jeudi 25 juin 2009

En Iran, la République islamique vire à la dictature

L’Iran est-elle encore une république islamique ? La décision prise hier par le Conseil des gardiens de la Constitution de valider les élections du 12 juin, en dépit d’une fraude massive organisée de longue date, permet de répondre non. La question se posait déjà depuis que le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, avait annoncé la victoire du président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, avant la fin du dépouillement des urnes. Elle s’était reposé vendredi lorsque le même dignitaire avait écarté, dans son prêche, toute possibilité de trucage du scrutin.

A la soviétique. Jusqu’à présent, les élections - présidentielles, législatives, municipales… - permettaient aux différentes factions du régime de se mesurer et de se partager le pouvoir sous le regard du Guide, théoriquement neutre. Avec ce coup de force, un quasi-coup d’Etat, la faction la plus radicale a montré qu’elle ne voulait plus de ces scrutins qui avaient tout de même permis, en 1997 et 2001, l’élection de Mohammad Khatami, un Président plus ouvert et plus libéral que ses prédécesseurs.

Cette fois, elle n’a même pas cherché à donner une apparence de crédibilité à l’élection du 12 juin, où Ahmadinejad triomphe avec un score à la soviétique. Désormais, la faction ultra a exclu du jeu politique toutes les autres tendances du système. Elle règne sans partage sur tout l’Iran.

Pourtant, c’est sans doute à tort que le Guide suprême apparaît comme le mentor d’Ahmadinejad. En fait, tout oppose les deux hommes. Le premier est un religieux docte, un doctrinaire, l’autre est un laïc plutôt anticlérical, un illuminé qui prétend être en communication avec l’imam caché, disparu il y a onze siècles, et avoir été nimbé de «lumière céleste» lors de son fameux discours aux Nations unies en septembre 2005. Ali Khamenei l’a d’ailleurs plusieurs fois remis à sa place. «Entre eux, c’est un mariage de convenance. Ils sont condamnés à divorcer un jour à l’autre, c’est inscrit dans leurs chromosomes», estime le chercheur Michel Makinski. «Ce qui les sépare, c’est d’abord une question de générations. La réélection d’Ahmadinejad participe de cette poursuite de la prise du pouvoir engagée par les pasdaran [les gardiens de la révolution, ndlr] et les bassidji [miliciens]. On dirait que le Guide s’est laissé imprudemment ficeler par lui.»

L’homme idéal. Derrière Ahmadinejad, il y a bien un religieux : c’est l’ayatollah Mohammed Mesbah-Yazdi. C’est lui son mentor et son référent religieux. Il est tellement extrémiste qu’il n’était guère aimé de l’imam Khomeiny, ce qui ne l’empêche pas d’ailleurs de diriger, dans la ville sainte de Qom, la fondation qui porte son nom. Mesbah-Yazdi veut remplacer le concept de république islamique par celui de oukoumat islami, soit un gouvernement islamique pur et dur, où toute autorité émanerait de Dieu. On les accuse dès lors de vouloir «dékhomeiniser» le régime. Pour atteindre ce but, Ahmadinejad est l’homme idéal : il est à la fois convaincu par les idées de Mesbah-Yazdi et un ancien Gardien de la révolution.

Ces ultraradicaux - que l’on appelle les hodjatieh - pensaient déjà s’emparer du pouvoir à la faveur des élections à l’Assemblée des experts (l’organe qui supervise les activités du Guide), en décembre 2007. Mais Yesbah-Yazdi et ses partisans ne sont pas arrivés à l’emporter. Ils semblent depuis avoir juré de ne pas voir cet échec se répéter. D’où la fraude massive à la présidentielle.

Cette offensive de Mesbah-Yazdi et Ahmadinejad, avec le soutien du Guide, les autres factions l’ont ressentie comme une menace pour leur propre existence. D’où leur alliance : elle rassemble en fait des personnalités très différentes, allant de l’ancienne gauche islamiste à l’ex-président Hachemi-Rafsandjani, un religieux conservateur très proche des milieux d’affaires. Tous se proclament les héritiers de l’imam Khomeiny, devenu une référence quasi permanente dans les déclarations de Mir Hussein Moussavi. Les tactiques d’une partie des manifestants s’inspirent d’ailleurs de la révolution islamique de 1979, notamment les slogans «Allah o Akbar» (Dieu est grand) ou «Mort aux dictateurs», utilisés hier contre le Shah. Ou les appels à commémorer les «martyrs» lors de manifestations de deuil - l’une d’elle est prévue aujourd’hui -, qui permettent de relancer la contestation.


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