jeudi 2 juillet 2009

Un bourreau fait la loi à Téhéran

L’homme-orchestre de la répression qui s’abat aujourd’hui sur les journalistes et les manifestants iraniens a une longue carrière de prédateur des droits de l’homme derrière lui.
Depuis le 12 juin 2009, Saïd Mortazavi, procureur de Téhéran, administre la répression. Il délivre des mandats aux agents du ministère des Renseignements et du Parquet en charge d’arrêter toute personne “suspecte“. Il prépare les dossiers d’instruction, élaborant les chefs d’accusation qui pèsent sur les personnes arrêtées, dirigeant les interrogatoires. L’expérience du passé nous incite à penser qu’il participe activement aux séances d’interrogatoire.

Saïd Mortazavi est né en 1967 dans la petite ville de Meybod, dans la province de Kerman (sud-est de l’Iran). Il y a fait ses études secondaires avant de rejoindre, dans les années 1980, la milice constituée par l’ayatollah Khomeiny. En 1985, il a entamé des études de droit à l’université libre de Taft (province de Kerman) sans passer le concours d’entrée, bénéficiant de la politique des quotas réservés aux familles des martyrs et aux miliciens. En parallèle, il a commencé à travailler comme adjoint au procureur de Taft pendant deux ans, avant de devenir le directeur du département de la justice de la province. Ses relations avec le courant "Motalefeh", une branche conservatrice du régime ayant beaucoup d’influence au sein du système judiciaire iranien, ont joué un rôle capital dans son ascension au sein de l’appareil d’État. En 1992, il est nommé président de la 9è chambre du tribunal de Téhéran.

Mais c’est au cours du "Printemps de la presse", rendu possible par l’arrivée au pouvoir en 1997 du réformateur Mohamad Khatami, que ce magistrat ambitieux répondant aux ordres du Guide suprême s’est illustré, devenant la bête noire des journaux. Après avoir occupé les fonctions de président du tribunal 1410, dit "tribunal de la presse", tristement célèbre pour avoir suspendu des centaines de journaux dès avril 2000, Saïd Mortazavi est nommé procureur de Téhéran, le 20 mai 2003.

Procureur, et ironiquement professeur de droit à la faculté de journalisme de Téhéran, il s’est acharné à suspendre des dizaines de titres et a fait incarcérer des journalistes, jugés souvent à huis clos et placés en isolement pendant plusieurs mois, comme l’a constaté une délégation des Nations unies, incluant Ambeyi Ligabo, rapporteur spécial pour la liberté d’expression. En 2002 déjà, Maurice Copithorne, représentant spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations unies, avait été informé par un haut fonctionnaire que Saïd Mortazavi était l’un des quarante magistrats sur lesquels une enquête pour des crimes graves avait été ouverte par la Cour disciplinaire des juges. M. Copithorne avait alors proposé qu’il soit immédiatement relevé de ses fonctions, en attendant que la Cour ait pris une décision sur son cas.

Au cours des interrogatoires qu’il mène, Saïd Mortazavi a recours à toutes sortes de moyens de pression et de harcèlement, moral et physique. L’usage de mauvais traitements a été plusieurs fois confirmé.

Ainsi, il est l’un des principaux responsables de la mort, en juillet 2003, de la photo-journaliste irano-canadienne Zahra Kazemi. La journaliste avait été interpellée le 23 juin 2003, alors qu’elle photographiait des familles de détenus devant la prison d’Evine, au nord de Téhéran. Torturée au cours de sa détention, elle est décédée des suites de ses blessures le 10 juillet. « Deux enquêtes officielles ont confirmé que Saïd Mortazavi a ordonné l’arrestation et la détention de Madame Kazemi, qui lui ont valu d’être torturée et d’en mourir », a souligné le ministre canadien des Affaires étrangères, Lauwrence Cannon, dans un communiqué daté du 26 juin. Saïd Mortazavi aurait falsifié des documents pour dissimuler son rôle dans l’affaire. Le Canada continue à demander à l’Iran de mener une enquête crédible au sujet de la mort de Zahra Kazemi.

En 2004, dans le dossier des "blogueurs", Saïd Mortazavi a eu recours aux aveux filmés de certains d’entre eux, en se livrant à des mises en scène pathétiques et caricaturales, comme outils de pression. Ainsi, Omid Memarian, Shahram Rafihzadeh, Rozbeh Mir Ebrahimi, Javad Gholam Tamayomi, ont été contraints de s’accuser de crimes grotesques qu’ils n’ont jamais commis.

Shahram Rafihzadeh, responsable de la section "culture" du quotidien Etemad, arrêté le 7 septembre 2004, a été libéré deux mois plus tard. Il a déclaré à Reporters sans frontières que « dans le dossier des "blogueurs", Mortazavi a joué un rôle essentiel, au cours des interrogatoires, n’hésitant pas à recourir à la torture, dans l’organisation de la mise en scène des aveux qu’il a lui même dictés ». Shahram Rafihzadeh ajoute : « Une fois libérés, nous avons été convoqués dans le bureau de Saïd Mortazavi. Il nous a alors menacés d’organiser une “interview“ avec l’agence d’Etat Fars News à laquelle tous les médias assisteraient. Ces aveux forcés sont aussi importants que le jugement du tribunal. Je me souviens que Mortazavi nous a un jour menacés en disant : "La prochaine fois, c’est vingt ans, si vous ne faites pas ce que je demande ! Et n’oubliez qu’en Iran, les accidents de la route sont vite arrivés, que ce soit pour vous ou votre famille !" Dans ces aveux, il voulait que nous dénoncions les journalistes et les responsables réformateurs. Par ailleurs, il a beaucoup insisté pour qu’on parle de l’affaire Zahra Kazemi, nous demandant de déclarer que "Kazemi avait été invitée en Iran par l’un des responsable réformateurs". Grâce à nos aveux, il voulait masquer son implication dans cette affaire. »

Le 18 mars 2009, le blogueur Omidreza Mirsayafi, arrêté sur ordre de Saïd Mortazavi, est décédé en prison dans des circonstances suspectes. Reporters sans frontières a demandé l’ouverture immédiate d’une enquête sur les circonstances de ce drame.

Aujourd’hui, les autorités, et Saïd Mortazavi en premier lieu, ont à nouveau recours à ces méthodes à l’encontre des personnes arrêtées.


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