mercredi 19 novembre 2008

Les Européens, Barack Obama et le paradoxe iranien, par Daniel Vernet

Dans leur hâte légitime à ne pas se laisser imposer le cadre des premiers contacts avec la nouvelle administration américaine, les Européens n'en sont pas à un paradoxe près. Bernard Kouchner, le ministre français des affaires étrangères, a exposé, la semaine dernière devant la Brookings Institution à Washington, la "boîte à outils" que les Vingt-Sept proposent à Barack Obama, "ce que l'Union européenne peut offrir, ce qu'elle attend des Etats-Unis et ce que nous pouvons réaliser ensemble". On trouve de tout dans cette boîte à outils, des propositions et, plus étonnant, un avertissement, à propos de l'Iran.

C'est là qu'on voit que les temps ont changé. On n'est plus à l'ère de George W. Bush et des soupçons d'interventionnisme irréfléchi. De la part des Etats-Unis, les Européens ne craignent plus une attitude trop rigide mais trop conciliante. Les idées de M. Obama à propos d'un dialogue "sans conditions" avec Téhéran les inquiètent. Ils y voient un risque pour la stratégie qu'ils ont mise en oeuvre depuis cinq ans, à l'initiative d'une troïka composée des trois ministres des affaires étrangères d'alors, le Français Dominique de Villepin, l'Allemand Joschka Fischer et le Britannique Jack Straw.

En résumé : les Européens - et ils se faisaient fort d'entraîner les Américains - sont prêts à négocier avec les dirigeants iraniens et à les aider à construire une industrie nucléaire civile à condition qu'ils annulent, arrêtent, voire simplement suspendent, les activités d'enrichissement de l'uranium qui nourrissent les soupçons d'ambitions militaires. En cas de refus, le Conseil de sécurité des Nations unies imposerait des sanctions au régime des mollahs. Ce qui fut fait avec l'assentiment réticent des Russes et des Chinois.

Une double crainte était à l'origine de la démarche européenne : la crainte, bien sûr, que l'Iran ne devienne une puissance nucléaire, et la crainte que les Etats-Unis ne répondent à cette menace comme ils l'avaient fait à Bagdad (on était à l'automne 2003, quelques mois seulement après l'invasion de l'Irak). Afin de conjurer cette double "catastrophe", les Européens se sont lancés dans un marathon diplomatique dont personne ne voit l'issue.

M. Kouchner reconnaît que la double approche - négociations, sanctions - "n'a pas, jusqu'à maintenant, été couronnée de succès (...), mais elle n'a certainement pas échoué". Les Européens ont toujours pensé qu'une des conditions essentielles de réussite serait l'implication dans la négociation des Américains, qui n'ont plus de relations diplomatiques avec l'Iran depuis trois décennies. Aux Etats-Unis, d'anciens responsables politiques plaidaient aussi pour que Washington renonce à toute idée de changement de régime par la force en Iran et pour qu'ils reconnaissent le rôle de ce pays au Moyen-Orient, de l'Irak à la Palestine, en passant par le Liban. C'est ce qu'on appelait le "grand marchandage". Mais M. Bush a longtemps refusé de parler avec un des protagonistes de "l'axe du mal". Les Etats-Unis ont fini par s'intéresser à la démarche des Européens, trop peu, trop tard.

Au moment où M. Obama semble disposé à s'engager, les Européens sont en alerte. Négocier, c'est bien, a dit M. Kouchner à la Brookings, "mais tout dépend de comment et quand cette carte est jouée. Washington peut soit aider à sortir de l'impasse actuelle soit ruiner le processus de double approche". "Le dialogue doit avoir un sens", a ajouté M. Kouchner, et les trois Européens sont payés pour savoir que les Iraniens sont maîtres dans l'art de gagner du temps sans rien concéder. Mais rien n'indique que le président élu et son entourage n'en soient pas tout aussi conscients.

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