samedi 15 août 2009

"Le temps des procès en Iran" par Vincent Hugeux


La parodie de justice infligée à Clotilde Reiss le prouve : les actions en cours visent à valider la théorie du complot et à fournir au régime une monnaie d'échange.

Telle est la vocation de tout procès stalinien: réécrire l'histoire immédiate. Plus de soixante-dix ans après la mascarade de Moscou, qui visait à liquider les vétérans bolcheviks de la révolution d'Octobre, la parodie de justice collective mise en scène depuis le 1er août à Téhéran se conforme aux canons du genre. Il convient avant tout d'extorquer par tous les moyens aveux et confessions aux félons de l'intérieur, coupables d'avoir contesté la validité de la réélection, le 12 juin, du sortant Mahmoud Ahmadinejad. Rôle ingrat, dévolu par exemple à l'ancien vice-président Mohammad Ali Abtahi, conseiller et confident du réformiste Mohammad Khatami. Repenti idéal, le fondateur de l'Institut pour le dialogue interreligieux a ainsi nié à la barre tout recours à la fraude électorale, et déploré la "trahison" de son mentor.

Car il convient de frapper haut et fort. Voilà pourquoi Yadwollah Javani, chef du bureau politique des Gardiens de la Révolution, la garde de fer du régime, appelle à "juger et punir" Khatami, ainsi que Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, rivaux malheureux d'Ahmadinejad et figures de proue d'une rébellion civique qui plie mais ne rompt pas. Le manuel du procureur aux ordres recommande ensuite, pour valider la théorie du complot, d'imputer le dévoiement des fils de la patrie à la funeste influence de l'"arrogance occidentale". En clair, de dénoncer leur complicité avec la Grande-Bretagne - épicentre de la conspiration planétaire - les Etats-Unis, la France et l'Allemagne.

Car la vaillante République islamique ne peut qu'être la cible d'une conspiration mondiale fomentée par les puissances coloniales, visant à imposer en terre persane une "révolution de velours". A ce stade intervient le mea culpa des agents de l'étranger, accusés de manipuler des Iraniens crédules et d'alimenter en renseignements les chancelleries diplomatiques, traditionnels "nids d'espions", ainsi que les sites Internet, vecteurs de la subversion.

D'où la décision de traduire devant le tribunal téhéranais la jeune chercheuse française Clotilde Reiss, la Franco-Iranienne Nazak Afshar, employée depuis dix-huit ans à l'ambassade de France, ou Hossein Rassam, analyste politique au sein de la représentation britannique. Loin de protéger ses détenteurs, le statut de binational aggrave la suspicion de déloyauté. Les "preuves" du crime de Clotilde, lectrice de français à l'université d'Ispahan? Un "rapport" fourni à son ambassade - en fait, une note d'une page adressée au directeur d'un institut de recherche - ainsi que les courriels et photos envoyés à ses amis. Nul doute qu'un détail de son parcours aura, en ces temps de bras de fer nucléaire, attisé la paranoïa de ses juges: le stage accompli en 2007 au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), où son père, Rémi, est ingénieur...

Au risque de pécher par optimisme, gageons que la jeune femme, éprise de culture persane, ne croupira pas longtemps dans sa cellule. Le régime a obtenu d'elle ce qu'il voulait: des aveux assortis d'excuses et d'une demande de grâce. Son maintien en détention lui conférerait un statut d'otage, voire de martyr. Le 1er mai, la journaliste américano-iranienne Roxana Saberi a ainsi été élargie moins de trois semaines après sa condamnation à huit ans de prison pour espionnage. Mais tout a un prix. Et l'on ignore la nature de la "rançon" attendue par Téhéran.


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