dimanche 15 juin 2008

Manouchehr Mottaki : selon l'Iran, "Paris ne prend pas assez de risques"

Au cours de la tournée qu'il effectue en Europe, le président américain George Bush a réitéré sa volonté et celle de ses alliés de l'Union européenne d'imposer d'autres sanctions à l'Iran si Téhéran ne met pas un terme à l'enrichissement de l'uranium dans son programme nucléaire contesté. Samedi 14 juin, le chef de la diplomatie de l'Union européenne, Javier Solana, se rend à Téhéran porteur de nouvelles propositions. Dans le même temps, des rumeurs d'attaque aérienne sur l'Iran ont circulé ces derniers jours, des analystes affirmant que M. Bush n'aurait pas écarté cette idée.

Manouchehr Mottaki, le ministre des affaires étrangères iranien, ne s'émeut pas outre mesure. L'hypothèse lui arrache un sourire : "George Bush effectue son dernier voyage en Europe. Tout ce qu'il dit et fait doit être interprété en clef électorale à usage interne. Il y a un vide décisionnel à Washington. De toute façon, nous ne pensons pas que les Etats-Unis ont la capacité de soutenir une nouvelle confrontation régionale."

De passage à Paris, mercredi 11 juin, M. Mottaki a tenu à délivrer, lors d'un entretien au Monde, un message qu'il estime "clair" et "sincère" : "L'Iran ne cherche pas à gagner du temps ; il n'est pas question d'un marchandage qu'il s'agirait de faire durer pour profiter de la situation. Ce qui nous motive, c'est notre désir d'établir le dialogue. Mais la confiance doit s'établir dans les deux sens", dit-il. Et d'expliquer que l'Iran, attaché "à ses droits et à ses engagements régionaux et internationaux", a fait "tous les pas nécessaires en ce sens en proposant récemment un paquet de propositions".

De fait, le gouvernement iranien a réactivé, entre autres, l'initiative d'un "consortium international" qui accompagnerait son programme d'enrichissement de l'uranium. De leur côté, les "Six" (France, Royaume-Uni, Russie, Chine, Etats-Unis et l'Allemagne) ont réaménagé leurs propositions de 2006, rejetées par l'Iran, ajoutant des perspectives commerciales et des consultations sur la sécurité au Moyen-Orient.

Peut-on cette fois espérer une avancée ? Javier Solana est attendu samedi à Téhéran, mais le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a déjà mis la barre très haut, déclarant qu'il "n'échangerait pas la dignité de la nation iranienne" contre des avantages. Plus nuancé, son ministre des affaires étrangères attend "d'entendre M. Solana", mais, insiste-t-il, "ces deux paquets de propositions devraient, en principe contenir des axes communs et cela peut représenter un nouveau regard sur le dossier".

Craint-il un renforcement des sanctions internationales - Téhéran est déjà frappé par trois séries de sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies - ? Il serait "inefficace", répond-il sans hésiter. Même à l'heure où la gestion de l'économie iranienne, avec une inflation à 20 %, laisse à désirer ? "Nous pensons que les Américains ont enfin compris que les sanctions ne donnaient aucun résultat et déboucheraient sur un échec." Et d'ajouter : "Les sanctions ? C'est dépassé, c'est de la littérature des années 1960 et 1970 !"

Soulignant le potentiel "dynamique" et la "vivacité" de l'économie iranienne, dans ce qui peut passer pour une allusion aux élections législatives du printemps, à l'occasion desquelles un consensus pour redresser l'économie s'est dégagé, M. Mottaki est catégorique : "Des réformes en profondeur sont en cours et elles sont destinées à améliorer le confort du peuple et des déshérités."

Au Proche-Orient, les signes d'ouverture entre la France et la Syrie, ou l'annonce de négociations indirectes entre les gouvernements israélien et syrien ne semblent pas lui faire redouter l'affaiblissement des relations entre Téhéran et Damas : "Le droit de la Syrie de récupérer des territoires qui lui appartiennent est absolu ; cela ne peut que la renforcer dans la région. Israël doit rendre les "fermes de Chebaa" au Liban et les hauteurs du Golan à la Syrie", conclut-il.

S'agissant de la France, le ministre mesure ses mots, mais la déception est sous-jacente : "L'Iran a fait beaucoup d'efforts pour que la France puisse jouer son rôle dans la région", insiste-t-il. Pense-t-il au Liban, où l'accord de Doha, en mai, salué par Téhéran, a débloqué en partie la crise politique ? "L'étroite liaison entre la politique française et la politique américaine, le fait que la France ne prenne pas assez de risques et d'initiatives, notamment au Liban, de même que l'absence de la recherche d'une solution globale", déplore-t-il, expliquent le fait que Paris "n'a pas eu de succès dans sa politique au Moyen-Orient". La France n'a fait, selon lui, "que suivre la politique d'autres pays qui ont échoué", alors qu'une véritable diplomatie nécessite plus de "maturité, sagesse, patience"...

Espère-t-il que Paris fera envers Téhéran la même ouverture qu'envers Damas ? L'Iran accueillera "très favorablement tout ce qui peut apporter une correction à une politique française qui n'a pas encore trouvé un point d'équilibre, de maturité", affirme-t-il. Le ministre assure même distinguer "des efforts" en ce sens : "Nous espérons qu'ils aboutiront et que la France pourra avoir avec ses véritables amis une relation basée sur le respect des intérêts réciproques."

Interrogé sur le candidat démocrate à l'élection présidentielle américaine, Barack Obama, qui a affiché sa volonté de dialogue avec les ennemis des Etats-Unis, dont l'Iran, M. Mottaki reste prudent. "Je ne veux pas créer de problèmes pour les candidats", glisse-t-il, avant d'assurer qu'"il faut prendre en compte la volonté du peuple américain". "Notre interprétation, résume-t-il, est que le prochain président devra répondre aux attentes du peuple américain." Et il ajoute avec conviction : "A l'évidence, le peuple américain veut un changement en profondeur, en particulier pour la politique étrangère."

Marie-Claude Decamps et Gilles Paris

Aucun commentaire: