vendredi 12 décembre 2008

Obama, Israël et l’Iran

Va-t-il nous imposer la paix, se demandent Israéliens et Palestiniens ? Va-t-il nous proposer un compromis que nous ne pourrions pas refuser, se demande le régime iranien ? Nulle part ailleurs qu’au Proche-Orient l’attente suscitée par Barack Obama n’est aussi grande mais l’optimisme n’y est pas de rigueur.

Conversation récente avec une figure de la République islamique, conservateur déclaré mais partisan de longue date d’un rapprochement avec les Etats-Unis : «Le problème, dit-il d’emblée, est qu’Ahmadinejad a de grandes chances d’être réélu… - Avec une inflation galopante et les deux tiers du clergé contre lui ? - Il est affaibli, reprend-il, mais ses opposants sont divisés, non seulement entre conservateurs et réformateurs mais au sein même, aussi, des deux camps. Parti comme c’est, répète-il sombrement, il se succédera à lui-même au début de l’été.»

Peut-être a-t-il raison car, si les dirigeants iraniens savent bien que les provocations, l’intransigeance et l’impéritie de Mahmoud Ahmadinejad menacent leur pouvoir, il n’y a pas l’ombre d’un consensus, à Téhéran, sur l’ampleur des changements à opérer. Comme toutes les dictatures à bout de souffle, cette théocratie est tétanisée par la crainte qu’un appel d’air ne l’emporte. Les conservateurs les plus réalistes voudraient échanger avec les Américains la reconnaissance et la consolidation économique de leur régime contre la participation de l’Iran à la stabilisation de la région mais ils se déchirent sur le degré de réformes à introduire à l’intérieur même du pays. Les réformateurs sont partagés entre avocats d’une laïcisation complète - seul moyen, à leurs yeux, de préserver l’autorité des mollahs - et partisans d’évolutions plus graduelles.

Question, donc : «Comment Obama pourrait-il négocier avec vous si Ahmadinejad est réélu ?» Silence. «Obama n’aura plus que le choix des bombes et peu de gens l’en désapprouveront alors»«Oui», fait-il de la tête. «Et que se passerait-il après un bombardement de vos sites nucléaires ?» Nouveau silence. «Une vague d’attentats à travers le monde ?» Ses paupières acquiescent. «Et après ?»«Après, lâche-t-il sur le ton de l’évidence, Khamenei tombera.» «Le Guide tombera ? - Oui, car on lui reprochera d’avoir continué à soutenir Ahmadinejad et sous-estimé les Américains. - Et ensuite ? - Rafsandjani lui succédera et, petit à petit, tout sautera. L’explosion deviendra incontrôlable.» Talleyrand du régime iranien, ancien président de la République et homme de confiance du clergé, Ali Akbar Rafsandjani, est connu pour vouloir lâcher du lest sur les mœurs et trouver un compromis avec Washington. Si un tel scénario s’avérait, même au prix d’un chaos, ce ne serait pas le pire mais…

Conversation, maintenant, avec un haut responsable israélien, une colombe qui, lui aussi, sait tout ce qui se passe dans son pays : «Vous croyez qu’Obama pourrait finir par bombarder l’Iran ? - Non. Les Iraniens ne sont plus loin de leur but. Ils y parviendront et le monde entier s’y est résigné, même nous, parce qu’ils veulent essentiellement s’assurer d’un rapport de forces avec les sunnites et qu’on en est, déjà, à l’étape suivante, lorsque les centrales se seront répandues dans toute la région, dans des pays beaucoup plus instables que l’Iran, et que des mouvements islamistes auront les moyens d’organiser des attentats nucléaires. - Et d’ici là ? - La droite remportera nos prochaines élections. Barack Obama fera ce qu’avait fait Bush père avec la conférence de Madrid. Il contraindra le Likoud à négocier avec les Palestiniens. On arrivera à un accord… - A la paix ? - A un accord de paix, déjà conclu sur le papier, mais qui ne sera pas appliqué. - Pourquoi ? - Parce que le Hamas n’en voudra pas, que les pays arabes dits "modérés" ne sont, en fait, que patients, qu’ils ont besoin de nous contre l’Iran et les islamistes mais ne veulent pas d’un Etat israélien pérenne et que, nous-mêmes, nous n’oserons jamais risquer une guerre civile pour évacuer les colons de Cisjordanie. Tout arrive trop tard. Arafat ne nous a pas aidés mais nous avons laissé passer la chance de la paix. - Vous voulez dire que vous ne croyez plus en la survie d’Israël ? - Je ne sais plus. Pour mes enfants, je ne sais pas.»

Il y avait, bien sûr, du coup du blues chez ces deux interlocuteurs. Lorsqu’on a le nez dans le guidon, israélien ou iranien, il y a de quoi. On n’en oublie la force du désir de changement de la jeunesse iranienne, la profondeur de l’aspiration au compromis chez les Israéliens et les Palestiniens, le bouleversement de la donne, surtout, qu’introduira le tournant américain. Vivement le 20 janvier mais, pour Barack Obama, les difficultés commencent.

Par Bernard Guetta; membre du conseil de surveillance de Libération.


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