samedi 15 mars 2008

« En Iran, la réalité du pouvoir est détenue par le guide de la révolution »



L'intégralité du débat avec Les législatives du 14 mars devraient connaître une faible participation, signe du "désinterêt de la population pour la politique", estime Mohammad-Reza Djalili, professeur à l'Institut des hautes études internationales de Genève. Pour lui, "l'Iran n'est pas une démocratie mais une théocratie, dirigée par une oligarchie de fondamentalistes, à la tête de laquelle se trouve le guide suprême de la révolution islamique". , vendredi 14 mars, à 11 h .



Dyarb : Même si la victoire des conservateurs est assurée, ce scrutin peut-il tout de même réserver quelques surprises ?

Mohammad-Reza Djalili : Oui, ce scrutin peut réserver une surprise, en tout cas celle des rapports à l'intérieur du groupe des conservateurs, qui se divise en deux parties : les radicaux et les pragmatiques. Les radicaux se regroupent autour du président Ahmadinejad, et les pragmatiques sont liés à M. Rafsandjani ou M. Qalibas, maire de Téhéran. Il y a entre eux des sensibilités différentes par rapport à la fois à la politique interne et à la politique extérieure de l'Iran, et le rapport de force qui s'établira entre ces deux groupes va probablement influencer l'évolution, en tout cas cosmétique, de la politique iranienne.

Yann_Farmine : Pensez-vous que le régime actuel peut continuer à se baser sur des représentants élus avec très peu de soutien populaire ?

Mohammad-Reza Djalili : Oui, parce qu'au Parlement les représentants élus ne constituent qu'un des aspects du régime. La réalité du pouvoir est détenue par le Guide de la révolution, dont les positions sont connues et qui représente la continuité du régime. Et en fait, tout ce qui est issu des élections parlementaires, présidentielle ou municipales n'a qu'un rôle d'appoint dans ce système. L'Iran n'est pas une démocratie, c'est une théocratie, dirigée par une oligarchie de fondamentalistes, à la tête de laquelle se trouve le Guide suprême de la révolution islamique.

frofra : Pourquoi l'expérience du sixième Parlement (2000-2004) dominé par les réformateurs ne pourrait-elle pas se répéter aujourd'hui ?

Mohammad-Reza Djalili : Parce qu'il y a une présélection avant les élections. A peu près 40 % des candidats ont été écartés du fait qu'ils étaient proches du Coran réformateur. Et les réformateurs ne sont présents que dans environ 30 % des circonscriptions. A partir de là, il est évident qu'il n'y aura pas de surprise et que, même s'il y a quelques représentants réformateurs au Parlement, ils ne feront pas le poids face à la majorité conservatrice.

tofou : Pourquoi Mohammad Reza Khatami n'a-t-il pas appelé à un boycott du scrutin ?

Mohammad-Reza Djalili : C'est une très bonne question, et ça nous ramène aux fondements du système. Les gens qui s'agitent sur la scène politique de la République islamique et qui sont autorisés à avoir une activité politique sont des fidèles parmi les fidèles au régime. Et jamais un de ces représentants, le plus réformiste qu'il soit, ne fera quoi que ce soit qui mette en danger la stabilité du pouvoir.

Pendant huit ans, M. Khatami, réformateur, a été président de la République islamique, et jamais il n'a pris de position pouvant se traduire par une menace sur l'avenir du régime. Donc toutes ces personnalités font partie du sérail, et, de ce fait, sont dans l'incapacité de faire une véritable opposition. Ce n'est pas une opposition, ce sont des sensibilités différentes et concurrentielles qui animent la politique iranienne.

toubatou : La population tient-elle rigueur aux autorités des mauvais chiffres de l'inflation et du chômage ?

Mohammad-Reza Djalili : Bien évidemment. La population est la première victime de cette situation, avec un taux d'inflation que le gouvernement lui-même évalue à 19 %, et un taux de chômage entre 20 et 30 % de la population, il est évident qu'une partie importante de la population est victime d'une politique économique désastreuse. Cette situation est d'autant plus inquiétante que, ces derniers temps, l'Iran a eu des revenus pétroliers considérables qu'il a mal gérés, en fait. Cette rente, à part quelques distributions sous forme de charité aux plus démunis et des investissements dans des secteurs comme le nucléaire, n'a pas permis de lancer un véritable programme de développement économique.

