vendredi 19 juin 2009

De légers soupçons de fraude, aucune preuve

Aahmoud Ahmadinejad a-t-il manipulé les résultats de l'élection présidentielle iranienne du 12 juin ?

Selon les résultats officiels publiés par le ministère de l'intérieur, M. Ahmadinejad a obtenu 62,63 % des voix contre 33,75 % à son principal rival, Mir Hussein Moussavi. Le conservateur Mohsen Rezaï et le réformateur Mehdi Karoubi obtiendraient respectivement 1,73 % et 0,85 % des suffrages. Selon ces chiffres, 85 % des 46 millions d'électeurs iraniens se sont rendus aux urnes. Par rapport à la précédente élection, en 2005, Ahmadinedjad fait un bond spectaculaire : lors du scrutin de vendredi, le sortant a réuni 25 millions d'électeurs sur son nom ; en 2005, ils étaient moins de 6 millions au premier tour et 17 millions au second. En pourcentages, toutefois, le score réalisé par Ahmadinejad au premier tour de l'élection de 2009 (62,63 %) rejoint celui obtenu au second tour du scrutin de 2005 (61,69 %).

Face à ce raz-de-marée, les accusations de fraude ont rapidement fusé. Tour d'horizon des différents argumentaires.

* La géographie électorale

Accusations de fraude. Dans un pays où les solidarités ethniques l'emportent souvent sur les enjeux nationaux, nombre d'observateurs considèrent comme suspects les faibles résultats obtenus par Moussavi dans la province d'Azerbaïdjan, dont il est originaire, ou par Karoubi dans son fief de l'Ouest iranien. Enfin, pour l'universitaire américain Juan Cole, la victoire d’Ahmadinejad à Téhéran paraît peu crédible dans une ville où les tendances progressistes sont fortes.

Limites. Le Washington Post rappelle que les résultats sont assez nuancés dans les deux provinces azéries : dans la province de l'Ouest-Azerbaïdjan, Moussavi est devant Ahmadinejad (49 % contre 47 %) ; dans celle de l'Est-Azerbaïdjan, il perd, mais de peu (42 % contre 56 %). Le journal souligne aussi avec ironie qu'Al Gore, candidat à l'élection présidentielle de 2000 aux Etats-Unis, avait perdu dans son Etat du Tennesse.

De son côté, le site Politico, très remonté contre "les experts de l'Iran (...) analysant la situation selon leurs souhaits", note que Mahmoud Ahmadinejad parle lui aussi azéri et qu'il a mené une campagne très efficace dans les deux provinces citées. (Voir les résultats par province)

* Le décompte des voix

Accusations de fraude. Les scores d'Ahmadinejad dans le pays sont très homogènes, relève Juan Cole. Lors des scrutins passés, les résultats du président étaient bien plus disparates. Quant à la BBC, elle souligne que, contrairement aux élections précédentes, les résultats n'ont pas été annoncés par province mais par "blocs" de millions de voix. Des blocs qui faisaient apparaître des écarts de voix à chaque fois semblables. L'élection serait en quelque sorte "trop belle pour être vraie". Une approche partagée par le site TehranBureau, qui regroupe des journalistes du monde entier. S'appuyant sur les chiffres officiels, le site relève que l'évolution des scores de Moussavi et Ahmadinejad est restée, tout le temps qu'a duré le décompte des voix, parfaitement linéaire.

Ce décompte aurait par ailleurs été effectué trop rapidement, si l'on se réfère à la quantité de bulletins à dépouiller – 20 millions en trois heures. Dans le Washington Post, l'expert Mehdi Khalaji affirme que dans certains bureaux les représentants de l'opposition n'ont pas pu assister au décompte.

A partir de ces éléments, Juan Cole reconstitue la "scène du crime" : la commission électorale, qui est censée attendre trois jours pour annoncer le résultat, aurait demandé à Moussavi de retarder l’annonce de sa victoire, avant de changer de discours et d’annoncer la victoire d’Ahmadinejad. Ce film de la soirée électorale est corroboré, sur le blog d'Abbas Djavadi, de Radio Free Europe, par le directeur de campagne du candidat d'opposition.

Le blog de Georges Malbrunot rapporte les propos d'un homme d'affaires qui relève qu'en Iran, "on vote en inscrivant le nom du candidat sur le bulletin. Quand on est illettré au fin fond du pays, un pasdaran [Gardien de la révolution] dans le bureau de vote peut vous aider à bien voter."
Limites. Politico concède que des "manipulations" ont pu entacher le scrutin et que l'Iran ne répond pas aux standards occidentaux d'organisation d'élection. Mais le pays a trente ans d'histoire électorale marquée par des élections disputées, rappelle le site, selon qui ces accusations ne suffisent pas à remettre en cause l'ampleur de la victoire de Mahmoud Ahmadinejad.

* Les sondages

Accusations de fraude. Michael Tomasky, rédacteur en chef d'un des sites du Guardian, Guardian America, soutient également la thèse d'une fraude massive : "Comment un candidat qui tournait à 39 % d'intentions de vote quelques jours avant le scrutin a-t-il pu obtenir 62 % le jour de l'élection (...) sachant que 11,2 millions d'Iraniens de plus se sont déplacés par rapport à 2005 et que 7,2 millions auraient porté leur voix sur Ahmadinejad. Cela voudrait dire que 65 % des nouveaux votants ont choisi le président sortant". "Peu vraisemblable, conclut-il, dans un pays où le taux de chômage est supérieur à 10 %, l'inflation est proche de 25 % (...) et les promesses populistes faites il y a quatre ans n'ont pas été tenues."

L'analyste Renard Sexton, qui écrit sur le site FiveThirtyEight.com note quant à lui que la forte participation aurait dû entraîner des résultats plus serrés. Chiffres des dernières élections à l'appui, il estime qu'en toute logique Ahmadinejad aurait dû plafonner à 55 %.

Limites. Pour Politico, les sondeurs comme les médias occidentaux n'ont pas pris la mesure de la bonne fin de campagne du président sortant. Ce dernier aurait réussi dans les derniers jours à créer une dynamique sur son nom et à discréditer ses adversaires.

Surtout, une enquête réalisée mi-mai par l'ONG américaine Terror-Free Tomorrow – considérée comme plus crédible que les quelques sondages réalisés en Iran – avait mis en évidence le fort soutien de la population à Mahmoud Ahmadinejad. Trois semaines avant l'élection du 12 juin, cette étude donnait vingt points d'avance à Ahmadinejad sur son rival.


Benoît Vitkine


Aucun commentaire: