samedi 12 juillet 2008

Iran : le scénario du pire n'est pas une fatalité

L'analyse de Renaud Girard, grand reporter au service étranger du Figaro.

Mercredi dernier, l'Iran procède à des tirs d'essai de missiles à longue portée, dont les images télévisées font le tour du monde. Jeudi, le secrétaire d'Etat Condoleeza Rice annonce que les Etats-Unis ont renforcé leur présence militaire dans la région. Le monde est-il reparti dans la spirale vicieuse conduisant à une nouvelle guerre sur les rivages du ­golfe Persique, qui serait provoquée par un bombardement israélien ou américain, peu importe des installations nucléaires iraniennes ?

Tout se passe-t-il comme si deux trains fous avaient été lancés sur la même voie en sens contraire, que tout le monde voyait venir la collision mais que personne ne pouvait ou n'osait les arrêter ? Le président iranien Ahmadinejad, un islamiste illuminé, serait le conducteur du premier train fou ; le vice-président néoconservateur américain Dick Cheney, celui du second. Heureusement, ces deux cheminots ne disposent pas, chez eux, de la décision suprême de ­faire la guerre. En Iran, elle appartient au guide suprême de la révolution islamique, l'ayatollah Ali Khamenei. À Washington, l'influence des néoconservateurs sur le président George W. Bush a beaucoup diminué, en raison du fiasco irakien. Robert Gates, le respecté secrétaire à la Défense, est opposé à l'ouverture d'un troisième front en Iran, alors que les forces américaines peinent à stabiliser l'Afghanistan et l'Irak.

Aux États-Unis, la Rand Corporation, un institut indépendant, vient de publier une étude montrant que des frappes contre les installations d'enrichissement d'uranium iraniennes seraient contre-productives. Non seulement elles ne modifieraient en rien le programme nucléaire iranien, mais elles rallieraient, dans un réflexe nationaliste, la totalité de la population iranienne au régime, alors que celui-ci est devenu impopulaire à cause de ses échecs économiques. La Rand préconise au contraire la création de conditions permettant le rétablissement d'un dialogue direct et de haut niveau entre Washington et Téhéran.

De surcroît, on ne voit pas le Congrès en majorité démocrate donner l'autorisation au président Bush d'entrer en guerre contre l'Iran, de même qu'on ne voit pas la Maison-Blanche se passer de l'aval du Capitole pour ordonner des frappes aériennes aux conséquences incalculables.

Mais, dans les scénarios du pire, il reste celui de la double détente. Première phase : un raid israélien sur les installations nucléaires de l'Iran. Deuxième phase : des représailles iraniennes visant à fermer le détroit d'Ormuz, dans le Golfe, afin d'assécher l'approvisionnement pétrolier de l'Occident. Troisième phase : les Américains sont obligés d'intervenir militairement pour rétablir la liberté de navigation dans le Golfe. Quatrième phase : les pasdarans iraniens se vengent en bombardant à coups de missiles les bases américaines et les pays arabes les abritant, à commencer par le Qatar.

En Irak, les miliciens chiites de l'Armée du Mahdi de Moqtada al-Sadr lancent une offensive générale contre les soldats américains. Le Golfe s'embrase. Le Proche-Orient aussi, car on ne voit pas le Hezbollah libanais, filleul des pasdarans, rester les bras croisés face à Israël. Le baril de pétrole passe à 500 dollars, la Russie est le seul pays gagnant. À ce scénario du pire s'oppose le cercle vertueux suivant : phase un, les États-Unis ouvrent un dialogue direct avec l'Iran. Phase deux, Téhéran facilite la stabilisation du Sud irakien ; Washington met fin à son embargo technologique frappant l'industrie pétrolière iranienne. Phase trois, l'offre de pétrole augmentant, le prix du baril se stabilise. Phase quatre, on reprend, de manière apaisée, la négociation nucléaire avec l'Iran. Le monde entier est gagnant…

La France s'honorerait à jouer un rôle d'«honest broker» (intermédiaire sincère) entre l'Amérique et l'Iran, afin que prévale le scénario vertueux.


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