Ce qui rend la situation encore plus difficile pour les Iraniens, c'est qu'ils sont conscients que, de l'autre côté du golfe Persique, l'Arabie saoudite, et surtout les Emirats, connaissent un boom économique considérable. Chaque jour, il y a plusieurs dizaines de vols entre les villes iraniennes et Dubaï. Et les Iraniens sont très au courant de ce qui se passe dans ce petit pays. Ils comparent leur situation à celle des habitants des Emirats, où vit d'ailleurs une importante communauté iranienne. Et à partir de là, ils prennent de plus en plus conscience des difficultés dans lesquelles ils sont englués à l'intérieur de leur propre pays.

Tadbir : Beaucoup croient que l'économie iranienne est "morte" ou en veille par rapport à son potentiel. Si aujourd'hui l'Iran avait la possibilité de se libérer économiquement, quel scénario serait le plus probable ? Un avenir industriel comme celui de l'Inde et de la Chine ou au contraire un modèle plus semblable à celui des autres pays du Golfe ?

Mohammad-Reza Djalili : Si l'Iran avait une politique économique d'ouverture, il serait certainement l'un des pays émergents le plus important de tout le continent asiatique. L'Iran a tous les moyens des pays pétroliers arabes, plus des potentialités très grandes dans les domaines agricole et industriel. Il possède aussi un très grand marché de plus de 70 millions d'habitants, une population relativement bien formée, très majoritairement alphabétisée. Tout cela conjugué pourrait faire de l'économie iranienne une des économies dynamiques du continent asiatique.

jean_paul_de_la_rica : Quel est l'effet des sanctions de l'ONU et des Etats sur la société iranienne?

Mohammad-Reza Djalili : Les effets sont multiples. D'abord au niveau du secteur privé, qui est un secteur relativement petit en Iran. Les sociétés iraniennes sont pénalisées par les sanctions. Au niveau de la population, à chaque fois qu'une nouvelle sanction est votée par exemple au niveau du Conseil de sécurité, on constate un renchérissement du coût de la vie et une diminution du pouvoir d'achat des ménages iraniens.

Sur le plan des secteurs étatisés de l'économie, les sanctions contribuent à diminuer considérablement l'apport de capitaux étrangers et bloquent des grands projets comme celui de l'exportation du gaz iranien vers le sous-continent indien, projet que poursuit l'Iran depuis des années, auquel s'opposent les Américains. Cela, évidemment, fait que l'Iran, en ayant les deuxièmes réserves mondiales de gaz, est aujourd'hui obligé d'importer pour sa consommation interne du gaz tout en étant dans l'incapacité d'exporter son gaz vers des marchés extérieurs.

jean_paul_de_la_rica : Quelles sont les sanctions les plus significatives dans leurs effets ? Celles de l'ONU ou celles unilatérales des Etats-Unis (Iran Sanction Act) ?

Mohammad-Reza Djalili : Il y a deux types de sanctions : les sanctions américaines, qui datent d'une quinzaine d'années au moins et les sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies qui sont plus récentes et ont un effet à l'heure actuelle plus psychologique qu'économique. Mais les sanctions américaines ne concernent pas uniquement les Etats-Unis, elles concernent aussi, par exemple, beaucoup d'entreprises européennes, qui hésitent à travailler avec l'Iran par peur des répercussions sur leurs activités aux Etats-Unis.Un certain nombre de banques européennes importantes, et de plus en plus de banques asiatiques, ont réduit leurs activités en Iran à cause des sanctions américaines. Donc l'activité économique iranienne au niveau international rencontre d'importantes difficultés liées à ces sanctions.

fgfg : Le nucléaire est-il un sujet de débat au sein de la société iranienne ?

Mohammad-Reza Djalili : Oui, le nucléaire est un sujet de débat au sein de la société iranienne, et le gouvernement iranien utilise ce débat pour jouer sur la fibre nationaliste de la population iranienne. Mais il n'y a pas de débat ouvert sur cette question. On ne peut pas, par exemple, s'interroger sur le coût de ce programme, ou sur les problèmes de sécurité que les centrales peuvent créer pour l'Iran. Cependant, depuis quelque temps, on constate un autre souci de la société iranienne par rapport au nucléaire, qui ressort des sondages et des interviews avec l'homme de la rue, qui a l'impression que tout est sacrifié pour le nucléaire et que les problèmes sociaux et économiques réels, de la vie quotidienne, sont relégués au deuxième rang des préoccupations du gouvernement. Par ailleurs, une frange importante de la population critique l'intransigeance de la politique de M. Ahmadinejad sur le plan international et pense que cela a un coût politique considérable pour l'Iran.

