vendredi 30 janvier 2009

Philippe Welti, un «Américain» en Iran

Pendant quatre ans, il a été l'ambassadeur de Suisse en Iran, fonction qui englobe la représentation des intérêts américains. À l'heure où Barack Obama tend prudemment la main à Téhéran, le diplomate, sur le départ, revient sur sa délicate mission et offre quelques conseils pour un possible dialogue.

Femmes voilées, midinettes en robe moulante, diplomates en costume-cravate, officiels en chemise sans col piétinent dans les jardins cossus de la résidence de l'ambassadeur de Suisse, sur les hauteurs de Téhéran. La fête nationale suisse, célébrée fin juillet, est un événement qui ne se rate pas. À 60 ans, Philippe Welti attire les foules.

Avec sa deuxième casquette de représentant des intérêts américains en Iran - faute de dialogue entre les deux pays depuis trente ans -, il est le diplomate occidental le plus en vue de Téhéran. Le plus sollicité aussi. Un rôle dont ce grand bonhomme chaleureux a profité pour se faire entendre. «Il est important d'évoquer des sujets qui fâchent, estime-t-il. Et il faut être sur place pour faire bouger les choses. Ce n'est pas avec des programmes en farsi sur Voice of America qu'on aide la société civile iranienne», estime ce Zurichois, en référence aux millions de dollars de Washington pour soutenir, à distance, «la démocratie en Iran»… Avec l'arrivée au pouvoir de Barack Obama, «une nouvelle approche» se profile. Évoquée sous Bush, l a réouverture d'un avant-poste diplomatique américain à Téhéran pourrait être concrétisée. L'ambassadeur Welti sera peut-être le dernier de son espèce, lui qui s'est retrouvé pendant quatre ans aux premières loges du ping-pong irano-américain.

Quand Welti débarque en juillet 2004 à Téhéran, il plonge dans l'inconnu. «Je m'étais préparé à l'idée d'un emploi routinier dans un pays morose», dit-il. Son mandat vis-à-vis de Washington est multiple. De bonne source, il s'y est rendu deux fois par an pour des briefings. En plus de la revue de presse quotidienne, ses analyses de terrain sont régulièrement sollicitées. Il doit aussi garder un œil sur la section spéciale des «intérêts américains», qui offre des services consulaires à quelque 7 000 ressortissants.

À ces tâches s'ajoutent les nombreux impromptus iraniens, Téhéran étant friand de «notes» adressées à Washington, par le canal suisse. Violations de l'espace aérien par les troupes américaines en Irak, arrestations de ressortissants iraniens par les forces de la coalition… Les occasions ne manquent pas, même si la République islamique peut aussi passer par l'ambassade du Pakistan à Washington.

L'expérience se révèle riche en surprises. «La population iranienne n'est pas du tout antioccidentale, ni antiaméricaine, à l'inverse de certains dirigeants», dit-il. Lors de ses voyages, il découvre un Iran divers. À Qom, le Vatican du chiisme, il dîne chez un mollah qui lui offre un coran. À Yazd, il côtoie la minorité zoroastrienne. À Chiraz, il se recueille sur les tombeaux de Hafez et Saadi, les grands poètes de la Perse antique. Très vite, sa résidence téhéranaise se transforme en laboratoire. Musicien, il improvise des concerts privés, organise des conférences de philosophie. «J'ai invité des penseurs officiels et des intellectuels indépendants. Je n'ai rien à cacher. C'est important de jouer le jeu de la transparence.»

Mais au fil des années, le nombre de participants se réduit : avec Ahmadinejad, l'Iran se durcit. En août 2005, le président annonce la reprise des activités nucléaires. Deux mois plus tard, il lance ses diatribes contre Israël. À Washington, les néoconservateurs qui entourent George W. Bush évoquent un «changement de régime» et menacent de bombarder l'Iran. En décembre 2006, les premières sanctions tombent. Au nom de la lutte contre «l'ennemi étranger», les ultras du régime étouffent les libres penseurs, accusés d'espionnage «à la solde de l'Amérique».

Pour le diplomate, il est évident que l'absence de communication directe accentue les malentendus. Les Américains n'oublient pas l'humiliation de la prise d'otage de leurs diplomates en 1979. Les Iraniens se souviennent du coup d'État contre leur premier ministre Mossadegh, en 1953. Lors de ses déplacements à Washington, Welti tente d'expliquer à ses interlocuteurs l'importance de la «fierté» iranienne, dans un pays qui «rêve qu'on le traite d'égal à égal». «Vous n'aboutirez à rien si vous frappez du poing sur la table.» Les signaux de Téhéran peuvent, parfois, provoquer de faux espoirs. Le 8 mai 2006, l'horloge affiche 11 heures dans les locaux de l'ambassade de Suisse. «Nous avons une missive à remettre aux Américains», dit, à l'autre bout du fil, un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères. «J'arrive», répond Welti, annulant tous ses rendez-vous de la matinée. Ce n'est pas la première fois qu'il fait le coursier. Mais cette lettre est porteuse d'un message historique. Rédigée par Ahmadinejad, elle est directement adressée à… «George double U Bush» (dans le texte !). C'est la première fois en vingt-huit ans qu'un dirigeant iranien établit un contact avec un chef d'État américain.

La déception est radicale. Ce qui aurait pu être une ébauche de rapprochement se révèle une énième opportunité ratée. «Il s'agissait d'un florilège d'incantations mystiques, une leçon de morale adressée à Bush», se rappelle l'ambassadeur, encore surpris par ce langage auquel le président américain dédaigna de répondre. Cette expérience insolite est riche en enseignements sur la difficulté du «défi iranien» qui attend Barack Obama. Mais la capacité du nouveau président américain à discuter avec Téhéran dépendra aussi de son futur homologue iranien, qui sera élu le 12 juin prochain.

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