mardi 20 octobre 2009

Nucléaire iranien : la réunion de la dernière chance

Mahmoud Ahmadinejad, le président iranien, s'exprime sur le site d'enrichissement d'uranium de Natanz, en 2007.

Les négociations sur le nucléaire, qui ont repris lundi à Vienne entre les cinq pays du Conseil de sécurité plus l'Allemagne et l'Iran, ne suscitent guère l'optimisme.

L'Iran a averti lundi matin qu'il procéderait par ses propres moyens à l'enrichissement de l'uranium à 20% en cas d'échec des négociations qui commencent lundi à Vienne .


En cette matinée de juin 2009, l'ambiance est morose à l'université Sharif de Téhéran, l'équivalent de notre École polytechnique. À la télévision d'État, le régime ne cesse de se targuer de ses «avancées technologiques» en citant l'exemple du programme nucléaire, «développé à des fins civiles». Pourtant, dans les laboratoires de recherche universitaire, le doute s'installe. «On n'arrête pas de nous parler de progrès scientifiques, mais comment expliquer qu'à la faculté nous manquons cruellement de moyens pour mener à bien nos propres expériences ? Nos dirigeants ne seraient-ils pas en train d'utiliser notre soi-disant fierté nationale pour fabriquer en douce une bombe atomique ?», s'interroge Mahmoud, étudiant en chimie.

Quatre mois plus tard, c'est animés par ces mêmes doutes que les Six (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France et Allemagne), qui veulent «donner sa chance au dialogue», reprennent lundi à Vienne, siège de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), les discussions avec l'Iran. En jeu, un accord destiné à permettre le retraitement à l'étranger de 1 200 kg d'uranium iranien faiblement enrichi, pour s'assurer qu'il ne sera pas détourné à des fins militaires : la fabrication d'une bombe nécessitant un taux d'enrichissement supérieur à 90 %, contre une capacité actuelle de 5 %. «Ainsi, les Iraniens n'auront plus accès à la matière. Ce qui donnerait davantage de temps pour résoudre la crise», explique un diplomate occidental.

La confiance altérée

À Paris, dans les couloirs des cabinets ministériels, on reconnaît pourtant que les jeux sont loin d'être faits. D'abord, parce que «la principale exigence des Six reste le gel du programme nucléaire, et que, sur ce point primordial, Téhéran n'a toujours pas répondu», précise le même diplomate. Ensuite, parce que les Européens négocient sans relâche avec l'Iran depuis six ans et qu'aucune de leur offre n'a jamais été acceptée par Téhéran. Pourquoi le régime, qui s'est encore durci depuis, dérogerait-il cette fois à la règle ? D'autant plus que la dissimulation de ses installations nucléaires pendant 18 ans - avant la révélation, en 2003, de l'existence du site d'enrichissement de Natanz - a, depuis longtemps, altéré la confiance.

Le seul fait d'enrichir de l'uranium ne constitue pas une violation du traité de non-prolifération (TNP), dont l'Iran est signataire. Cependant, de nombreux indices étayent aujourd'hui les soupçons de la communauté internationale. Téhéran a bénéficié de l'aide du réseau clandestin de prolifération nucléaire du Pakistanais Abdul Qadeer Khan. L'acquisition, par la République islamique, de plusieurs milliers de centrifugeuses et l'accélération des activités d'enrichissement sont incohérentes avec un programme nucléaire civil, la centrale électrique de Boushehr ne pouvant être alimentée que par du combustible russe, selon un accord signé avec Moscou. Des plans représentant des demi-sphères d'uranium destinées à fabriquer une bombe nucléaire ont été communiqués à l'AIEA. Le pays a procédé à des tirs de missiles de longue portée… La liste est loin d'être close, et la récente révélation de l'existence d'un nouveau site nucléaire, clandestin, à Qom, dont la création a été décidée en 2003, à un moment où l'Iran s'était engagé à geler son programme nucléaire, a encore alourdi le dossier. Les inspecteurs de l'AIEA viennent d'obtenir l'autorisation de le visiter, le 25 octobre, mais ils n'ont aucune garantie que leur déplacement leur permettra de connaître dans les détails le plan des installations.

Dans ces conditions, est-il encore temps d'arrêter le programme nucléaire iranien ? Et si oui, comment ? «La communauté internationale est persuadée de la nature militaire du programme nucléaire iranien. Nous sommes passés au stade supérieur : comment faire marche arrière ?», concède un diplomate proche du dossier. Un temps soupçonnée d'avoir voulu imposer une vision politique et pacifiste de la crise iranienne, sous la houlette de l'Égyptien Mohamed el-Baradei, l'AIEA, dans un récent rapport confidentiel cité par le New York Times, estime que l'Iran a désormais acquis «suffisamment de connaissances pour pouvoir élaborer et fabriquer une bombe atomique». Selon les experts, la communauté internationale disposerait encore de quelques mois avant que ne soit franchie la «ligne rouge», le passage de cette «connaissance» à la «réalisation». Mais le temps de la prévention est désormais compté. Car, comme l'écrit Thérèse Delpech, directrice des affaires stratégiques au CEA (Commissariat à l'énergie atomique), dans le dernier numéro de la revue Commentaires, «la dissuasion à l'égard de pays qui cherchent à se doter d'une arme nucléaire commence bien avant l'acquisition de l'arme».

