samedi 18 juillet 2009
La révolte malgré tout
On la disait essoufflée, désorganisée, terrorisée par les arrestations massives et les frappes sans aucune retenue des bassidji (miliciens), mais l’opposition est toujours là. Un mois après la répression sanglante de la manifestation du 20 juillet, elle a retrouvé vendredi le chemin de la rue, mobilisant plusieurs dizaines de milliers de personnes dans l’enceinte et autour de l’université de Téhéran. Cette fois, le régime n’a pu interdire ce rassemblement, puisqu’il s’agissait d’une cérémonie politico-religieuse qui incarne les valeurs de la République islamique. Les participants étaient essentiellement venus pour deux raisons : écouter le prêche de la prière du vendredi prononcé par l’ex-président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani. Et plus encore soutenir Mir Hossein Moussavi, le candidat réformateur dont c’était la première apparition publique depuis la fraude et, donc, affirmer leur refus de reconnaître la validité de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad. Slogans hostiles à ce dernier : «Démission, démission» ou «mort au dictateur». D’autres visaient Moscou, qui a reconnu Ahmadinejad : «Mort à la Russie.» Bannières vertes - la couleur de Moussavi - en grand nombre. Rafsandjani a même dû calmer l’ardeur des participants.
Comme à l’accoutumée, les milices islamiques et la police antiémeute ont attaqué les manifestants et procédé à des arrestations. Les forces de l’ordre ont aussi fait usage de balles de peinture pour les marquer. L’avocate Shadi Sadr, spécialisée dans la défense des droits de l’homme, a été arrêtée. L’un des religieux réformateurs, Mehdi Karoubi, qui fut lui-même candidat, a été molesté et insulté par des policiers en civil.
Ennemi juré. En fait, l’événement était bien double, le discours de Rafsandjani étant lui-même très attendu. Ce religieux est à la fois un ennemi juré d’Ahmadinejad et un pilier du régime. Il préside deux institutions clés : l’Assemblée des experts, chargée de superviser les activités du guide suprême, et le Conseil de discernement, qui a vocation à résoudre les conflits en son sein. Il est donc considéré comme intouchable. Moins ambigu, moins alambiqué que dans ses précédents prêches, il s’est gardé cependant de toute attaque frontale contre Ahmadinejad. A propos du scrutin présidentiel, il a déclaré que s’il y avait eu fraude, c’est que «le gouvernement n’était pas islamique». A propos des prisonniers, il a été encore plus critique, appelant le pouvoir à libérer les Iraniens arrêtés par centaines depuis le scrutin du 12 juin. Il a aussi dénoncé avec des termes très vifs le comportement des forces de l’ordre : «L’imam Khomeiny ne voulait pas l’emploi de la terreur ou des armes, même dans le combat [pour la révolution]». Il a enfin reconnu que le régime traversait une «crise» et que le régime avait, «dans une certaine mesure, perdu la confiance du peuple» et que celle-ci ne serait pas rétablie «en une nuit ou deux». «Nous avons tous perdu. […] Ceux qui ont été touchés dans les incidents ont besoin de compassion. Nous devrions consoler les [personnes] endeuillées et rapprocher leurs cœurs du régime», a-t-il encore insisté.
En se gardant d’être aussi ferme que Moussavi, qu’il soutenait lors de l’élection présidentielle, mais en se rangeant néanmoins dans le camp hostile à Ahmadinejad et en proposant la réconciliation, Rafsandjani s’est présenté comme un possible recours, voire comme un sauveur. En s’interrogeant sur la validité du vote et en refusant d’incriminer des «puissances étrangères» dans les événements sanglants des semaines passées, il a aussi défié Ali Khamenei et contribué encore un peu plus à son isolement.
Occasion. Dans les jours précédents la prière du vendredi, les partisans de Moussavi avaient d’ailleurs débattu de l’opportunité d’aller ou pas à cette cérémonie. «Les plus radicaux refusaient de s’y rendre pour ne pas cautionner le régime, d’autres étaient partisans d’y aller pour renforcer Rafsandjani contre Khamenei et les derniers estimaient qu’il s’agissait de la meilleure occasion possible pour manifester», souligne le chercheur Reza Moïni.
Pour l’opposition, le but est atteint. Elle a réussi sa première grande manifestation depuis celle du 9 juillet - qui marquait le 10e anniversaire de la répression des émeutes étudiantes de 1999. Mais pour les étudiants, fer de lance du mouvement, l’été sera très long, le régime ayant fait fermer toutes les universités de peur qu’elles soient des foyers de subversion.
JEAN-PIERRE PERRIN
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