samedi 13 décembre 2008

Livre: Iran : l'irrésistible ascension, de Robert Baer, JC Lattès,

L'Iran, cet incompris
Les Américains auraient beaucoup à gagner s'ils reconnaissaient la puissance et la modernité de l'Iran, et s'en faisaient un allié. C'est le conseil d'un ex-agent de la CIA. Extraits (p. 15-16 et 218-219).

En 2005, un vendredi soir, j'ai assisté au service religieux de l'université de Téhéran. On nous avait attribué la cabine de presse juste à côté de l'ayatollah Kashani qui s'adressa aux fidèles pendant les deux heures qui suivirent. Le vaste amphithéâtre n'était qu'à demi- rempli, mais le sermon de Kashani fut long et plein de fureur, comme un écho vivace de 1979. Dans la rue, une manifestation s'organisait. On brandissait des effigies du président Bush, aux canines pointues et dégoulinantes de sang. Sur le trottoir d'en face, des banderoles avaient été déroulées : «Marg bar Amerika» - A mort l'Amérique.
Je décidai de déambuler un peu au milieu des manifestants. J'aperçus un vieillard qui agitait le poing en hurlant, visiblement très décidé à mettre à mort l'Amérique. Je me dirigeai vers lui. «Vous voulez dire tous les Américains ?» demandai-je. Il m'adressa un regard curieux. «Vous venez d'où ?» Je lui répondis que j'étais américain. Il me fit un clin d'oeil et se pencha vers moi. «Comment je peux avoir un visa pour les Etats-Unis ?»
L'Iran est une terre toute en nuances. Malheureusement, à l'heure même où ce serait pourtant le plus salutaire, les Etats-Unis ne voient pas ces nuances et ne comprennent pas l'Iran dans toute son ampleur : un pays profondément pieux, et qui pourtant tente désespérément de se moderniser. Les partis religieux iraniens ne récoltent que 10% des suffrages - nettement moins qu'en Turquie, pays membre de l'Otan et allié de l'Amérique.
Les Américains voient le président iranien et les mollahs comme les vestiges d'une période sombre, alors qu'ils sont en réalité la force motrice derrière l'élan de modernisation du pays. Les Iraniens regardent nos films, lisent nos livres, écoutent notre musique. Ils se sont mis à Internet et aux nouvelles technologies avec une ferveur égale à la nôtre. Aujourd'hui, le persan est la troisième langue la plus répandue sur Internet après l'anglais et le mandarin. Le président Ahmadinejad lui-même tient son propre blog. Par certains aspects, l'Iran s'est aligné sur nos indices de modernité. Pour les Irakiens, Téhéran compte. Pas Washington.
L'Iran continuera à se présenter comme puissance incorruptible, contrairement aux Etats-Unis, qui n'ont cessé de se salir les mains dans des scandales de corruption, en Irak. Les Etats-Unis ne sont toujours pas capables de rétablir l'électricité à Bagdad, tandis que l'un des postes d'exportation les plus importants de l'Amérique et de la Grande-Bretagne vers l'Irak et l'Afghanistan est celui de compagnies de sécurité privées, des mercenaires. A l'heure actuelle, à Kaboul, le contraste saute aux yeux. Les ambassades américaine et britannique sont entourées de murs d'enceinte anti-explosion, de barrières en ciment et de barbelés. Par comparaison, l'ambassade iranienne n'est délimitée que par un simple mur, et des familles pique-niquent sur la pelouse devant le bâtiment. S'il y a des gardiens iraniens, ils sont invisibles.
Les Américains ont beau se glorifier d'être les défenseurs de la démocratie, le message anticolonialiste de l'Iran est bien celui qu'écoutent les peuples du golfe Persique.

Notre avis.
«We'll attack Iran», avait menacé Hillary Clinton, alors candidate à l'investiture démocrate, au printemps dernier, envisageant l'hypothèse où Téhéran attaquerait Israël. Désormais chargée des Affaires étrangères au sein de l'équipe Obama, l'ex-First Lady gagnerait à lire l'analyse ultradocumentée de Robert Baer avant de déclencher le feu nucléaire. Cet ex-agent de la CIA, responsable du Moyen-Orient, fréquente assidûment le pays des mollahs depuis que le Hezbollah a fait exploser l'ambassade américaine à Beyrouth, en 1983. Un travail de terrain de près de trois décennies au cours desquelles l'Iran a beaucoup changé : «Ce n'est plus un Etat voyou, mais une puissance régionale ambitieuse, impérialiste même, avec laquelle il faudra compter», explique Baer. Le message ? Impossible de sortir du bourbier irakien sans coopérer avec les Perses.
Barbouze de choc, l'auteur pulvérise... les préjugés.

Robert Baer, ancien agent de la CIA, est consultant international.

«L'Amérique voit le président iranien et les mollahs comme les vestiges d'une période sombre, alors qu'ils sont la force motrice derrière l'élan de modernisation de l'Iran.»


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