jeudi 23 octobre 2008

L'Iran ressurgit dans la campagne électorale américaine

Brusquement, alors que l'économie occupait le débat électoral américain, la tension avec l'Iran a resurgi, mercredi 22 octobre. Le Pentagone a accusé Téhéran de "tenter de saper, miner et faire dérailler" le Status of Forces Agreement (SOFA), un projet d'accord longuement négocié entre Washington et le gouvernement irakien pour permettre un maintien des troupes américaines en Irak au-delà du 31 décembre, date butoir du mandat accordé par les Nations unies. Bagdad souhaite renégocier certains points, pour obtenir par exemple le jugement par ses tribunaux des crimes à l'encontre de civils irakiens commis par les contractuels employés par l'armée américaine.

Cette accusation américaine intervient après une vive polémique. La veille, l'amiral Michael Mullen, chef d'état-major interarmées américain, avait expliqué que, si l'Irak ne signait pas le SOFA dans sa version actuelle, il s'exposait à des "pertes significatives". Secrétaire à la défense, Robert Gates avait évoqué des "conséquences dramatiques". Anonymement, un officiel américain s'était montré plus menaçant : sans accord, "la protection que nous apportons à de très hauts responsables irakiens" pourrait en pâtir, avait-il déclaré. Mercredi, le gouvernement irakien récusait une volonté de Washington de lui "forcer la main". Réaction de la Maison Blanche : la porte d'une renégociation est "plus ou moins close".

En évoquant des "pressions iraniennes", les Etats-Unis replacent Téhéran – dont l'hostilité à tout accord sur la prolongation de la présence américaine en Irak est publique – au centre du jeu dans le dossier irakien. Et ce, à un moment où le débat sur la "sécurité nationale" a repris dans la campagne.

PRÉFÉRENCE IRANIENNE


Ce débat avait été relancé, dimanche, par des propos de Joseph Biden, colistier du candidat démocrate, Barack Obama, selon lequel "il ne faudra pas six mois pour que le monde teste Obama, comme l'avait été John Kennedy" (par l'Union soviétique, en 1962, lors de la crise des missiles à Cuba).

Réaction d'un porte-parole du candidat républicain John McCain : "Joe Biden nous garantit une crise internationale si Barack Obama est élu." Presque méprisant, M. McCain avait indiqué : "Moi, je n'ai pas besoin d'être testé", expliquant que l'ennemi connaissait sa fermeté.

Depuis, son entourage souligne les propos du président du Parlement iranien, Ali Larijani, qui a déclaré que le régime iranien "penche en faveur de Barack Obama, plus souple et plus rationnel". Le Hamas palestinien a aussi indiqué sa préférence pour le sénateur démocrate. "Qui les terroristes souhaitent-ils voir à la Maison Blanche en 2009?" : ainsi était intitulée une conférence téléphonique républicaine organisée mercredi.

Mais la question est risquée : peu après, le Washington Post citait le site internet Al-Hesbah, proche d'Oussama Ben Laden : "Al-Qaida appelle délibérément les Américains à voter pour McCain, [qui] poursuivra la politique en faillite de son prédécesseur." M. Obama, lui, a rencontré, mercredi, un forum de spécialistes sur les questions de sécurité à Richmond, en Virginie. Il s'est, avec humour, distancé de son colistier – "Joe [Biden] a parfois des fioritures rhétoriques" – et a surtout répété que "les menaces et les défis" auxquels sera confronté le futur locataire de la Maison Blanche seront le résultat de "huit ans" d'erreurs. "La question est : un nouveau président fera-t-il bouger l'Amérique dans une nouvelle direction [en tournant le dos à] l'unilatéralisme et l'idéologie [afin de] résoudre les problèmes pratiquement?", s'est-il interrogé.

RISQUE ÉLECTORAL

La tension avec l'Iran peut-elle devenir un enjeu électoral de dernière heure? Expert au Council on Foreign Relations, Vali Nasr estime que Téhéran fait effectivement pression sur le personnel politique irakien. Mais le Pentagone "mésestime le fait que le gouvernement irakien n'en a pas besoin pour hésiter à signer un accord sur lequel il est lui-même réticent pour des raisons de politique intérieure", explique-t-il. Pour lui, le candidat qui agiterait l'épouvantail iranien dans la querelle américano-irakienne "prendrait un risque", y compris sur le plan électoral. Celui de "mettre en valeur" le fait qu'après cinq ans de guerre "Téhéran est plus puissant que jamais en Irak, et qu'il est donc l'interlocuteur prépondérant".

Sylvain Cypel


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