Rallier Moscou et Pékin

En cas d'échec des discussions, les Six envisagent de passer à la phase suivante, celle des sanctions dites lourdes, comme ce projet d'interdire à l'Iran l'importation d'essence : le pays, grand exportateur de pétrole brut, importe 40 % de son essence, faute de capacités de raffinage suffisantes. Jusque-là, les mesures d'embargo ne visaient que les activités économiques liées au programme nucléaire, en raison de l'opposition de la Chine et de la Russie. La stratégie occidentale, qui consiste à essayer de rallier Moscou et Pékin, en s'appuyant notamment sur la décrispation de la politique étrangère permise par l'élection de Barack Obama, permettra-t-elle de contraindre Téhéran ? «Nous pensons que le régime a du mal à prendre une décision stratégique. Et nous espérons que le consensus qui existe au sein de la classe politique iranienne sur le programme nucléaire puisse se fissurer si le prix à payer devient très élevé», confie un proche du dossier. L'adoption de nouvelles sanctions servirait également d'exemple pour les autres pays tentés de développer un programme nucléaire militaire. «Il ne faut pas donner l'impression que le crime est impuni. Il faut à tout prix dissuader les autres pays d'imiter l'Iran», résume un diplomate.

Mais, là encore, les Occidentaux n'ont aucune garantie de succès. Malgré l'annulation du projet de bouclier antimissiles américain en Europe centrale et la main tendue d'Obama, la Russie estime qu'il est encore «trop tôt» pour prendre de nouvelles sanctions contre l'Iran et qu'il convient pour l'heure de «ne pas effrayer» le régime de Téhéran. Désormais placée au cœur de la diplomatie mondiale, la question du nucléaire iranien a peut-être, en outre, acquis un caractère plus inquiétant qu'avant, avec la montée en puissance des Gardiens de la révolution, favorisée par la réélection contestée d'Ahmadinejad, et dont les prises de décision pèsent de tout leur poids dans la balance militaire comme politique. À cette mauvaise nouvelle, s'ajoute la relative faiblesse de l'Administration Obama. En difficulté sur la scène politique intérieure, où il peine à imposer sa réforme phare, celle de la santé, le président américain recherche, souffle-t-on à Paris, un succès diplomatique sur le front iranien. Décidé à faire oublier les mauvais souvenirs laissés par l'Administration Bush et son aventure irakienne, il donne la priorité au dialogue. À Paris, certains redoutent qu'il se résigne à des concessions vis-à-vis de l'Iran, ou laisse filer le temps.

«Une stratégie de fait accompli»

«Ce qui manque à l'Amérique, ce ne sont pas les bonnes intentions, elle en a à revendre, c'est la capacité de résoudre les crises. Elles sont trop nombreuses au Moyen-Orient, en Extrême-Orient, en Asie centrale, pour se contenter de discours», écrit Thérèse Delpech dans Commentaires. Alors qu'en 2003, pendant la crise irakienne, l'administration américaine avait exagéré et gonflé les informations fournies par les services de renseignements, tout se passe aujourd'hui comme si la nouvelle Maison-Blanche, devenue très prudente, sous-estimait les rapports des agences. En face, l'Iran d'Ahmadinejad exploite habilement les hésitations des États-Unis et de la communauté internationale. «Les Iraniens sont dans une stratégie de fait accompli. Ils essaient de gagner du temps et prennent garde à ne jamais rompre eux-mêmes les négociations pour les faire durer le plus longtemps possible», affirme Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.

Négociation, sanctions. Si rien ne marche, l'option de dernier recours, celle de frappes militaires contre les installations nucléaires iraniennes, est toujours à l'étude au Pentagone et en Israël. Il y a quinze jours, une réunion dont rien n'a filtré, s'est tenue à Paris entre les chefs d'états majors des armées américaine, israélienne et française. Les experts évoquent deux options possibles : une frappe ciblée, à l'instar du bombardement israélien d'Osirak, dans l'Irak de Saddam Hussein, en 1981, qui permettrait de retarder le programme nucléaire ; ou une campagne aérienne plus lourde, comme celle qui a été menée au Kosovo en 1999, qui viserait à faire plier le régime pour le forcer à négocier, mais qui risquerait aussi de le radicaliser et de provoquer une levée de boucliers dans le monde musulman.

Autre solution : que la communauté internationale se résigne à vivre avec un Iran nucléaire. Le danger serait alors de voir d'autres pays, notamment l'Arabie saoudite, la Turquie et l'Égypte, se lancer dans la course à la bombe atomique. «La possession de l'arme nucléaire par l'Iran serait le coup d'envoi de la prolifération nucléaire dans l'ensemble de la région», prévient Frédéric Tellier, spécialiste de l'Iran à l'International Crisis Group.

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