jeudi 22 janvier 2009

Mahmoud Ahmadinejad se pose en "leader de la rue arabe"

Il n'est pas un carrefour important, une avenue, une place à Téhéran qui n'abrite une affiche géante de Palestiniens blessés à Gaza, ou une urne pour collecter de l'argent. Images en boucle à la télévision, colloques et manifestations de soutien en tout genre, dont celle, inédite, l'autre jour, de petites filles serrant une poupée pour symboliser les enfants morts sous les bombes : depuis plus de trois semaines, l'Iran vit à l'unisson de Gaza. Tabriz, une des villes saintes chiites, s'est déclarée "soeur jumelle" de Gaza, et les utilisateurs de téléphones portables ont reçu par SMS un numéro de compte bancaire pour des dons.

Le président Mahmoud Ahmadinejad a, pour sa part, réclamé un tribunal international pour y "juger les crimes de guerre d'Israël". Le Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, a émis une fatwa (décret religieux) appelant au boycottage des produits et des compagnies liées à Israël. Et, à la prière du vendredi, le 16 janvier, l'ayatollah Jannati a même déclaré que la ministre des affaires étrangères israélienne, Tzipi Livni, mériterait que "quelqu'un utilise une balle" contre elle.

En dehors de ce climat d'effervescence émotionnelle, relayé par les autorités, pas fâchées au passage de voir la crise économique éclipsée à la "une" des journaux, l'heure n'est pourtant pas aux "dérapages". Les 70 000 volontaires qui attendaient à l'aéroport pour aller défendre leurs "frères" de Gaza, la semaine dernière, ont été renvoyés chez eux par les services de sécurité. Quant aux jeunes radicaux qui ont promis "un million de dollars" pour la tête du président égyptien Hosni Moubarak, ils ont été vertement remis en place dans un éditorial de la presse conservatrice.

"SOLIDARITÉ ISLAMIQUE"

L'Iran a préféré mettre l'accent sur une offensive diplomatique de grande envergure. En quelques jours, le ministre des affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, a multiplié les messages demandant des "clarifications" à l'Egypte, l'Arabie saoudite et la Jordanie, jugées trop "passives" et "proaméricaines". Le président du Parlement iranien, Ali Larijani, est allé plaider la cause du Hamas en Turquie, et M. Ahmadinejad s'est rendu à un sommet à Doha consacré à Gaza, le 16 janvier. Ni le chef de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, ni l'Egypte, ni l'Arabie saoudite n'étaient présents. En revanche, le chef politique du Hamas, Khaled Mechaal, était là.

Pour M. Ahmadinejad, premier président iranien à avoir participé à une réunion du Conseil de coopération du Golfe, en 2007, c'était aussi une façon de mettre son pays en première ligne, avec la Syrie, derrière le Hamas. Et, d'une manière plus générale, en première ligne sur la question palestinienne. En agissant au nom d'une "solidarité islamique", M. Ahmadinejad "se positionne en leader de la rue arabe", face à l'embarras des pays arabes "modérés" qui ont reconnu Israël, estiment certains analystes.

L'Iran, plus que jamais "parrain" du Hamas, auquel il aurait donné, dit-on, 250 millions de dollars il y a trois ans ? Il suffit de se rendre au nord de Téhéran, dans un petit immeuble résidentiel qui abrite aussi, nous dira le gardien, une délégation du Hezbollah, pour poser la question au docteur Abou Osama Abdolmati, qui, depuis sept ans, est le représentant du Hamas en Iran.

"En Europe, votre problème, c'est que vous êtes focalisés sur l'Iran !", s'exclame-t-il, assurant que son mouvement, issu des Frères musulmans, n'est pas un satellite de Téhéran et "existait bien avant la République islamique sous un autre nom, se bat et résiste depuis soixante ans". Bien sûr, le Hamas "remercie l'aide iranienne" : "Nous voulons la justice, dit-il, et nous acceptons toute l'aide qui va dans ce sens. J'engage les pays européens, dont la France, l'Italie, l'Allemagne, le Royaume-Uni, à suivre le chemin de l'Iran, qui cherche la justice pour les Palestiniens. Mais il n'y a pas que l'Iran, nous recevons de l'aide d'Arabes du monde entier."

Ce que veut le Hamas, explique M. Abdolmati, c'est une négociation "globale" : "Cessez-le-feu, retrait militaire, fin des restrictions et ouverture de tous les points de passage, dont Rafah, sans quoi nous nous battrons sans fin. Des années, s'il le faut." Considère-t-il comme certains que l'Egypte a "trahi" les Palestiniens ? Il reste prudent : "C'est un mot que je n'emploierais pas. Je préfère dire, sans les citer, que les pays arabes dits modérés auront une responsabilité morale et historique à assumer après ce qui s'est passé à Gaza."

Marie-Claude Decamps

Aucun commentaire: