mardi 14 juillet 2009

En Iran, l'ordre policier n'éteint pas la révolte

Un mois après la réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad, le 12 juin, le mouvement de protestation a trouvé, au coeur de la ville sainte de Qom, un nouveau front du refus. Et c'est une fois de plus le grand ayatollah Montazeri, dauphin déchu du père de la révolution de 1979, l'ayatollah Rouhollah Khomeyni, qui a donné le ton.


Répondant aux questions de Mohsen Kadivar, un intellectuel religieux de renom, aujourd'hui aux Etats-Unis, M. Montazeri a, sans jamais le nommer, dressé un réquisitoire féroce à l'encontre du Guide suprême actuel, l'ayatollah Ali Khamenei, qui appuie de tout son poids M. Ahmadinejad.

Dans cet entretien diffusé sur plusieurs sites iraniens, et qualifié "d'historique" par plusieurs exégètes religieux, le grand "marja" ("source d'imitation") de Qom explique, dans une allusion à la répression des manifestants, que la torture "est un péché sur le plan religieux et un crime sur le plan juridique". "Le peuple courageux d'Iran, ajoute-t-il, sait bien comment sont obtenus les aveux télévisés de ses fils emprisonnés." Et M. Montazeri, réaffirmant le droit des Iraniens "à s'exprimer pacifiquement", qualifie la façon dont est "guidé" le pays de "tyrannique" avant de conclure par une fatwa (avis) : "N'ayez pas peur (...) Chaque bon musulman a le devoir de s'opposer à l'injustice de ceux qui bafouent ses droits."

Dans ce texte, le choix des mots était significatif. M. Montazeri a employé l'expression "jaer" (despote usurpateur) pour qualifier la gestion du Guide suprême. C'était l'expression utilisée à deux occasions historiques par d'autres marjas en colère contre le pouvoir : en 1906, lors de la révolution constitutionnelle, par l'ayatollah Khorassani contre le roi Qadjar Mohammed Ali chah, détrôné au profit de son fils ; et pendant la révolution islamique de 1979, par l'ayatollah Khomeyni contre le chah Mohammed Reza Pahlavi.

La sortie de l'ayatollah Montazeri, qui s'ajoute aux critiques d'une dizaine d'autres marjas, embarrasse d'autant plus les fondamentalistes au pouvoir à Téhéran, qu'à l'approche des festivités de la prise de fonction de M. Ahmadinejad prévue en août, en mal de "reconnaissance religieuse", ils harcèlent les hauts dirigeants de Qom pour obtenir leur aval, ou au moins un mot de félicitation.

Les pressions sont si fortes qu'un autre marja, jusque-là favorable à M. Khamenei, l'ayatollah Ostadi, qui est à la tête des écoles religieuses de Qom, a dénoncé les "agissements illégaux" des miliciens bassidji, critiquant leur chef, l'hodjatoleslam Ghassem Ravan Bakhch, et le mentor fondamentaliste du président Ahmadinejad, l'ayatollah Mesbah Yazdi.

Très courroucé, l'ayatollah Ostadi terminait par la pire menace pour le régime iranien théocratique : "Si la pression continue, une bonne partie d'entre nous quittera la République islamique pour s'exiler à Nadjaf en Irak."

En un mois, seule la surface des choses semble avoir changé : l'ordre policier règne, mais la contestation couve toujours, qui s'exprime au coup par coup. L'heure n'est plus aux grandes manifestations, même si quelques milliers de jeunes Iraniens ont démontré, jeudi, pour l'anniversaire des révoltes étudiantes de 1999, qu'ils pouvaient surmonter leur peur, en descendant dans les rues de Téhéran, d'Ispahan (où il y aurait eu une vingtaine d'arrestations), Tabriz et Chiraz.

L'opposition tente de s'organiser "légalement" autour de Mir Hossein Moussavi, candidat des réformateurs à l'élection présidentielle. Surtout, la répression continue. Depuis le 8 juillet, trente personnes ont été arrêtées, dont Mohammad Ali Dadkhah (avocat du Centre pour les droits de l'homme du Prix Nobel de la paix Shirin Ebadi), le sociologue irano-américain Kian Tajbakh et Kaveh Mozafari (militant du droit des femmes). Le pouvoir judiciaire a déclaré que sur 2 500 personnes arrêtées, 500 encore en prison "allaient être jugées".

"Qui sont ces 500 personnes ? Nous n'avons pu documenter que 172 cas précis, beaucoup sont en isolement total et n'ont pu donner aucune nouvelle en un mois", nous a confié Karim Lahidji, président de la Ligue des droits de l'homme iranienne qui a saisi deux instances des Nations unies.

"En réalité, le pouvoir semble débordé, les procès n'ont pas encore eu lieu, ils arrêtent, relâchent, ré-arrêtent, même leur politique répressive n'est pas fixée, commentait un analyste iranien. Depuis un mois, c'est un état de siège qui ne veut pas dire son nom. Ils sont sur la défensive."

Pour certains, attachés à la pérennité du régime, la situation est critique. Mohsen Rezaï, l'ex-chef historique des Gardiens de la révolution, l'armée idéologique du régime, et candidat malheureux à l'élection présidentielle, a ainsi écrit dimanche une lettre ouverte alarmante. Il y parle de "grave crise de confiance" que la "seule répression ne peut résoudre" et insiste sur le "risque d'effondrement de la république islamique". Sera-t-il entendu ? Vendredi, la prière sera célébrée à Téhéran par l'ancien président Hachemi Rafsandjani, qui a soutenu les réformateurs durant la campagne. M. Moussavi y a donné rendez-vous à tous ses partisans.


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