samedi 5 avril 2008

Le régime iranien s’attaque à la presse

Envoyé spécial de Libération à Téhéran JEAN-PIERRE PERRIN

«L’automne au seuil du printemps», c’est le titre de Etemad-e Melli, l’un des derniers quotidiens réformateurs, pour déplorer la fermeture, au lendemain des élections législatives, de neuf titres de la presse iranienne, essentiellement des revues culturelles ou de loisirs sans contenu proprement politique. Les autorités leur reprochent notamment d’avoir propagé «les superstitions», autrement dit, d’avoir peut-être un peu trop publié de photos de stars américaines. Ce n’est pas fini : treize autres publications sont actuellement sur la sellette.

Groupuscules. A Etemad-e Melli, on n’est donc jamais sûr que le prochain numéro ne sera pas le dernier. «Bien sûr que nous sommes préoccupés» , reconnaît Mohammed Javad Haghshenas, le directeur de la publication. Le journal n’en continue pas moins de défendre avec vigueur la liberté de la presse et à faire campagne pour la ligne réformatrice. Ou plutôt les lignes, car l’unité fait défaut, faisant apparaître le camp réformateur comme un archipel de groupes et de groupuscules. Comme les conservateurs, d’ailleurs.

Mais les réformateurs reviennent, eux, de loin : en interdisant à quelque 2 200 candidats de se présenter, dont d’anciens députés et ministres réformistes, le Conseil des gardiens de la Constitution, tenu par des savants religieux proches du Guide Ali Khamenei, semble les avoir poussés à boycotter le scrutin du 16 mars. Ce qui les aurait alors placés hors de l’espace politique, en situation de quasi-hors-la-loi, les privant de la possibilité de se présenter au scrutin présidentiel de l’an prochain. «Du début à la fin, cette élection n’a pas été honnête. Nous n’avons cessé de protester. Mais il faut aller voter, c’est la seule façon de changer la situation», insiste Mohammed Javad Haghshenas. Demeure que pour plus de 100 sièges - sur 290 -, les réformateurs n’ont pas pu présenter de candidat à cause des invalidations.

Cela n’a pas été le cas à Téhéran. Pourtant, les résultats y sont accablants pour les réformateurs. A moins d’une forte mobilisation pour le second tour, dont la date est encore inconnue, ils ne devraient avoir aucun des 30 sièges en compétition. Le candidat réformateur qui a obtenu le meilleur score n’a arraché que 5 % des suffrages.

D’une façon générale, le taux de participation a été l’un des plus bas que l’Iran ait connus : 26,9 % dans la capitale et 28,2 % dans le département de Téhéran, selon les chiffres officiels. «Cette chute de la participation est un signal d’alarme pour le régime. En même temps, quand la participation tombe, cela profite aux conservateurs qui bénéficient d’un vote clientéliste bloqué. Celui-ci représente entre 7 et 15 % des suffrages», explique un politologue iranien.

Félonie. En province, où la participation est largement supérieure, les réformateurs s’en sortent mieux. Ils devraient compter sur une cinquantaine de députés plus une vingtaine d’indépendants qui seraient des réformateurs déguisés. Soit un nombre analogue à celui des partisans de Mahmoud Ahmadinejad, mais bien inférieur à ceux de l’ensemble du camp conservateur. D’une façon générale, les réformateurs les plus tièdes, ceux conduits par l’ancien président du Parlement, Mehdi Karoubi ont été éliminés. Ce religieux s’était entendu avec le Conseil des gardiens pour avoir moins de candidats disqualifiés, ce qui l’avait poussé à claironner des imprécations contre les réformateurs, plus fermes, de l’autre grande tendance, le Front de la participation de l’ancien président Mohammad Khatami. Les électeurs lui ont fait payer sa félonie.

Dans la perspective du scrutin présidentiel, les réformateurs s’emploient déjà à mettre sur pied une grande coalition qui réunirait toutes les mouvances autour d’un candidat dont le nom n’est pas connu. «Elle rassemblerait les partisans de Khatami, de Karoubi, de Rafsandjani, et même Rohani [l’ancien responsable du dossier nucléaire, proche du Guide, ndlr]. Ce n’est pas encore gagné, mais nous progressons dans cette voie» , indique Sayyed Mohammad Kharazi, un ancien vice-ministre des Affaires étrangères et conseiller de Khatami. Objectif : battre à tout prix Ahmadinejad. Mais sera-t-il alors encore le favori des factions conservatrices ?


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