mardi 20 janvier 2009

Barack Obama se montre "tantôt réaliste, tantôt idéaliste"

Historien, Justin Vaisse est un spécialiste de la diplomatie américaine, et chercheur à la Brookings Institution.

Le départ de George Bush signe-t-il définitivement l'échec des néoconservateurs ?
En fait, ils n'ont jamais été dominants à Washington ou même dans l'administration Bush. L'influence intellectuelle de Bill Kristol ou Robert Kagan est notable, mais l'influence politique de décideurs comme Paul Wolfowitz, Doug Feith ou Elliott Abrams s'explique largement par leur alliance avec un autre courant, celui des "faucons nationalistes" comme Dick Cheney, Donald Rumsfeld ou John Bolton. Ces deux groupes ont promu l'intervention en Irak, mais pour des raisons différentes, s'opposant surtout à une troisième école, celle des réalistes.
Comment décrire ces trois camps ?
Les néoconservateurs veulent une Amérique forte, active et interventionniste, qui façonne son environnement international. Si elle ne le fait pas, des forces hostiles le feront, ce qui mettra en danger la sécurité des Etats-Unis et la paix internationale. Ils défendent la démocratie tant pour des raisons morales que pour des raisons de stabilité : les démocraties sont plus pacifiques (entre elles), elles n'engendrent pas de terrorisme ou de prolifération et ne menacent pas les Etats-Unis. Que ce soit pour l'URSS, l'Irak ou l'Iran, ils préfèrent changer le régime plutôt que de le légitimer par le dialogue avec lui.
Les faucons nationalistes partagent la vision musclée des néoconservateurs, mais ne s'intéressent pas à la question de la démocratie, des régimes politiques. Ils veulent projeter une image de force à l'extérieur pour que l'Amérique soit respectée.

Les réalistes, au contraire, prennent la diplomatie au sérieux. Ils privilégient l'ordre et l'équilibre des puissances, se méfient des grandes utopies, et acceptent la légitimité des régimes autocratiques, avec lesquels il faut parfois négocier pour avancer les intérêts américains.
Qui l'a emporté ?
Le 11-Septembre a changé la donne et a permis à l'alliance des faucons de l'emporter sur la question irakienne en 2002-2003 contre les réalistes, représentés par le secrétaire d'Etat Colin Powell et, à l'extérieur de l'administration, par Brent Scowcroft, ancien conseiller de Bush père, qui avait mis en garde contre une intervention en Irak dès l'été 2002. Mais suite aux déboires en Irak, et plus encore à partir de 2006, George Bush a pris un tournant réaliste sur tous les grands dossiers, avec Condoleezza Rice comme secrétaire d'Etat : Corée du Nord, Israël, terrorisme et même le principe de négocier avec l'Iran. Ce qui explique que la rupture d'Obama ne sera pas si profonde : c'est entre Bush I et Bush II que se sont faits les réajustements les plus importants.
Trouve-t-on, au sein de l'administration Obama, de telles divisions entre écoles de pensée ?
Même si leur perception de la puissance n'est pas la même que celle des néoconservateurs, il existe des "faucons libéraux", qui estiment que l'Amérique doit intervenir pour des causes humanitaires et pour empêcher les génocides, car ces désordres minent la stature morale de la communauté internationale et risquent de menacer la paix du monde et donc la sécurité des Etats-Unis. Leur chef de file est Madeleine Albright qui est très proche d'Hillary Clinton, l'actuelle secrétaire d'Etat, et de Susan Rice, l'ambassadrice à l'ONU, très en pointe sur la question du Darfour.
Qui sont les réalistes ?
Il ne faut pas exagérer l'importance de ces étiquettes. Mais dans le camp réaliste, on peut mentionner Joe Biden, le vice-président, Jim Steinberg, le numéro 2 du département d'Etat, et sans doute le général James Jones, le conseiller de sécurité - contrairement à ce qu'on pense, les militaires sont rarement interventionnistes. Ils seront réticents à intervenir sauf si les intérêts stratégiques de l'Amérique sont directement engagés. Ils privilégieront le dialogue avec Moscou et même Téhéran. Leur figure de référence : Zbigniew Brzezinski, qui vient de signer un livre avec le républicain Brent Scowcroft, ce qui montre la proximité des deux !

Il existe aussi une troisième école, celle qui met en avant l'importance des institutions internationales et du multilatéralisme. Quelqu'un comme Anne-Marie Slaughter, qui devrait diriger le centre d'analyse et de prévision du département d'Etat, insiste sur la nécessité de renforcer les organisations internationales et les normes collectives. Ces "institutionnalistes" pourraient jouer un rôle d'arbitrage entre les réalistes et les interventionnistes.
Et Barack Obama, quelle est sa vision du monde ?
Il s'est bien gardé de trop s'engager et, encore une fois, l'étiquetage a ses limites ! Tantôt il a paru réaliste, en évoquant l'ouverture vers l'Iran et une ligne plus douce vis-à-vis de la Russie, en consultant Zbigniew Brzezinski ou même Brent Scowcroft. Tantôt il a paru idéaliste, évoquant l'importance d'un leadership américain déterminé pour le "monde libre". Mais en même temps, ayant vécu à l'étranger, il est très conscient du problème d'image des Etats-Unis. Enfin, n'oublions pas que c'est un professeur de droit : ça ne fait pas de lui automatiquement un institutionnaliste, mais il est sensible à cette question de la légalité.


Propos recueillis par Corine Lesnes

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