samedi 25 octobre 2008

L'Europe refuse une "OPEP du gaz", par Jean-Michel Bezat

Est-ce un simple forum de discussion entre pays producteurs ou le prélude à la création d'une véritable "OPEP du gaz" ? En annonçant à Téhéran, le 21 octobre, la création prochaine d'une "grande troïka gazière" - expression retenue par le patron de Gazprom, Alexeï Miller -, la Russie, l'Iran et le Qatar ont aussitôt réveillé chez les Européens la crainte d'une nouvelle cartellisation dans le secteur de l'énergie. Ces trois pays, qui détiennent 56 % des réserves mondiales d'or bleu, pèseraient sur les prix et menaceraient les approvisionnements du Vieux Continent.

C'est déjà dans la capitale de la République islamique qu'avait été créé en 2001 un forum regroupant les grands pays exportateurs de gaz. Téhéran, Moscou et Doha veulent aller plus loin. "Nous sommes arrivés à un consensus pour créer une organisation commune gazière, accélérer sa mise en place et préparer ses statuts", a ainsi indiqué Gholam Hossein Nozari, le ministre iranien du pétrole.

Ses partenaires russe et qatari ont été plus prudents, mais ils veulent franchir une étape supplémentaire. La troïka devra être une "locomotive" qui tire les autres producteurs de gaz, a souligné M. Miller, en rappelant que l'époque de l'énergie bon marché était révolue, malgré la baisse récente du pétrole. Les trois pays ont aussi décidé de "coopérer sur des projets tripartites", a ajouté le patron de Gazprom.

Ils forment pourtant un attelage politiquement disparate, réuni par leurs seuls intérêts gaziers. Numéro un mondial avec 26 % des réserves, la Russie vend l'essentiel de son gaz à travers des contrats à long terme passés avec des groupes européens et l'écoule par pipelines. L'Iran est incapable d'exploiter ses énormes gisements (16 % des réserves) et doit importer du gaz par grand froid ! Ouvert aux majors étrangères, le Qatar, lui, a su valoriser les troisièmes réserves de la planète (14 %) en devenant le premier exportateur de GNL (gaz naturel liquéfié).

Quant à leurs intérêts industriels, ils ne sont pas toujours convergents : ainsi, Gazprom n'a pas pu s'entendre avec l'algérien Sonatrach. Une "OPEP du gaz" est d'ailleurs d'autant plus difficile à mettre en place qu'il n'existe encore que des marchés régionaux (Amérique, Asie, Europe), où les prix diffèrent. Il faudrait que la part du GNL, transporté par méthaniers et échangé comme du pétrole, devienne prépondérante pour que le marché se mondialise.

La Commission européenne a vite vu dans la "troïka" une menace. Car elle devra importer les trois quarts de son gaz en 2020 (54 % aujourd'hui). "L'énergie doit être vendue sur un marché libre. Si un tel cartel était créé, Bruxelles pourrait revoir sa politique énergétique", a prévenu son porte-parole.

Pour la Commission, la création d'un cartel pesant sur les prix est inacceptable alors que sa politique consiste, depuis le milieu des années 1990, à ouvrir le marché de l'énergie et à favoriser la multiplication des fournisseurs pour, dit-elle, faire baisser les prix. Sans oublier le programme nucléaire iranien et les démêlés de la Russie avec ses voisins géorgiens, ukrainiens et biélorusses, qui poussent l'Europe à s'opposer à cette alliance.

Jean-Michel Bezat


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