samedi 15 août 2009

Iran : la "guerre des services" aiguise la crise politique

Et maintenant ? Elu dans la contestation, le 12 juin, confirmé à son poste dans la répression, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad commence son deuxième mandat. En deux mois, les équilibres politiques du pays ont plus changé qu'en trente ans de République islamique. Intellectuels, étudiants, politiciens : des centaines d'Iraniens ont été arrêtés, certains tués, torturés ou "jugés" dans des parodies de procès.

Au sein même du pouvoir, les fils de la révolution se déchirent. Le Parlement, pourtant dominé par les conservateurs, est divisé. De hauts gradés des Gardiens de la révolution, l'armée idéologique, réclament le jugement de l'ancien président réformateur Mohammad Khatami et de son poulain, Mir Hossein Moussavi, candidat malheureux à la présidentielle mais créateur de cette "vague verte" de contestation qui tourne à la désobéissance civile. L'entourage du Guide suprême Ali Khamenei verrait, lui, d'un bon oeil la chute d'Hachemi Rafsandjani, "pilier" historique de la Révolution, jugé trop pragmatique envers l'étranger, trop "corrompu", ou tout simplement trop puissant à la tête de rouages tels que l'Assemblée des experts et le Conseil du discernement. Les limogeages font suite aux démissions, la crise de confiance est totale et les grands "Marjas" (source d'imitation chiite) de Qom, la ville sainte, multiplient les mises en garde : le régime est en danger.

Face à ce chaos, quels sont les atouts de M. Ahmadinejad ? Dans la rue, les manifestants crient "mort au dictateur" ; il n'a plus de crédibilité "démocratique" ; peu de crédit religieux à Qom ; pas de légitimité "révolutionnaire" auprès de familles symboliques comme celle du fondateur, l'ayatollah Khomeyni, dont les héritiers sont proches des réformateurs. Du crédit politique ? Celui qui jurait d'apporter "l'argent du pétrole à la table des Iraniens" a vidé les caisses, distribuant directement les pétrodollars dans ses tournées en province, et l'inflation flirte avec les 24 %. Son intransigeance sur le dossier nucléaire lui a valu trois séries de sanctions internationales. La main tendue de Barack Obama ne le restera pas longtemps.

La force de M. Ahmadinejad est ailleurs : dans cet entrelacs de réseaux secrets qui gangrènent l'Iran. Pour en comprendre l'ampleur, il faut remonter aux vagues d'assassinats d'opposants de la fin des années 1990. Les auteurs venaient des services secrets. Le président Khatami lança une purge et ces éléments incontrôlés trouvèrent refuge au quartier général de la coordination des miliciens bassidjis (le centre Sarallah, "Le sang de Dieu"). Un réseau de services secrets parallèle se développe alors, protégé, depuis le cabinet même du Guide suprême, par un membre du haut commandement des Gardiens de la révolution, Mohammed Hedjazi, homme de liaison avec les Bassidjis.

C'est l'époque où M. Ahmadinejad est actif chez ces miliciens. Il y fréquente des fondamentalistes venus des services secrets "purgés" qui rêvent de révolution permanente. Après avoir été chargé de la sécurité et de la poursuite des opposants en Azerbaïdjan occidental, il se rapproche de la division Ghods des Gardiens de la révolution, chargée de l'exportation de la révolution au Liban, au Soudan et ailleurs.

Ces réseaux parallèles opèrent des arrestations et ont leurs propres prisons secrètes et illégales (une trentaine à Téhéran, dont une dans les sous-sols du ministère de l'intérieur). L'élection de M. Ahmadinejad, avec leur aide, à la présidence en 2005 les renforce. Le nouveau chef de la police, Ahmad Moghadam (beau-frère du président), se rapproche des réseaux Bassidjis et de la base Sarallah sous le contrôle de l'homme de confiance du président, Hachemi Samareh, et la protection du bureau du Guide et de son fils Mojataba.

Aujourd'hui, la "guerre des services" a éclaté au grand jour. D'un côté le ministère officiel du renseignement dirigé par Gholam Hossein Mohseni Ejei qui tentait de reprendre la main et désapprouvait les "procès" et les prétendus "aveux" qu'il juge infondés et improductifs ; de l'autre ces réseaux, principaux acteurs de la répression. Ils sont sous la coupe de deux religieux venus des renseignements militaires, Hossein Taeb et Ahmad Salek, un des fondateurs de la division Ghods, lui même au cabinet du Guide.

Ce contexte explique le limogeage, ces derniers jours, du ministre des renseignements et de quatre de ses spécialistes. Du jamais vu en Iran. Promu cheval de Troie de cette nébuleuse secrète qui veut radicaliser et purger le régime, M. Ahmadinejad est-il en train de "noyauter" tous les organismes officiels du pouvoir ?

Des contre-feux sont là. A commencer par le Guide Khamenei. Sa récente passe d'armes avec M. Ahmadinejad pour obtenir avec peine qu'il se défasse d'un de ses vice-présidents, lui a-t-il montré qu'il risque de devenir l'otage de ces services parallèles ? De même, le Parlement vient d'adresser une nette mise en garde au président : le 11 août, 202 députés sur un total de 290 lui ont demandé par lettre de choisir des "ministres expérimentés" pour leur accorder leur nécessaire vote de confiance. La composition du nouveau gouvernement apportera le premier élément de réponse à ces questions.

Marie-Claude Decamps (Service International)


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