de raison, qui veut prendre en compte les réalités et régler avec discernement les difficultés du pays." Et il ajoutait : "Le discours populiste peut-très bien payer une fois encore. Aussi cette élection sera le test de la maturité politique des Iraniens d'aujourd'hui."

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