Serrer les rangs à tout prix. La consigne - écrite - distribuée aux principaux députés était venue directement du Guide suprême iranien, Ali Khamenei, qui, jeudi 3 septembre, avant le vote de confiance au Parlement sur les ministres choisis par le président Mahmoud Ahmadinejad, avait plaidé pour "montrer aux ennemis de l'intérieur et de l'extérieur un front uni".
Et ainsi fut fait. Après plus de quatre jours de débats houleux, principalement au sein des rangs conservateurs (la minorité réformatrice avait presque boudé l'exercice), M. Ahmadinejad, accusé d'avoir privilégié la "fidélité" à la "compétence" dans ses choix, obtenait pourtant la confiance pour 18 des 21 ministres présentés. Seuls trois (dont deux femmes et le candidat au ministère de l'énergie) étaient rejetés, soit un de moins que lors de la formation de son cabinet, lors de son premier mandat, en 2005. Un mandat que personne n'avait alors contesté, contrairement au mouvement de protestation qui a suivi l'élection du 12 juin, que les réformateurs accusent d'être entachée de fraude.
Que dire du nouveau gouvernement ? En surface, la seule "innovation" réside dans la nomination d'une femme, Marzieh Vahid Dastjerdi, au ministère de la santé. En profondeur, les postes-clés, à l'exception des affaires étrangères qui restent dans les mains de Manoucherh Mottaki, vont à des fidèles pour la plupart issus des mouvances bassidjis (milices islamistes), des Gardiens de la révolution, l'armée idéologique du régime et surtout des services secrets, les trois "piliers" qui ont soutenu jusqu'ici M. Ahmadinejad.
De fortes pressions avaient précédé le vote sur les personnalités les plus contestées. C'était le cas de Mostafa Mohammad Najar, un haut gradé des Gardiens de la révolution nommé à l'intérieur ; de Heydar Moslehi, ex-délégué du Guide suprême auprès des milices bassidjis, désigné pour le portefeuille des renseignements, ou encore de Kamran Daneshjou, ce vice-ministre de l'intérieur qui a organisé les élections contestées du 12 juin, nommé, lui, à la recherche et la haute technologie. Plusieurs d'entre eux, lors de leurs auditions, avaient même ostensiblement commencé leur exposé en rapportant ou lisant en public des propos flatteurs du Guide suprême à leur sujet.
Après des mois de manifestations dans les rues et de guérilla interne au plus haut du pouvoir, l'Iran affiche, avec ce nouveau gouvernement, une certaine "normalité". Pourtant, les fractures sont béantes. Et en silence, en dépit de la censure et des arrestations, le "mouvement vert" du candidat réformateur malheureux, Mir Hossein Moussavi, qui n'a cessé de crier à la fraude électorale, progresse et s'organise.
"Le Guide a réussi à sauver la face. Ce gouvernement moins qualifié encore que le précédent mais plus compact idéologiquement est une arme de combat, nous a expliqué par téléphone un analyste iranien proche des réformateurs, mais il ne faut pas s'y tromper, le Guide et son "poulain" Ahmadinejad sont sur la défensive."
Le régime hésite
De fait, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU, fin septembre, date butoir pour que le président américain Barrack Obama cesse de "tendre la main" à l'Iran, de nouvelles sanctions seront discutées. Et Téhéran aura besoin d'avoir une paix relative sur le plan intérieur.
Mais comment gérer "aveux" et procès d'opposants ou cette terrible répression qui s'est soldée par 4 000 arrestations, une soixantaine de morts officiels, des dénonciations de torture et des récits accablants ? Le régime hésite, le Guide souffle le chaud et le froid.
Comme pour tenter de retrouver une certaine crédibilité auprès d'une large portion de la société civile iranienne, Ali Khamenei, critiqué pour être sorti définitivement de son rôle traditionnel "d'arbitre" pour soutenir M. Ahmadinejad, a admis "certains abus" en prison. Il a même laissé créer une commission d'enquête, promis justice contre les tortionnaires et fait fermer le centre de détention secret de Kahrizak où des viols et des sévices contre de jeunes manifestants auraient eu lieu, selon les témoignages recueillis par l'opposition.
Mais dans le même temps, le journal Kayhan, "voix" officielle du régime, réclame l'arrestation de ceux qu'il appelle les "cerveaux et les meneurs" de la contestation. Le ferait-il sans l'aval du Guide ? De même, comment penser que le commandant en chef des Gardiens de la révolution, Mohammad Ali Jafari, puisse lui aussi réclamer, comme il vient de le faire, l'arrestation des chefs réformateurs, sans un aval tacite de M. Khamenei ?
"Les prochaines semaines risquent d'être capitales, expliquait encore cet analyste réformateur. Soit, petit à petit, les procès prennent fin, les prisons s'ouvrent et les autorités amorcent une tentative de réconciliation à présent qu'ils ont - au moins en surface - resserré les rangs dans leur propre clan fondamentaliste. Ou alors, c'est la fuite en avant. Ils achèvent le travail."
A moins que le régime ne se contente de continuer, comme il l'a fait jusqu'ici d'"asphyxier" lentement la contestation. En dispersant les états-majors politiques de l'opposition, en coupant les chefs de leurs militants et de leurs journaux. Et ce, dans l'idée que jeter en prison les principaux réformateurs - MM. Khatami (ex-président de la République), Moussavi ou Karoubi - ne ferait que créer des troubles dans les rues, et leur conférerait davantage de poids en en faisant des "martyrs".
Marie-Claude Decamps
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire