mardi 11 août 2009

«On ne sait plus qui gouverne et qui commande en Iran»

Des membres des Gardiens de la révolution crient des slogans anti-Israël, à Téhéran, le 24 juillet 2009. (Raheb Homavandi / Reuters)

Deux spécialistes de l'Iran reviennent sur les rivalités internes qui secouent en ce moment le pays, à travers le rôle des gardiens de la révolution.

A l'heure des procès qualifiés de «mascarades», d'appels à «l'arrestation» d'opposants, de «répression» contre les «ennemis de Dieu», l'Iran se débat en pleine crise politique intérieure entre gardiens de la révolution pro-Ahmadinejad et anciens Pasdaran (autre appellation des gardiens de la révolution) fidèles à la République mais pas au président. Bernard Hourcade et Azadeh Kian-Thiébault, deux spécialistes de l'Iran et chercheurs au CNRS expliquent à Libération.fr les enjeux de cette crise politique.

Bras de fer

La réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad a provoqué «la crise la plus importante du pays depuis la Révolution islamique» expliquent à l'unisson les deux experts de l'Iran. Le pouvoir est «si contesté et si complexe qu'on ne sait plus qui gouverne et qui commande en Iran», assure Azabeh Kian-Thiébaut.

Il est vrai que les différents clans qui dessinent le paysage politique iranien ne vont pas de soi. D'un côté, on retrouve les gardiens de la révolution, le bras armé du Guide, qualifiés de «minorité», selon Bernard Hourcade. Ils sont au pouvoir et tentent de «bunkeriser» le régime autour du président. «Ils font partie de la dernière génération de Pasdaran, celle qui n'a pas d'éclat parce qu'elle n'a pas combattu pendant la guerre Iran/Irak», affirme-t-il, «ils sont décriés par beaucoup de personnalités politiques».

De l'autre côté, la première génération de gardiens de la révolution, appelés les «vétérans» — dans lesquels on retrouve entre autres Moussavi le candidat malheureux de l'élection —, crient à l'usurpation. Ces fondateurs de la Révolution, aujourd'hui reconvertis dans la sphère politique et économique du pays, font partie de l'élite iranienne et s'opposent à la légitimité présidentielle. «Ils accusent les pasdarans pro-Ahmadinejad de mal gérer le dossier iranien tant sur le plan du nucléaire que sur le plan international», rappelle le spécialiste. «La minorité de Gardiens de la révolution autour du président appelle au durcissement du régime, à la répression, et à l'hostilité à l'étranger. Ce n'est pas le cas pour bon nombre des vétérans».

Bunkerisation

«Depuis 2004, les pasdaran en place tendent à contrôler le système politique dans son ensemble», explique la spécialiste du CNRS, «ce que j'appelle la militarisation du système. Enfermement des opposants, torture, liquidation». Les gardiens de la révolution, fidèles au président, souhaitent «faire disparaître la composante démocratique pour n'en garder que celle théocratique», rappelle-t-elle. Même son de cloche du côté de Bernard Hourcade: «Ces gens sont pour un état islamique, on y retrouve d'ailleurs certaines idées des talibans. Ils essaient de supprimer la légitimité du peuple pour faire de l'Iran, l'état de Dieu. Le régime se bunkerise». Leur but? «Ils sont convaincus que la survie de la République passe par une protection absolue. Ils refusent tout contact avec l'extérieur, toutes relations internationales», explique Bernard Hourcade.

Procès

«Ces procès, ces mascarades, font partie intégrante de la propagande du régime», explique Azadeh Kian-Thiébaut, «ils veulent montrer que la République est en danger, qu'ils font tout pour la sauver». Pourtant, une grande partie de la population rejette ces tribunaux. «Ils sont contre-productifs. Non seulement une partie de la population ne les reconnaît pas mais ils amènent les opposants à se radicaliser», assure-t-elle.

Petite pointe d'optimisme tout de même. Bernard Hourcade n'est pas inquiet quant au sort de Clotilde Reiss, la jeune française jugée actuellement pour sa participation aux manifestations anti-Ahmadinejad. «Je pense qu'elle sera graciée. Elle sert d'exemple aujourd'hui mais elle deviendra vite encombrante pour le régime. De plus, le président ne va pas tarder à entrer dans une phase d'ouverture pour s'assurer du soutien des députés. Ce sera une phase de relâchement.»

Sortie de crise

«L'Iran pourrit sur place» selon les mots de Bernard Hourcade. «Le pays est actuellement dans une impasse politique. Le Guide suprême a perdu sa crédibilité, en légitimant l'accession à la présidence d'Ahmadinejad malgré l'hostilité de 50% de la population, ajoute-t-il, le Guide n'a pas réussi à assurer l'unité du pays.»

Le spécialiste avance quelques scénarii pour l'avenir : «Le président pourrait être destitué par le Guide si le Parlement ne reconnaît pas le gouvernement qu'il s'apprête à présenter la semaine prochaine.»

Deuxième scénario: «Le Parlement reconnaît le gouvernement du président, mais je doute que ce soit probable».

Troisième option: «le président peut faire durer la situation et passer outre la décision du Parlement même si cette dernière ne valide pas le gouvernement.» Quelle qu'elle soit, la sortie de crise s'annonce «décisive pour la stabilité du régime», rappelle Azabeh Kian-Thiébaut.


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