lundi 24 août 2009

Mehdi Karoubi, un mollah atypique et réformateur, devenu le porte-parole de la contestation en Iran


Vendredi 21 août à la grande prière de Téhéran, un influent ayatollah fondamentaliste, Ahmad Jannati, a réclamé que soient "arrêtés et jugés" ceux qu'il appelle les "meneurs " du mouvement de protestation qui, depuis l'élection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad, le 12 juin, n'en finit pas de s'exprimer, en dépit des pressions et de plus de 4 000 arrestations. Et parmi ces "meneurs", il désigne en bonne place le candidat réformateur malheureux au scrutin de juin, Mehdi Karoubi.



Etrange destin que celui de ce religieux atypique, menacé par les ultras du pouvoir d'être jeté en prison à 72 ans, lui qui connut les geôles du chah, justement pour avoir été un précurseur de la révolution islamique de 1979, aux côtés du fondateur, l'ayatollah Khomeyni, qui lui vouait estime et amitié. Longtemps, il a incarné au sein du régime les fonctions les plus officielles (et parfois les plus rentables), comme celle de directeur de l'opulente Fondation des martyrs, et de l'Organisation des pèlerinages. Il sera député, président du Parlement (1989-1992 et 2000-2004) et fondera l'Association des clercs militants, des religieux "progressistes".

Rallié aux réformateurs de l'ancien président Mohammad Khatami, Mehdi Karoubi a plongé dans la contestation en se présentant à la présidentielle de 2005 remportée par un presque inconnu, le maire de Téhéran, Mahmoud Ahmadinejad. Il sera le premier à dénoncer (déjà !) une "fraude " et à clamer que les miliciens bassidjis, acquis à M. Ahmadinejad sorti de leurs rangs, ont "forcé" l'élection. Ce qui lui vaut une mise au pas.

Depuis, M. Karoubi est resté critique, attaquant les diatribes sur la "destruction d'Israël " du président iranien ou sa gestion économique. Mais à chaque fois, comme le dit un avocat iranien qui le connaît bien, "avec la conscience aiguë des lignes rouges à ne pas dépasser quand on est un personnage qui compte mais du deuxième cercle du pouvoir".

L'élection du 12 juin allait lui faire renoncer à ses dernières prudences. Populaire auprès des jeunes qu'il mena en campagne sur le thème "Changement !, assez du dictateur !" ; proche de ces familles de martyrs de la guerre Iran-Irak, souvent des gens modestes pour lequel il continue de s'entremettre ; volontiers bavard et populiste, il sait travailler les auditoires. Mais son ressort semble être devenu la colère et l'exigence de justice.

"ALLER JUSQU'AU BOUT"

Mir Hossein Moussavi, cet ex-premier ministre appuyé par les réformateurs à la présidentielle, est devenu malgré lui, poussé par la "vague verte" (couleur de la campagne), le symbole de la contestation. Obstiné comme les montagnards de son Lorestan natal Mehdi Karoubi, resté au second plan durant la campagne, s'est depuis imposé comme le porte-parole le plus pugnace de l'opposition.

Les mollahs ne sont plus très populaires en Iran, certains disaient que M. Karoubi aussi s'était laissé gagné par le goût de l'argent et du pouvoir. Ces critiques sont oubliées : avec MM. Moussavi et Khatami, il anime le mouvement civique lancé cette semaine, le "chemin vert de l'espoir".

A quelques semaines de l'élection, nous recevant dans son bureau à Téhéran, d'où l'on voyait les monts Alborz enneigés ("un peu d'air frais en politique"), cet homme soigné avec son turban blanc, sa barbe en pointe et ses fines lunettes, nous avait confié qu'il se considérait comme "l'aile gauche de la ligne de l'imam Khomeyni". Expliquant que M. Ahmadinejad " avait toutes les cartes en main, de la télévision aux milices" et que la "compétition serait dure et inégale", il avait ajouté : "En politique, il ne faut pas se presser. Mais quand on se décide, il faut aller jusqu'au bout." Depuis, il n'a pas lâché. "Il a un courage aussi incroyable qu'inattendu, dit un analyste iranien. Il a brûlé tous ses vaisseaux derrière lui."

Avant l'élection, il signait un texte, avec le prix Nobel de la paix Shirin Ebadi, sur les exécutions de mineurs. Ensuite, lorsque le 30 juin, le Conseil des gardiens de la révolution valide l'élection de M. Ahmadinejad, il rétorque : "Ce président est illégitime, je poursuivrai mon combat par tous les moyens légaux." De fait, le 25 juillet, il dénonçait dans une lettre ouverte l'arbitraire des services secrets, "outil le plus opaque et terrifiant qui soit et les centres de détention illégaux". Une autre lettre révélera, cette fois, les tortures et les viols en prison. Ce qui entraînera la création de deux commissions d'enquête et la fermeture de la prison secrète Kahrizak. Dernière missive : il suggère au président du Parlement, Ali Larijani, de réunir les chefs du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire pour présenter "ses preuves". Traité de "traître" par la presse officielle qui demande sa tête, Mehdi Karoubi a vu son journal, Ettemad-e-Melli, fermé en début de semaine. "Je ne me tairais que mort " sera sa réponse.

Marie-Claude Decamps


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