mardi 18 août 2009

Clotilde Reiss, une libération pas affranchie de questions

Elle a certes quitté dimanche soir sa cellule de la prison d’Evin, mais l’universitaire française Clotilde Reiss, 24 ans, reste sous contrôle judiciaire. Assignée à résidence à l’ambassade, elle attend le verdict de son procès devant le tribunal révolutionnaire pour «espionnage», des accusations jugées «totalement fantaisistes» par les autorités françaises comme par son entourage. L’affaire n’est donc pas finie et les proches du dossier préfèrent, à raison, rester discrets.

Quelle caution a été versée ?

Le procureur de Téhéran, Saïd Mortazavi, a déclaré hier à l’agence iranienne Mehr que la jeune femme avait été mise en liberté «après le dépôt d’une caution de 300 millions de tomans», soit près de 213 000 euros. Interrogée par l’AFP, l’ambassade de France à Téhéran s’est refusée à tout commentaire. Le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, cité par le Monde, a reconnu le versement de la caution tout en précisant qu’elle n’avait «rien d’énorme et ne se montait pas à des centaines de milliers d’euros». Une caution a aussi été payée pour la Franco-Iranienne Nazak Afshar, employée depuis dix-huit ans aux services culturels de l’ambassade de France, remise en liberté le 11 août et assignée à résidence. De tels paiements n’ont a priori rien de honteux : il ne s’agit pas de rançons payées à des ravisseurs, même si ces prisonniers sont les otages d’un régime contesté après la réélection, le 12 juin, du président Ahmadinejad grâce à des fraudes massives. Le versement d’une caution par Paris signifie néanmoins la reconnaissance d’une procédure dénoncée comme un simulacre de justice par les principales organisations de défense des droits de l’homme et l’opposition iranienne. Nombre de ses représentants en exil regrettent en outre que «la focalisation sur ce cas fasse oublier le sort de centaines d’autres personnes arrêtées». L’activisme montré par les autorités françaises, y compris au plus haut niveau, a pu également avoir un effet contre-productif. «Le ton employé par Paris a donné aux Iraniens les arguments qu’ils recherchaient pour montrer à leur opinion publique qu’il y avait bien eu une intervention étrangère», soupire Yann Richard, spécialiste de l’Iran (1).

Quel a été le rôle de la Syrie ?

Des contacts directs entre Nicolas Sarkozy et le président syrien, Bachar al-Assad, ont eu lieu tout au long de l’affaire. Dès la libération conditionnelle de la jeune femme, Paris a tenu à adresser des remerciements appuyés à Damas pour son «influence». La réconciliation franco-syrienne avait été scellée par la présence d’Al-Assad au défilé du 14 juillet 2008. «C’est la rencontre de deux politiques qui ont besoin l’une de l’autre», souligne Dominique Moïsi de l’Institut français des relations internationales. Damas tente de sortir de l’isolement où l’a placé son alliance avec Téhéran. Paris, de son côté, veut maintenant démontrer à ses partenaires européens, comme à Washington, que la carte syrienne vaut la peine d’être jouée. Jusqu’ici ce pari n’avait guère donné de résultat concret. Relativement simple à régler, le dossier Reiss a représenté une occasion de faire entrer en jeu la Syrie.

Est-ce qu’il y a un marchandage avec Téhéran ?

Il est difficile de savoir si, au-delà du versement de la caution, d’autres engagements ont été pris. Beaucoup d’experts en doutent. «L’arrestation de Clotilde Reiss, et d’autres prétendus espions étrangers, était avant tout un fait de politique intérieure pour convaincre l’opinion iranienne de la réalité d’un complot et montrer la force du régime. Une coupable française, c’était encore mieux, parce que les dures critiques de Paris sur les élections et la répression - alors même que les Américains restaient discrets - avaient profondément irrité le pouvoir iranien», souligne Yann Richard. Ces objectifs atteints,Téhéran pourrait lâcher du lest comme dans de nombreuses précédentes affaires, notamment celle de 15 marines britanniques appréhendés en mars 2007 pour être rentrés par inadvertance dans les eaux territoriales iraniennes. Sur la question du nucléaire ou des sanctions, Paris ne peut pas faire grand-chose seul. La vraie partie se joue avec Washington. «Cet épisode masque peut-être des enjeux plus importants, et notamment la reconnaissance de la République islamique par les Etats-Unis», affirme Yann Richard. L’expert relève également «qu’un signe probant a été la fermeture en Irak du camp d’Achraf, sous la protection des Américains, qui hébergeait les Moujahidines du peuple [opposants armés au régime islamique, ndlr]. C’était l’une des conditions préliminaires fixées par les Iraniens pour la reprise du dialogue avec Washington».

(1) Auteur de L’Iran, naissance d’une République Islamique, La Martinière, 2006.


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