LucasMom : Peut-on aujourd'hui parler de la société civile comme d'un contre-pouvoir en Iran?

Mohammad-Reza Djalili : A un certain moment, après l'élection présidentielle de 1997 qui a amené M. Khatami au pouvoir, on a assisté à une renaissance de la société civile iranienne, encouragée par la venue au pouvoir d'un leader réformateur. Mais progressivement, cette société civile a été désillusionnée par rapport à la politique de M. Khatami, et depuis 2005, après l'élection de M. Ahmadinejad, on a l'impression que cette société civile a pris un profil très bas et n'existe plus, en tout cas plus autant, qu'à l'époque Khatami sur la scène politico-sociale de l'Iran. Victimes de répression, ces responsables ont peur, et ils ont perdu leurs capacités d'être un véritable contre-pouvoir. En fait, on peut résumer la situation d'une façon plus simple : face au système, les forces de changement qu'incarne la société civile aujourd'hui sont en capacité beaucoup moindre que par le passé.

Sahmaz : Qu'en est-il des sentiments de la population iranienne vis-à-vis d'Israël ? Répond-elle favorablement aux imprécations de son président ou voit-elle là des tentatives de détourner l'attention loin des échecs internes du régime ?
Gui : Les diatribes anti-occidentales et antisionistes du président Ahmadinejad sont-elles partagées par la société civile dans sa majorité ?

Mohammad-Reza Djalili : Par rapport à Israël, il n'y a pas un ressentiment iranien comme il en existe dans le monde arabe. L'Iran est loin d'Israël, et la question arabo-israélienne n'est pas une priorité pour l'opinion publique iranienne. Par ailleurs, on a constaté à plusieurs reprises, dans des manifestations étudiantes par exemple, en Iran, le reproche que les étudiants font au régime d'une trop grande implication auprès des Palestiniens. Un des slogans les plus entendus est : "Oublie un peu la Palestine, pense à nous". Et les Iraniens, donc, ont quand même une mémoire historique de leur passé récent, c'est-à-dire qu'ils n'oublient pas que durant la guerre Iran-Irak, qui a été désastreuse pour ces deux pays, l'OLP a soutenu Saddam Hussein. Et dans cette perspective, un soutien renforcé au mouvement palestinien ne rencontre aucune popularité véritable au sein de la population iranienne.

Par rapport à l'Occident, il y a une relation de fascination et de crainte à la fois. Depuis un siècle et demi, l'Iran observe, étudie l'Occident, et l'occidentalisation a été une préoccupation constante de plusieurs générations d'Iraniens. En même temps, les Iraniens sont très conscients des capacités de l'Occident d'intervenir dans les affaires de leur région. Et ils craignent les politiques interventionnistes qui leur rappellent le XIXe siècle et une bonne partie du XXe siècle, où, par exemple, l'Angleterre a joué un rôle déterminant dans la politique iranienne. Cela étant, l'émigration iranienne, très nombreuse, amène les Iraniens à s'installer dans les pays occidentaux, et aussi en Amérique du Nord. Et d'une certaine manière, les relations de la société iranienne avec l'Occident depuis la révolution islamique se sont renforcées considérablement, à travers une véritable diaspora qui s'est constituée en moins de trois décennies.

frofra : Comment les Iraniens perçoivent-ils ce qui se passe actuellement chez leur voisin irakien ?

Mohammad-Reza Djalili : Il est évident que l'Iran est un voisin très au courant de ce qui se passe à l'intérieur de l'Irak. L'Iran a les plus longues frontières avec l'Irak, et à travers les liens qui existent entre les communautés chiites, les Iraniens suivent de très près l'évolution de la situation en Irak. Si, en 2003, dans les premières semaines de l'intervention américaine en Irak, l'opinion publique iranienne était relativement favorable à l'égard de cette intervention, très vite, avec la détérioration de la situation en Irak, les Iraniens sont devenus très critiques par rapport à la politique des Etats-Unis dans ce pays, et les Iraniens craignent que, même après le départ des Américains, si une guerre civile se produit à l'intérieur de l'Irak, que leur pays soit d'une manière ou d'une autre impliqué dans le chaos irakien. Donc c'est avec crainte et inquiétude que l'opinion publique iranienne suit les affaires de l'Irak.

