jeudi 2 juillet 2009

Les sanctions contre l'Iran, arme à double tranchant, par François Nicoullaud

Collectives ou unilatérales, visant l'économie, la défense, la circulation des personnes, ou encore la coopération culturelle et l'aide au développement, les sanctions forment un échelon incontournable dans la gamme des interventions internationales.

Leur histoire compte un certain nombre de succès (contre la Rhodésie du Sud, l'apartheid...) et aussi beaucoup de résultats mitigés et d'échecs. Elle enseigne que les sanctions sont d'autant plus efficaces que leur cible est faible, et proche sur les plans économique, politique, culturel de leurs auteurs. Elle enseigne aussi que les sanctions les plus efficaces font mal à ceux qui les appliquent. Enfin, toutes les sanctions, des plus lourdes aux plus légères, ont un effet psychologique commun : la "mise au pilori", censée embarrasser leur cible, mais qui peut aussi l'installer dans une posture de défi.
L'Iran est sans doute aujourd'hui le pays de la planète qui subit la gamme la plus large de sanctions : sanctions multiples mises en oeuvre par les Etats-Unis dès 1979, embargo européen sur les armes datant de la même époque, sanctions récentes des Nations unies visant des individus et des entreprises mêlés au programme nucléaire, sanctions américaines et européennes s'ajoutant aux dernières, en vue de tarir les flux financiers entre l'Iran et le monde extérieur ; plus récemment encore, pressions américaines visant à bloquer l'approvisionnement de l'Iran en produits pétroliers raffinés, et pressions de gouvernements, dont le nôtre, sur leurs propres nationaux pour freiner le commerce et les investissements.

Ces sanctions ont-elles été efficaces ? Oui dans la mesure où l'Iran connaît des difficultés économiques persistantes qui ont ralenti son développement économique et social. Oui dans la mesure où il éprouve le plus grand mal à exploiter ses ressources d'hydrocarbures, à maintenir une flotte d'avions civils en état de marche, et encore à équiper en matériels performants ses armées. Non si l'on regarde les buts à atteindre, qui étaient d'obliger l'Iran à modifier son comportement international, à renoncer à son programme nucléaire, et si possible d'entraîner la chute de la République islamique.

Face au refus persistant de l'Iran de suspendre ses activités sensibles d'enrichissement d'uranium, les diplomates européens et américains poursuivent en ce moment la réflexion sur le contenu de nouvelles vagues de sanctions, capables cette fois-ci de faire plier l'Iran. Dans cet exercice, les Français ne sont pas en reste. Le résultat sera-t-il au rendez-vous ?

Rien n'est moins sûr. Force est de constater que les sanctions ont, jusqu'à présent, plutôt encouragé l'intransigeance de la République islamique et lui ont facilité la mobilisation de la population autour de son programme nucléaire, élevé au rang de cause nationale. Elles ont aussi permis, dans une certaine mesure, au régime de s'exonérer de ses lourdes erreurs de conduite en matière économique : si les prix montent, si le chômage reste aussi important, la faute vient d'ailleurs...

En revanche, avec toute la prudence qui s'impose, l'on peut se demander s'il n'y a pas eu un "effet Obama" dans le courage qui a saisi la population de Téhéran, et d'autres villes, pour descendre dans la rue au lendemain d'une élection truquée et pour défier le régime. A partir du moment où l'Amérique a cessé de menacer et a tendu la main, l'effet de ralliement autour des gouvernants aurait commencé à faiblir, et chacun de reprendre sa liberté, de se dire : "Yes, we can..."

Mais l'on a vu aussi la froide détermination du coeur conservateur du régime à ne se laisser à aucun prix dépouiller de son pouvoir. Il a failli une fois lui échapper, avec l'élection en 1997 du réformateur Mohammad Khatami, et il a juré de ne plus se laisser surprendre. "Les Gardiens de la révolution, les bassidji et les autres forces de l'ordre et de sécurité sont prêts à mener une action décisive et révolutionnaire pour mettre un terme au complot et aux émeutes", ont déclaré publiquement les premiers. Ces mots, s'ajoutant aux actes déjà commis, font peur. Quelles sanctions feront plier ces gens-là ?

Depuis la mi-juin, Ali Khamenei, Mahmoud Ahmadinejad et leurs séides sont encore plus difficilement fréquentables. Mais n'y a-t-il pas moyen de toucher, d'aider, tous ceux qui n'appartiennent pas au coeur du régime, qui ont montré leur aversion pour ses pratiques, qui ont perdu cette fois-ci, mais qui reviendront forcément un jour ? Ceux-là mériteraient un allégement des sanctions qui les touchent au premier chef.

Car si une partie des sanctions actuelles vise les dirigeants du pays et leurs entreprises, une autre partie pèse sur la population, et souvent sur la part la plus spontanément tournée vers l'extérieur. D'autant qu'il y a bien plus que les sanctions formelles. Sans que cela soit écrit nulle part, l'on accorde moins de visas, et plus difficilement, aux voyageurs, l'on donne moins d'autorisations de séjour et d'études et moins de bourses aux étudiants et aux chercheurs. Le moindre étudiant en physique cache un inventeur potentiel d'engins nucléaires. L'on soutient donc moins de projets de coopération scientifique et technique. L'on décourage, enfin, les entreprises de commercer et d'investir dans le pays, même dans des secteurs non sensibles. Le mot "Iran" sur un dossier fait chez les fonctionnaires prudents office de repoussoir.

Entre autres exemples, il semblerait que l'on freine en ce moment la mise en oeuvre de contrats signés en Iran pour le développement de capacités de raffinage, avec l'intention d'y créer une pénurie d'essence. Si tel est le cas, est-ce ainsi que l'on espère faire tomber le régime ? Mais les centaines de milliers d'Iraniens qui sont descendus le 15 juin dans la rue demandaient de la liberté et de la démocratie, pas de l'essence. Ils ont conquis ce jour-là par leur courage le droit à notre soutien concret.

Si nous sommes convaincus que la majorité des électeurs a rejeté Ahmadinejad, nous ébranlerons beaucoup plus sûrement les fondements théocratiques de la République islamique en jouant l'ouverture, les échanges, le contact avec la population iranienne qu'en poussant le régime à se barricader avec son peuple en otage.

François Nicoullaud est ancien ambassadeur en Iran (2001-2005), membre du club des Vigilants.


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