mardi 30 décembre 2008

La sagesse des Anciens

Le livre du jour:
L'Amérique face au monde. Quelle politique étrangère pour les Etats-Unis ?
Zbigniew Brzezinski et Brent Scowcroft. Entretiens dirigés par David Ignatius.
Préface de Pascal Boniface
Pearson Education France, 310 p., 24 €.

Lisez l'article de
Patrice Claude, paru dans l'édition du 30.12.08 de journal Le Monde.





Comprendre le monde et ses périls sans verser dans la paronoïa. Cesser de menacer, d'humilier, tout le monde tous azimuts. Ne pas diviser le genre humain entre ceux qui sont "avec nous" et tous les autres, pas forcément "contre nous". Parler, argumenter avec ceux qui ne comprennent plus l'Amérique. Sans renier ses intérêts. Sans écarter la possibilité de contraindre, y compris ses alliés si besoin. S'efforcer de comprendre les peurs, les motivations de ceux que les va-t-en-guerre professionnels qui se succèdent sur les écrans des médias, rarement sur les champs de bataille, conseillent régulièrement de vitrifier sur place. Au motif qu'on en a les moyens.

Bref, se conduire exactement à l'inverse de ce qu'ont fait les deux administrations Bush qui viennent de se succéder à la tête de la première puissance du monde. En creux, les entretiens entre Zbigniew Brzezinski et Brent Scowcroft, dirigés au printemps 2008 par le grand journaliste-écrivain qu'est David Ignatius, constituent le plus redoutable réquisitoire d'une politique guerrière qui a mené le monde au bord du gouffre ou d'une guerre des civilisations, ce qui revient au même. Le plus redoutable parce qu'il n'émane pas de deux pacifistes bêlant sans perception de la réalité des dangers. A eux deux, Brzezinski et Scowcroft ont un siècle d'expérience.

Unanimement respectés, adeptes de l'école dite des "réalistes" qui réfute toute approche idéologique ou moraliste des relations internationales, ces deux vieux sages savent exactement de quoi ils parlent. Le premier a été Conseiller à la Sécurité nationale (NSA) du démocrate Jimmy Carter et enseigne aujourd'hui à l'Université John Hopkins. Le second a occupé le même poste, central puisque le NSA conseille directement le chef de l'exécutif et préside le Conseil de sécurité nationale où siègent les ministres de la défense et des affaires étrangères, pour les deux présidents républicains que furent Georges Bush l'Ancien et Gerald Ford.

Venus de deux mondes politiques rivaux, ils sont d'accords sur l'essentiel. Hier opposés à l'invasion de l'Irak, ils pensent aujourd'hui qu'au Moyen Orient, "il faut parler avec l'Iran sans préalable, sans retirer l'option militaire de la table mais en prenant en compte le fait que l'Iran vit dans une région instable." Que celui-ci "doit pouvoir jouir de la sécurité sans avoir à acquérir l'arme nucléaire." Il faut cesser les menaces contre lui "parce qu'elles favorisent le régime et ne servent en rien notre position".

Il faut que Barack Obama "fasse du règlement du conflit israélo-palestinien, sa priorité numéro un". Parce que résoudre ce problème "diminuerait la tentation du terrorisme, éliminerait l'une des sources principales du radicalisme anti-américain" et que le statu quo "favorise l'Iran et ouvre des horizons à tous les extrémistes jusqu'à Al-Qaida". Il ne faut pas écarter la possibilité d'imposer une solution. Parce que "c'est l'intérêt d'Israël". Et parce qu'avec une population à peu près équivalente à celle de l'Etat juif, "les Palestiniens n'ont plus que 22 % de l'ancienne Palestine et Israël, déjà 78 %".

Ailleurs, comment mieux intégrer la Chine dans le système international ? Comment favoriser l'intégration de la Russie à l'Europe ? Comment stabiliser l'Afghanistan sans entrer dans une guerre sans fin ? Comment s'assurer la coopération du Pakistan sans déstabiliser son armée ? Le monde change. Grâce à Internet, un éveil politique planétaire qu'il "va falloir respecter", émerge. Ce dialogue, ruisselant d'intelligence et de sagesse, montre déjà qu'une fois débarrassée de son jargon et arrières pensées, la science des relations internationales est accessible à tous.


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