mercredi 22 avril 2009

Ahmadinejad joue "sa survie politique"

Pour Azadeh Kian, professeure de sciences-politiques à l'université Paris-VII et spécialiste de l'Iran, le discours du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, lundi 20 avril à Genève, "s'adressait à la rue arabe" et visait "à détourner l'attention de l'électorat iranien", deux mois avant le scrutin présidentiel.

Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a qualifié Israël de "gouvernement raciste" à l'ouverture de la conférence de l'ONU à Genève cette semaine. Ce discours a provoqué le départ des délégations européennes et un véritable tollé dans l'opinion publique occidentale. A qui s'adressait-il ?
La diatribe négationniste de Mahmoud Ahmadinejad s'adressait clairement à la rue arabe. Elle visait avant tout les gouvernements qui ont accepté de signer la paix avec Israël, ainsi que le régime syrien de Bachar Al-Assad [alliée de l'Iran, la Syrie s'est engagée dans des négocations indirectes avec Israël par l'intermédiaire de la Turquie pour obtenir la rétrocession du plateau du Golan, annexé par les Israéliens en 1967]. Fidèle à lui-même, le président iranien s'est présenté comme le seul dirigeant musulman capable de tenir tête à Israël et aux Occidentaux. C'est là-dessus qu'il a assis sa popularité dans le monde arabe, y compris au Maghreb. Mais pour beaucoup d'Iraniens, cette rhétorique dessert les intérêts de la république islamique.

A deux mois de l'élection présidentielle, quelle portée ce discours peut-il avoir sur l'électorat iranien ?


Pendant la campagne électorale de 2005, Ahmadinejad s'était surtout concentré sur les questions économiques. Il avait promis une amélioration générale des conditions de vie dans le pays, mais, quatre ans après, son bilan est catastrophique. Le chômage et l'inflation ont beaucoup augmenté malgré une hausse considérable des prix du pétrole. Cette situation calamiteuse a été accentuée par les sanctions [économiques] internationales. Les Iraniens reprochent au président d'avoir dépensé des milliards de dollars pour venir en aide aux groupes palestiniens et au Hezbollah libanais plutôt que de favoriser la création d'emploi dans le pays. Conscient de ces handicaps, Mahmoud Ahmadinejad a cherché à détourner l'attention de l'électorat en l'orientant vers des questions régionales. Il a voulu radicaliser le ton de la campagne pour forcer ses détracteurs à prendre position pour ou contre Israël.

Ses positions reflètent-elles celles des plus hautes instances du pouvoir en Iran ?

Non. Le président iranien se sent et se sait lâché par les conservateurs. Sa survie politique ainsi que celle de la faction ultra repose sur une stratégie de la tension permanente. La menace israélienne de bombarder les centrales nucléaires iraniennes joue en faveur de ces positions. Mais en cas de normalisation des relations avec les Etats-Unis et Israël, Ahmadinejad et ses partisans n'ont politiquement plus aucune raison d'être.

Il a pourtant dit "accueillir positivement" la main tendue du président américain Barack Obama. A-t-il infléchi son discours vis-à-vis des Etats Unis ?

D'après les sondages effectués récemment en Iran, 70 % de la population est favorable au rétablissement des relations avec les Etats-Unis. Seule une petite minorité d'intégristes s'y oppose. Ahmadinejad ne peut pas aller à l'encontre de cela. Mais il ne s'attendait pas à ce que Barack Obama soit élu et il ne s'y est pas préparé. Aujourd'hui, il est plutôt en dehors du processus de négociations avec les Etats-Unis. D'après mes informations, le guide de la révolution iranienne a préféré mobiliser ses propres conseillers auprès du président américain. La rhétorique très radicale d'Ahmadinejad est donc également un défi lancé aux plus hautes instances du pouvoir iranien. L'ayatollah Ali Khamenei n'a jamais eu de discours négationniste.

Propos recueillis par Elise Barthet




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