mercredi 8 juillet 2009

La crise iranienne ou la fin du mythe théocratique Par Mezri Haddad


Pour Mezri Haddad, philosophe, l'instauration d'un régime théocratique en Iran en 1979 a galvanisé l'islamisme à travers le monde. Sa chute aurait des influences pacificatrices.

À partir d'une fausse prémisse, on arrive toujours à une fausse conclusion. Ainsi, lorsqu'on considère que le régime iranien est une démocratie islamique parfaitement respectable, l'on déduit que la crise qui vient de secouer ce pays n'est pas structurelle mais conjoncturelle, qu'elle n'est pas profondément idéologique mais vaguement politique, que les événements sanglants qui se déroulent en Iran ne traduisent pas un rejet du système théocratique mais tout simplement un dysfonctionnement du dispositif électoral qui serait au demeurant tout à fait démocratique. Les troubles en Iran n'auraient par conséquent rien d'exceptionnel : deux candidats à la présidence, l'un «réformateur», Mir Hossein Moussavi, l'autre «ultraconservateur», Ahmadinejad, se disputent démocratiquement le pouvoir. C'est une scène ordinaire de la vie démocratique iranienne.

C'est cette normalisation d'un régime autocratique et anachronique qu'il faut d'abord infirmer. C'est cette banalisation et subversion de l'idéal démocratique qu'il faut dénoncer. Pire qu'un despotisme «ordinaire», le régime iranien est théocratique dans son essence et totalitaire dans son existence. Il est théocratique depuis la confiscation de la révolution par Khomeyni en 1979 et l'instauration du Wilayat al-Fakih (règne du guide suprême), une doctrine politico-ésotérique basée sur la fusion inextricable de l'auctoritas et du potestas et qui procède de la dogmatique la plus éculée du chiisme duodécimain et millénariste. Dans ce totalitarisme vert, l'autorité religieuse et le pouvoir politique reviennent entièrement au représentant de Dieu sur terre : le guide suprême, dont la sainteté n'a d'égale que l'infaillibilité.

Les Iraniens, tombés sous le joug des théocrates par un caprice de l'histoire, mènent aujourd'hui le même combat contre une oligarchie cléricale honnie par une société qui ne croit plus au mythe de la «cité parfaite et vertueuse» jadis et naguère promise par le tombeur du chah et qui découvre, grâce aux technologies nouvelles de communication, l'écart abyssal entre le monde réel à l'aube de ce XXIe siècle et l'univers orwellien dans lequel la cléricature entend la maintenir. Les manifestations qui ont désarçonné les mollahs par leur témérité, ouvrent un nouveau chapitre dans l'histoire de ce peuple. Par-delà l'explosion sociale qu'une manœuvre électoraliste a provoquée, ces événements traduisent deux lames de fond aussi profondes que durables : un désenchantement politique et une désacralisation du régime que le guide suprême a exaspéré en donnant l'ordre à sa milice (les bassidjis) de réprimer les contestataires. Défiance exceptionnelle et lourde de conséquences, ces derniers ont défilé à Téhéran aux slogans inédits de «mort à Khamenei». La non-soumission aux oukases du Torquemada chiite est un symptôme inquiétant pour la caste cléricale, qui se réfugie dans la répression, l'intimidation et la diversion en agitant l'épouvantail du complot étranger. Et pour cause, c'est la légitimité même du sacro-saint Wilayat al-Fakih qui est désormais ébranlée ?

Quoi qu'il en soit, l'antagonisme entre deux prétendants à la présidence, l'un qu'on dit «progressiste» et «réformateur», et qui est néanmoins un pur produit de la nomenclature théocratique : Mir Hossein Moussavi a été, en effet, pendant huit ans premier ministre à l'époque où Khamenei était président et l'ayatollah Khomeyni guide suprême ; l'autre, Ahmadinejad, un illuminé qui a fait du chantage au nucléaire, du pourrissement de la situation irakienne, du choc des civilisations et du négationnisme, l'axe central de sa politique étrangère, cet antagonisme clanique n'est qu'un épiphénomène devant l'antagonisme structurel entre un peuple déterminé à recouvrer sa liberté et un pouvoir conscient que la moindre ouverture provoquera l'écroulement de l'édifice totalitaire. Les «réformateurs» et à leur tête Rafsandjani, ne militent pas pour abolir un régime auquel ils sont résolument attachés. Bien au contraire, ils manœuvrent pour assurer le changement politique dans la continuité idéologique, se contentant d'améliorer l'image d'un État terni par les discours messianistes et jusqu'au-boutistes d'Ahmadinejad. Le rapport conflictuel entre société civile et pouvoir théocratique ira se radicalisant jusqu'au moment paroxystique qui provoquera la chute du régime.

C'est que les Iraniens savent qu'une théocratie ne se réforme point, mais se jette dans la poubelle de l'histoire. Ils savent aussi que l'émancipation sera dure à obtenir et que dans cette lutte décisive, le soutien du monde libre sera déterminant. De même que l'instauration de ce régime en 1979 a galvanisé les mouvements islamistes partout dans le monde arabe, sa chute contribuera à la décrue de cette idéologie qui, partout où elle est passée, n'a laissé derrière elle que ruine et désolation.


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