Sahmaz : Quels sont selon vous les risques d'une crise militaire entre l'Iran et d'autres pays ? Doit-on craindre des frappes aériennes ?

Mohammad-Reza Djalili : Crise militaire ? Je ne crois pas qu'il existe un risque de confrontation avec les pays voisins. En revanche, on ne peut pas exclure une frappe aérienne américaine ou israélo-américaine. Mais depuis la publication du rapport des agences américaines sur l'arrêt du programme nucléaire iranien, le risque d'une intervention militaire américaine s'est fortement éloigné. Et peu de gens aujourd'hui craignent une confrontation dans l'immédiat avec les Etats-Unis. Ce qui n'était pas le cas il y a encore quelques mois.

Marie_S. : Comment se porte la liberté d'expression en Iran ? Quelle place pour les médias ?

Mohammad-Reza Djalili : En Iran, il y a une liberté d'expression très relative. Cela se vérifie par le nombre de journalistes emprisonnés, le nombre de journaux et de revues interdits à la publication, le nombre de livres censurés. Des journalistes iraniens, à l'époque des réformateurs, disaient toujours qu'en Iran, il existe la liberté d'expression, mais ce qui n'existe pas, c'est la liberté après l'expression. Et aujourd'hui, où la presse réformatrice est réduite à sa plus simple expression, cette marge de liberté s'est encore réduite.
En ce qui concerne les mass média, radios et télévisions, ils sont totalement aux mains de l'Etat. Aucune chaîne privée, aucune radio privée, n'est tolérée. Mais les Iraniens restent relativement bien informés à travers les radios et télévisions émettant de l'extérieur en langue persane. Des radios comme la BBC, qui sera bientôt dotée d'une chaîne de télévision, sont très écoutées en Iran. Et probablement une des chaînes les plus importantes suivies en Iran est la télévision de la Voice of America, qui émet chaque jour plusieurs heures de programmes. Le gouvernement essaie de perturber les ondes et, de temps en temps, lance des campagnes contre les antennes paraboliques. Mais il semble que ce soit une guerre perdue d'avance étant donné le nombre considérable de ces antennes, qu'on trouve par millions à travers tout le pays. Donc s'il y a désaffection par rapport aux programmes des chaînes nationales, il y a un engouement pour ce qui vient de l'extérieur.

Sahmaz : Certains commentateurs estiment que les jeunes Iraniens ne veulent pas se rebeller par crainte d'être amenés à payer un prix du sang semblable à celui versé par leurs parents (guerre contre l'Irak). Qu'en pensez-vous ? Comment expliquer le poids de la chape de plomb sur cette génération qui n'a pas connu la révolution ?

Mohammad-Reza Djalili : L'Iran est des rares pays du Moyen-Orient qui a connu deux révolutions au XXe siècle : la révolution constitutionnelle de 1906, et la révolution islamique de 1979. De plus, ce pays a vécu la guerre la plus dure qui se soit déroulée dans le tiers monde dans la deuxième moitié du XXe siècle. Dans cette perspective, il est évident que les gens ne sont pas prêts à se lancer dans une contestation qui générerait de la violence. C'est pourquoi on a l'impression que la société iranienne est bloquée.

Par ailleurs, chaque année, on estime que 200 000 Iraniens, souvent les mieux formés, quittent le pays. Le gouvernement, d'ailleurs, ne fait rien pour qu'ils restent. Et de cette manière-là, il réduit une éventuelle explosion sociale. Un autre élément qui entre en considération, c'est que les Iraniens sont pratiquement 24 heures sur 24 préoccupés par la question de joindre les deux bouts dans leur vie quotidienne. Beaucoup de gens exercent deux métiers pour pouvoir subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Leur préoccupation est de ce fait très éloignée de la politique. Il y a un désintérêt par rapport à la politique, qu'on remarque à la fois chez les jeunes et les moins jeunes dans la société iranienne. Cela va d'ailleurs se traduire probablement par une participation faible aux élections législatives d'aujourd'hui.

