mercredi 5 novembre 2008

Avec Obama, l'espoir d'un tournant dans les relations irano-américaines. (Par Delphine Minoui)

Elle n'en a pas dormi de la nuit. Dans son petit appartement téhéranais, Fariba Pajoo est restée assise dans son fauteuil, les yeux collés au téléviseur et le regard inquiet, jusqu'à deux heures du matin, - heure iranienne des premiers résultats de l'élection américaine. Quand je l'ai contacté aujourd'hui, vers midi, la jeune journaliste iranienne, ancienne collaboratrice de la presse réformiste, et actuellement sous pression des autorités iraniennes, n'avait qu'un mot à la bouche : « Obama a gagné. C'est un vrai changement ! ».

Ces élections américaines, cela faisait des mois qu'elle les suivait attentivement. Pour elle, comme pour beaucoup d'Iraniens dévoués à la cause de la démocratie, la victoire du nouveau Président américain laisse pointer l'espoir d'un changement des relations irano-américaines, gelées depuis près de 30 ans, et d'un possible affaiblissement des radicaux actuellement au pouvoir à Téhéran.

Pendant sa campagne électorale, Barak Obama s'est, en effet, dit « prêt à des pourparlers directs et sans préconditions avec l'Iran ». D'après l'analyste iranien Saeed Leylaz, proche des modérés, et contacté par téléphone, « si Obama amorce un dialogue avec Téhéran, cela affaiblira les radicaux en Iran ». Selon lui, Bush représentait un alibi idéal pour justifier les slogans extrémistes et l'attitude répressive du régime depuis l'arrivée au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad, en 2005. Avec Obama, « le réaliste », qui prend la relève de George Bush, «l'idéologue », ce genre de comportement perd sa raison d'être.


Une lueur au fond du tunnel pour Fariba ? Oui, peut-être. Au cours de ces dernières années, elle s'est retrouvée en première ligne, comme beaucoup d'autres, dans la répression qui sévit à l'encontre des intellectuels et de la société civile, régulièrement pointés du doigt comme étant « des espions à la solde de l'Amérique ». La plupart des journaux réformistes pour lesquels elle a travaillé ont du mettre la clef sous la porte. Accusés de « mettre en péril la sécurité nationale », plusieurs de ses amis se sont retrouvés derrière les barreaux.


Le mois dernier, alors qu'elle s'apprêtait à embarquer pour Dubaï, où elle devait prendre un vol pour les Etats-Unis, sur l'invitation de l'organisation IWPR qui l'avait convié à aller couvrir les élections américaines, elle a personnellement fait les frais du durcissement politique iranien. Bloquée par les services de sécurité de l'aéroport de Téhéran, elle s'est vue confisquer son passeport. Son interdiction de sortir du territoire, suivie par sa convocation aux services de renseignement, en disent long sur la paranoïa du régime actuel. « Espérons qu'avec Obama, la phobie iranienne de la « révolution de velours » et d'un renversement du régime iranien de l'extérieur puisse se calmer », dit-elle.


En cas de nouveau dialogue avec l'Amérique, l'Iran pourrait également revoir à la baisse sa politique de nuisance au Moyen-Orient. Si des discussions reprennent, « l'attitude de Téhéran dans la région pourrait alors changer, notamment avec différents groupes comme le Hezbollah, le Hamas, et certaines milices en Irak, que l'Occident accuse d'être soutenus par l'Iran », ajoute Leylaz. Quant à la crise autour du dossier nucléaire, « on peut espérer qu'elle puisse être résolue dans la mesure où l'ouverture d'un dialogue pourrait permettre de donner certaines garanties sécuritaires à l'Iran ». Car d'après l'analyste, « la ligne rouge pour le pouvoir n'est pas le nucléaire mais la sécurité du pays ».


Ce matin, la République islamique n'avait pas encore réagi officiellement au résultat du scrutin américain. Mais les titres de la presse iranienne ont salué, dans leur grande majorité, la victoire du nouveau Président américain. Côté politique, à droite comme à gauche, on semblait accueillir favorablement l'arrivée de ce « premier chef noir de la Maison Blanche », comme le décrit, en une, le quotidien modéré Sarmayeh (Capital). Interrogé par l'agence de presse officielle Irna, le conservateur Gholam-Ali Hadad-Adel, ancien président du Parlement, souligne que « pour sortir du bourbier dans lequel ils ont été plongés par Bush, les Américains doivent changer de politique ». Or, d'après lui, « M.Obama a compris cette réalité en choisissant le slogan « le changement dont nous avons besoin ».


Reste à voir, cependant, si la République islamique est prête à saisir cette branche d'olivier qui lui est tendue. Car, comme le remarque judicieusement Fariba Pajoo, Téhéran ne donne, pour l'instant, aucun signe de changement de ton à l'égard de l'Amérique. « Ce lundi 3 novembre, jour de la commémoration des 29 ans de la prise d'otage à l'Ambassade américaine, le drapeau des Etats-Unis a été brûlé, comme d'habitude, et les déclarations contre l'Amérique étaient enflammées », dit-elle. Pour l'heure, l'attitude belliqueuse de Téhéran reste donc au rendez-vous.


Ce matin, le quartier général des forces armées iraniennes a d'ailleurs adressé une mise en garde ferme à l'égard de Washington, en accusant l'armée américaine, stationnée en Irak, du risque de violation de l'espace aérien iranien. « Des hélicoptères américains volent à une distance très proches de la frontière irano-irakienne », stipule un communiqué de l'armée, cité par la chaîne iranienne en langue anglaise, Press TV. En ajoutant : « En cas de tentative de violation de l'espace aérien de la République islamique d'Iran, les forces armées iraniennes répondront par la force ».

Des propos qui pourraient compromettre, d'un côté comme de l'autre, les espoirs de dialogue.

« Je suis heureuse de la victoire d'Obama, mais je ne peux m'empêcher d'être inquiète», confie Fariba.


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