jeudi 2 juillet 2009

Iran : «La crise a révélé les fissures au sein du régime»

Farhad Khosrokhavar estime que le pouvoir iranien représentépar Mahmoud Ahmadinejad (ci-dessus) «ne peut survivre que par la répression». Crédits photo : AP

INTERVIEW - Pour le professeur Farhad Khosrokhavar, spécialiste de l'Iran, «rien ne sera plus comme avant : la peur du guide suprême est retombée».
Spécialiste de l'Iran, professeur de sociologie à l'École des hautes études en sciences sociales à Paris, Farhad Khosrokhavar vient de passer six semaines en Iran pendant la crise. Il est l'auteur d'Avoir vingt ans au pays des ayatollahs *.

LE FIGARO. - Comment expliquer le récent «coup d'État» iranien ? Pouvait-on s'y attendre ?

Farhad KHOSROKHAVAR. - Depuis sa création, il y a 30 ans, la République islamique a toujours eu deux dimensions : l'une théocratique et non élective, avec le guide suprême et, entre autres, l'armée, le pouvoir judiciaire ; l'autre, symbolisée par des organes élus directement par le peuple, comme le Parlement ou le président. Avec l'élection d'un réformiste, Khatami, en 1997, on a pu assister à l'essor de différents mouvements sociaux : les intellectuels, les étudiants, les femmes, les minorités ethniques. Ces derniers ont commencé à inquiéter le pouvoir dominant, c'est-à-dire ce que j'appelle le «duo au pouvoir» - le guide et la hiérarchie supérieure des pasdarans. Pour eux, il fallait trouver le moyen de se débarrasser de la dimension républicaine de la République islamique, qui mettait en péril le système. Une fois élu en 2005, Mahmoud Ahmadinejad, le candidat favori d'Ali Khamenei, a rapidement entrepris de désarticuler l'appareil d'État et de lui retirer sa relative autonomie. Il a fait changer trois fois le gouverneur de la Banque centrale, il a fait jouer la planche à billets, en ignorant les objections du Parlement. En parallèle, il a systématiquement réprimé la société civile. De quoi satisfaire le guide.

La victoire d'Obama, aux États-Unis, a-t-elle encouragé cette reprise en main ?

Les élections américaines ont déstabilisé le pouvoir. Face à la rhétorique belliqueuse de George Bush, le régime iranien savait comment s'y prendre. À l'axe du mal, il opposait son propre axe du diable. Mais, face à la nouvelle politique de Barack Obama, le guide ne savait trop comment réagir. La reconduction d'Ahmadinejad se présentait donc comme la meilleure solution pour la survie du système.

Pendant les deux semaines précédant le scrutin, la campagne électorale avait paradoxalement créé une ambiance démocratique inédite…

Pendant cette élection, le guide n'avait qu'une obsession : le fort taux de participation. Il a donc, d'abord, favorisé l'expression publique, en laissant les coudées franches aux jeunes, qui se déversèrent tous les soirs dans la rue, dans une ambiance festive, parfois jusqu'à trois heures du matin. Du jamais vu en Iran. En fait, Khamenei pensait qu'après avoir voté ils rentreraient docilement chez eux. Mais c'est révélateur d'une méconnaissance totale de sa société. Deuxième faux pas : l'organisation inédite de débats télévisés entre les différents candidats. Au lieu de favoriser Ahmadinejad, ils ont poussé de nombreux Iraniens à s'identifier à son adversaire principal, Mir Hossein Moussavi.

Le résultat du scrutin a donc créé la surprise ?

Lorsqu'Ahmadinejad est annoncé gagnant, avec 64 % des voix, c'est le choc. Les Iraniens refusent d'accepter ce qu'ils considèrent comme une énormité. Pour eux, plus que le signe d'une fraude, c'est l'exemple flagrant d'un mépris total du pouvoir par rapport à la population. Ils ont l'impression d'avoir été dupés, manipulés. Pour signifier leur contestation, ils descendent manifester dans les rues.

Face à la force de la répression actuelle, ce mouvement peut-il perdurer ?

Deux scénarios sont possibles. Celui de Tiananmen, où le pouvoir a réprimé la population par un bain de sang. Cependant, plus tard, la Chine a fait en sorte que le développement économique prenne la relève. La société a, en quelque sorte, été rachetée par les autorités, et elle y a trouvé son compte. Mais l'ouverture économique est actuellement inenvisageable pour le pouvoir iranien, car elle ne peut se faire sans véritables concessions au niveau du nucléaire. Il y a aussi l'exemple de Solidarnosc. On peut imaginer que le système, en pleine crise de légitimité, finisse par s'effondrer. Résultat : pour l'heure, le pouvoir iranien ne peut survivre que par la répression. S'il daigne ouvrir les vannes, la haine accumulée au cours de ces dernières années va à nouveau exploser.

L'opposition est-elle morte pour autant ?

Non. On assiste, pour la première fois au Moyen-Orient, à l'émergence d'une véritable société civile. Pendant les manifestations, ce sont tous les styles d'Iraniens qui sont descendus dans les rues. Dans les pays voisins - Égypte, Pakistan, Maroc -, l'utopie islamiste s'impose, de plus en plus, comme un recours contre les pouvoirs perçus comme étant corrompus. Mais en Iran, on assiste à l'émergence d'une société qui se réclame de la démocratie. Les gens se battent, non pas au nom de la religion, mais au nom du respect de leur vote. Ces derniers événements ont forcé le mouvement réformiste à radicaliser son discours. Rien ne sera plus comme avant. D'autant plus que cette crise a révélé des fissures au sein du système.

Quelles sont ces fissures ?

C'est aujourd'hui la légitimité même du régime qui est en cause. La peur à l'égard du guide est retombée. Aujourd'hui, on ose remettre en cause la sacralité de son pouvoir. L'ayatollah Montazeri, proche des réformistes, vient même de laisser entendre que ceux qui ont approuvé Ahmadinejad n'ont aucune légitimité. L'idée de remplacer le guide par un conseil de religieux fait également débat. Ce mouvement va laisser une trace profonde dans le pays.

* Robert Laffont.

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