Cela ressemble, depuis plus de quatre ans, à un dialogue impossible. Depuis 2005, l'Iran a fait preuve d'une grande obstination pour faire progresser ses travaux nucléaires. Il a refusé de faire la lumière sur ses activités illicites, dont certaines étaient cachées depuis les années 1980. Les grandes puissances ont été dans l'incapacité d'obtenir la moindre inflexion iranienne susceptible d'ouvrir la voie à une négociation.
Les huit premiers mois de l'administration Obama n'ont pas, non plus, permis une percée. Le durcissement du régime à Téhéran, après la réélection controversée du président Mahmoud Ahmadinejad, en juin, n'a pas aidé. Mais les remous politiques profonds qui se sont emparés du pays, combinés aux difficultés économiques ambiantes, et au soulèvement d'une partie de la jeunesse, pourraient encore faire bouger les lignes.
Les multiples tentatives de négociation avec l'Iran, depuis l'été 2005, ont ressemblé à un dialogue de sourds. En sera-t-il autrement le 1er octobre à Genève ? Les attentes sont modestes, soulignent les diplomates. Les représentants du groupe des six pays traitant ce dossier de prolifération (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Russie, Chine, Allemagne), ainsi que le haut représentant européen, Javier Solana, doivent rencontrer un officiel iranien, le négociateur sur le nucléaire, Saïd Jalili.
Ce n'est pas une nouveauté. Mais pour la première fois, un émissaire de l'administration Obama sera autour de la table. Il s'agit de William Burns, le même diplomate auquel George W. Bush avait déjà confié ce rôle, en juillet 2008, lors d'une précédente réunion multilatérale, restée sans résultat.
Lors de la rencontre de 2008, également tenue à Genève, l'Iranien n'avait à aucun moment adressé directement la parole au responsable du Département d'Etat. Ni voulu évoquer l'offre de coopération faite depuis deux ans à l'Iran par les grandes puissances, qui sont prêtes à aider le pays dans les domaines du nucléaire civil, du commerce, et à ouvrir des discussions sur la sécurité au Moyen-Orient.
Cette offre demeure sur la table aujourd'hui. Elle repose sur le principe du "double gel" : gel de l'accroissement des sanctions de l'ONU contre l'Iran, contre un gel de l'augmentation du nombre de centrifugeuses, les appareils qui enrichissent l'uranium et peuvent, au choix, fabriquer soit du combustible pour centrale nucléaire, soit de la matière fissile pour l'arme atomique.
L'idée du "double gel" est une façon de contourner, sans la dénoncer, l'exigence de "suspension" des activités liées à l'enrichissement. Une demande inscrite dans les résolutions successives de l'ONU sur l'Iran, mais auxquelles la République islamique, depuis 2006, n'a jamais voulu se conformer.
La rencontre de Genève est importante pour l'administration américaine, car elle matérialise une volonté d'engagement au dialogue avec l'Iran, un des thèmes essentiels utilisés par Barack Obama, auprès de l'opinion publique, pour se différencier de l'action de son prédécesseur. En toute logique, elle devrait être suivie d'autres rendez-vous, car étant donné la technique iranienne de discussions, rien ou si peu pourra être abordé en une seule séance.
De façon réaliste, le président américain se dit qu'avant de passer à l'étape suivante, celle de sanctions percutantes au plan financier et énergétique, il a tout intérêt à se montrer encore patient, et à faire la démonstration de sa complète disponibilité à aller le plus loin possible dans les ouvertures diplomatiques. Afin que personne ne puisse lui reprocher, à l'avenir, de ne pas avoir essayé.
Cette politique a connu plusieurs phases. Avant le scrutin iranien du 12 juin et la répression policière qui a suivi, Barack Obama a enchaîné les gestes d'ouverture, comme ses deux lettres adressées au "Guide" Ali Khamenei, son message de Norouz aux Iraniens, ou encore sa façon de reconnaître, dans son discours du Caire, que la CIA avait trempé dans le renversement de Mossadegh en 1953. Après le mois de juin, il a été plus en retrait, dénonçant avec retard les violences, et semblant considérer que la balle était dans le camp du régime iranien.
Le président américain sait aussi qu'il doit éviter d'avoir l'air naïf ou faible. C'est la raison pour laquelle, à quelques jours de la réunion du 1er octobre, l'Iran a subitement été mis sur la défensive par une série de révélations fracassantes faites par les dirigeants occidentaux, en plein G20 à Pittsburgh. Celles-ci portaient sur la signification d'un site nucléaire iranien resté secret pendant des années, creusé sous une montagne dans la région de Qom.