H. : Que signifierait un taux d'abstention important pour le régime en place ?

Mohammad-Reza Djalili : Pour un régime révolutionnaire et populiste, qui base tout son discours sur la mobilisation de la population, la non-participation aux élections est évidemment un très grave problème. Dans cette perspective, les deux tendances, conservatrice et réformatrice, s'activent pour atteindre le niveau minimum de 50 % de participation. Ce qui ne sera probablement pas atteint, surtout dans les grandes villes comme Téhéran. D'après les chiffres officiels, aux élections législatives de 2004, la participation dans la capitale était aux alentours de 35 %. Et il est probable que la participation aux élections d'aujourd'hui sera de moins de 35 %, ce qui est un constat d'échec face à la population urbaine la mieux formée et la mieux à même d'apprécier la situation politique. Il en sera peut-être différent dans les campagnes et dans les petites villes, où l'enjeu électoral a une dimension de compétition entre notables locaux. Quoi qu'il en soit, le gouvernement fera son possible en envoyant par exemple des gardiens de la révolution ou les bassidjis (jeunes miliciens) voter, même, s'il le faut, à plusieurs reprises.

jean_paul_de_la_rica : Peut-on s'attendre à une remobilisation pour l'élection présidentielle ?

Mohammad-Reza Djalili : L'élection présidentielle, évidemment, est plus importante et mobilise davantage que les élections parlementaires. Mais cela dépend aussi des candidats, du contexte politique de l'année prochaine. Et il est à mon avis trop tôt pour faire une évaluation de la mobilisation à propos de cette élection. S'il s'agit de renouveler le mandat de M. Ahmadinejad et que tout l'appareil de l'Etat s'engage dans cette direction, il est fort probable que la mobilisation électorale sera faible.

Shalliam : Quel rôle joue la diaspora iranienne, aux Etats-Unis notamment, dans la politique interieure iranienne ? Quelle est sa position par rapport aux autorités iranniennes et à sa politique ? Influence-t-elle la politique américaine vis-à-vis de l'Iran ? Est-elle constituée en lobby ?

Mohammad-Reza Djalili : Comme je l'ai dit, c'est une jeune diaspora. A l'époque du shah, il n'y avait pas plus de quelques centaines de milliers d'Iraniens vivant à l'extérieur des frontières du pays. Aujourd'hui, on estime que la diaspora iranienne regroupe environ 4 millions de personnes. C'est une diaspora relativement élevée, ayant une bonne formation, et s'intégrant sans trop de problèmes dans les pays où elle s'est installée. Ce n'est pas une diaspora prolétaire, donc moins mobilisable en tant que telle. La diaspora iranienne essaie de se créer un certain nombre d'institutions, et commence, aux Etats-Unis du moins, à avoir un certain impact dans les élections américaines, surtout au niveau des Etats américains, par exemple en Californie.

Le problème de l'influence de la diaspora à l'intérieur de l'Iran sur le plan politique se pose en termes institutionnels. Pour qu'une diaspora puisse peser sur la scène intérieure du pays d'origine, à mon avis, il faut qu'il y ait des relais à l'intérieur de cette société, des relais organisés et structurés. Vu l'impossibilité de mettre en place en Iran des partis politiques, ou plus généralement des organisations à but politique, l'impact de la diaspora sur la scène politique iranienne reste relativement limité.

OR : A votre avis, quelles sont les chances d'ouverture du régime et d'évolution de la société ?

Mohammad-Reza Djalili : Le régime iranien est un régime extrêmement idéologique, et les changements au sein du régime, jusqu'à présent, ont été des changements relativement réduits. Il est difficile d'imaginer une transformation de fond en comble de ce régime. Quant à la société, c'est une société traumatisée par sa situation économique, qui a énormément de mal à s'organiser et à traduire sa volonté en mouvements politiques.

Dans cette perspective, à court terme, des changements importants me semblent difficiles. Mais dans une perspective de moyen terme, on peut s'attendre à des évolutions qui, à mon avis, iront immanquablement dans le sens d'une séparation progressive de la religion et de la politique, et d'une démocratisation du système politique iranien. Depuis plus de cent ans, il y a un courant démocratique en Iran, et ce courant démocratique, si les conditions le permettent, réémergera de manière probablement inattendue, comme d'ailleurs la manière tout à fait inattendue dont s'est produite la révolution islamique il y a près de trente ans.

Chat modéré par François Béguin

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