mercredi 15 octobre 2008

L'islam radical se cherche une voie dans la république laïque d'Azerbaïdjan

Des centaines de jeunes Azerbaïdjanais sont partis étudier en Arabie saoudite ou chez le grand voisin iranien. Des dizaines de mosquées se sont construites, financées par l'Iran ou les pays arabes du Golfe.

Gamet Souleymanov souffre encore des éclats de grenade incrustés dans son flanc droit. Il y a deux mois, le jeune imam de la mosquée Abou Bakr conduisait la prière quand une grenade jetée par une fenêtre a atterri au milieu des fidèles. «J'ai voulu la couvrir de mon corps, mais je n'en ai pas eu le temps. Mon heure n'était pas venue. Deux personnes ont été tuées.» Barbe courte, souriant et élégant en polo et pantalon noirs, Gamet Souleymanov est le leader d'un mouvement salafiste sunnite. Parti dès l'indépendance étudier au Soudan puis en Arabie saoudite, il cherche à inculquer aux Azerbaïdjanais la vision intégriste de l'islam saoudien. Selon lui, «la moitié des Azerbaïdjanais sont sunnites», contrairement aux estimations qui donnent habituellement 30 % de sunnites, héritage de l'empire ottoman, et 70 % de chiites, à cause de la proximité de l'Iran.

Gamet Souleymanov se dit apolitique, sauf quand il s'agit de dénoncer «les visées de l'Iran, qui veut faire de l'Azerbaïdjan un État chiite». La plupart des Azerbaïdjanais, citoyens d'une république laïque, réservent la religion aux enterrements. Mais depuis la chute de l'empire soviétique, des mouvements s'intéressent à ce réservoir de croyants et à leur potentiel d'influence. Des centaines de jeunes sont partis étudier en Arabie saoudite ou chez le grand voisin iranien. Des dizaines de mosquées se sont construites, financées par l'Iran ou les pays arabes du Golfe.

Le pouvoir, après avoir laissé faire, a expulsé la plupart des religieux saoudiens ou iraniens, et favorise les imams turcs, proches des Azerbaïdjanais par la langue et la culture et jugés plus modérés. Gamet Souleymanov et sa mosquée, financée, selon lui, par un milliardaire koweïtien, avaient survécu aux purges. Mais voilà : depuis l'attentat, elle reste fermée par les autorités, officiellement pour les besoins de l'enquête. En outre, «plus de deux cents fidèles ont été agressés par les policiers, et leur barbe rasée de force», affirme le religieux.

«Frères de la forêt»

«Je ne comprends pas, ajoute le jeune imam autour d'un thé à la confiture. J'ai fait six demandes de réouverture, j'ai écrit au président, à la première dame…» Pourtant, les coupables présumés ont été montrés il y a quelques jours sur plusieurs chaînes de télévision, avouant appartenir aux «Frères de la forêt», un petit groupe extrémiste religieux qui avait commis des hold-up dans la région de Soumgaït. Ils seraient liés, selon les autorités azerbaïdjanaises, à «l'émirat du Daghestan», un groupe de djihadistes internationaux basés dans cette république de la Fédération de Russie, et qui auraient fait le coup de feu en Tchétchénie. Après l'attaque de la mosquée Abou Bakr, les Russes, parfois soupçonnés de laxisme, ont attaqué les djihadistes et auraient tué leur chef.

Le pouvoir azerbaïdjanais aurait profité de l'affaire de la grenade pour mettre fin aux activités de l'imam salafiste de Bakou. Ilgar Ibrahimoglou, un imam chiite dissident, militant de la «liberté religieuse», a vu lui aussi sa mosquée fermée. Il ne se reconnaît pas non plus dans l'islam politique, mais a participé à des manifestations de l'opposition contre les précédentes élections, dénoncées comme frauduleuses. Pour l'instant, les islamistes azerbaïdjanais restent très minoritaires, qu'ils se revendiquent combattants ou apolitiques. D'aucuns, comme l'opposant Ali Kerimli, redoutent toutefois un engouement, à terme, des jeunes Azerbaïdjanais pour l'islamisme, «si l'opposition démocrate continue à être entravée».


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