Il s'agit du deuxième site clandestin d'enrichissement d'uranium à être exposé en Iran depuis le dévoilement de celui de Natanz, en 2002, par un groupe d'opposants exilés. L'épisode avait fourni le point de départ de la crise nucléaire iranienne, longue saga diplomatique jalonnée de rebondissements dignes de romans d'espionnage.
A Pittsburgh, M. Obama a aussitôt durci son langage sur l'Iran, allant jusqu'à rappeler qu'"aucune option n'est exclue", même si sa préférence va clairement à la diplomatie. Dans les discussions avec les partenaires européens, l'échéance de la fin de l'année semble confirmée : si l'Iran n'obtempère pas avant ce délai, notamment en faisant toute la transparence sur son programme nucléaire, de nouvelles sanctions, mordantes, seront prises.
L'un des grands changements est que, depuis le coup de tonnerre qu'a constitué la "découverte" du site de Qom, il est devenu plus difficile pour la Russie et la Chine d'apporter une "couverture" diplomatique à l'Iran. L'unité des "Six" est jugée cruciale par les Américains et les Européens. M. Obama a beaucoup misé sur sa politique de reset (redémarrage ) avec la Russie, et il doit se rendre en novembre en Chine.
Après plus de sept années de tensions autour de l'atome iranien, la leçon qui peut être tirée est celle d'un lent échec diplomatique, en tout cas à ce jour. En 2003-2004, les Européens (France, Royaume-Uni, Allemagne) avaient bel et bien obtenu des gestes de l'Iran, notamment la suspension de l'enrichissement d'uranium et des inspections inopinées et larges de l'AIEA. Mais c'était à une période où, peu après l'invasion de l'Irak, la République islamique était prête à se montrer coopérative pour gagner du temps et échapper à un scénario militaire.
A partir de la mi-2005, l'Iran basculait dans un ton de confrontation, encouragé par la remontée des prix du pétrole et le constat des vulnérabilités de l'armée américaine en Irak. Mahmoud Ahmadinejad parvenait au pouvoir. Mais avant même que ce radical issu des rangs des pasdarans ne prenne ses fonctions, les activités de conversion d'uranium avaient repris. L'Iran rompait l'accord avec les Européens. Côté occidental, les efforts diplomatiques se tournaient vers un transfert du dossier au Conseil de sécurité, chose réalisée début 2006. Téhéran a alors commencé à dépeindre la campagne des Occidentaux dénonçant ses activités d'enrichissement d'uranium comme une violation des droits des Etats non nucléaires signataires du Traité de non-prolifération de 1968. Il trouvait des soutiens à cette idée notamment du côté du Brésil et des pays non alignés.
Face à la communauté internationale, l'Iran continue aujourd'hui de louvoyer, de jouer sur les divisions de ses interlocuteurs. Il souffle le chaud et le froid, dans un savant dosage hérité d'une diplomatie persane millénaire. Par exemple cet été, quand les inspecteurs de l'AIEA ont été autorisés à se rendre sur le site nucléaire d'Arak. Un geste en particulier salué par la Russie.
Ou encore quand l'Iran a apporté le 9 septembre un texte très hermétique, en guise de réponse à l'offre des "Six" réitérée cinq mois plus tôt. Moscou applaudissait. L'administration Obama, elle, constatait la vacuité du document, qui n'abordait pas le dossier nucléaire, mais elle ne s'opposait pas non plus au principe d'une rencontre à six avec l'émissaire iranien. La date, le 1er octobre, fut choisie par l'Iran.
Habile manoeuvre de Téhéran, car cela permettait en principe de franchir sans encombre l'étape de l'Assemblée générale des Nations unies, à laquelle M. Ahmadinejad devait se rendre. Une échéance qui avait durant l'été été considérée par les Occidentaux comme la date-butoir donnée aux Iraniens pour jauger de leurs intentions. Toutefois il y eut un boomerang pour les officiels iraniens : l'affaire du site secret de Qom surgissait, comme preuve embarrassante de leurs efforts de dissimulation.
Durant les années Bush, l'Iran refusait de négocier sur son programme nucléaire en invoquant la crainte que cela mettrait en oeuvre des forces de changement de régime, dans le cadre d'un complot ourdi par les Etats-Unis. M. Obama, en parlant au début de sa présidence de "respect mutuel", a cherché à neutraliser ce soupçon. C'était avant que le régime iranien réagisse à la vague de contestations de rue en criant aux ingérences de l'Occident, et qu'à Téhéran plus personne ne paraisse capable d'assumer un rapprochement avec Washington. On voit mal comment le nucléaire iranien cessera d'être le dossier des rendez-vous ratés.
Nathalie Nougayrède
mercredi 30 septembre 2009
Iran : un dialogue impossible ?
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