lundi 9 mars 2009

« Le mot féministe n'existe pas en persan »

Journaliste iranienne, Shahla Sherkat a créé Zanân, un mensuel féminin critique et novateurà travers lequel elle s'est battue pour faire avancer les droits des femmes.
Shahla Sherkat.

En 1991, cette journaliste crée Zanân, (Femmes) considéré comme le premier magazine féministe iranien. Pendant 16 ans, Zanân se bat pour faire avancer les lois, combattre les discriminations. Le mensuel aborde des sujets originaux, comme le statut des veuves de martyrs, la toxicomanie des femmes mariées, la difficulté d'entrer dans un stade pour suivre un match de foot. Sans oublier la mode, la cuisine... Mais en 2008, le gouvernement du très radical Ahmadinejad suspend sa parution, que Shahla Sherkat ne désespère pas de reprendre.

Être le premier journal féministe d'Iran, qu'est-ce que cela signifiait ?

Avant, ce mot était tabou. C'était presque une insulte ! Beaucoup de gens n'en connaissaient pas la signification. De façon progressive, nous avons commencé à définir le féminisme. Le féminisme a commencé en Occident, nous l'avons adapté à l'Iran. Nous avons ouvert la voie, et d'autres journaux ont continué.

Vous parlez persan (l'interview se fait par traductrice iranienne interposée, NDLR) mais vous prononcez le mot « féminisme ».

En persan, il n'y a pas de mot pour dire « féminisme ». Pas plus que pour dire « modernité » ! Les gens qui écrivent des dictionnaires cherchent à le traduire, mais ils ne trouvent pas d'équivalent. Ça ne marche pas ! Quant à ce qui, chez nous, est l'équivalent de votre Académie française, elle ne veut même pas en entendre parler.

Quels combats a menés Zanân ?

Nous avons sensibilisé les femmes à leurs droits. Pour revendiquer, il fallait qu'elles aient une base. Beaucoup ne sont pas conscientes des discriminations dont elles sont victimes. Nous avons aussi cherché à améliorer l'image de la femme. Dans les séries télé, elle était toujours représentée comme un être répugnant et exigeant, qui harcelait son pauvre petit mari. Ça a changé, heureusement. Nous nous sommes aussi battues pour faire évoluer les lois, notamment celles qui régissent la famille.

Que fallait-il améliorer ?

En cas de succession, une femme ne recevait que la moitié de ce qu'un homme recevait. Et l'homme, chef de famille, était le seul à avoir le droit de demander le divorce. La garde des garçons étaient confiée à la mère jusqu'à deux ans, celle des filles jusqu'à sept ans, puis elle revenait au père. Aujourd'hui l'égalité est rétablie en matière de succession. Les femmes peuvent demander le divorce, un tribunal peut le prononcer même si le mari le refuse. Tous les enfants restent chez leur mère jusqu'à sept ans. Mais c'est insuffisant, et nous l'avons dénoncé. De plus, pour voyager, la femme doit demander au mari. Il doit signer pour que la femme obtienne son passeport.

Vous dénoncez aussi les effets pervers de certaines lois.

Oui, une femme travaillant à mi-temps peut recevoir un salaire à temps plein. Et les congés maternité peuvent être prolongés très longtemps. Cela dissuade d'embaucher des femmes. Comme partout, les femmes n'ont pas les mêmes chances que les hommes de trouver du travail, et sont moins bien payées.

Mais la condition de la femme est meilleure en Iran que chez vos voisins d'Afghanistan ou des émirats arabes ?


Aucune comparaison ! Cela tient à notre histoire, à notre culture. Les femmes peuvent travailler, avoir une vie dynamique, des loisirs, aller au cinéma, faire du sport, du ski, du shopping... Le nombre de femmes qui font des études atteint 60 %. À tel point que l'on a instauré des quotas dans les universités pour qu'il n'y en ait pas trop ! Zanân a protesté contre ça.

La lapidation existe-t-elle toujours en cas d'adultère ?

Oui, pour les hommes comme pour les femmes. La différence, c'est qu'un homme marié dira qu'il a contracté un « mariage temporaire » avec une autre. Une femme mariée ne s'en sortira pas comme ça, puisque les femmes n'ont pas droit à la bigamie... Cette pratique avait été suspendue il y a quelques années, sous la pression de l'Union européenne. Mais elle a repris, car la loi n'a jamais été changée. Alors les juges l'appliquent de nouveau, en disant qu'ils subissent des pressions de la part des familles.

Avec Ahmadinejad, il semble que les libertés se restreignent par rapport au gouvernement Khatami ?


Un seul exemple. La chargée des Droits des femmes au gouvernement a dit que pour ratifier la Convention de l'Onu pour l'élimination de toute discrimination envers les femmes, il faudrait d'abord passer sur son cadavre...

Recueilli par Florence PITARD.


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