Avant même le lever du jour, ce jeudi 1er février 1979, à l'aéroport de Mehrabad à Téhéran, la foule était immense. A la mesure de l'espoir des millions d'Iraniens qui ont participé au succès de la révolution.
Ces scènes de délire, cet enthousiasme presque mystique pour Ruhollah Khomeyni, vieil ayatollah hiératique qui descendait de l'avion d'Air France, après quinze ans d'exil en Irak et quelques semaines à Neauphle-le-Château (Yvelines), mettaient un point final à la dynastie des Pahlavi, créée à la cosaque par Reza Chah en 1925.
Depuis Assouan (Egypte), où il s'était réfugié après avoir abandonné les rênes du pouvoir à Téhéran, qu'il avait tenues si longtemps d'une main de fer, un homme malade et brisé a peut-être regardé ces images : Mohammed Reza Pahlavi, fils de Reza Chah. Celui qui s'était fait proclamer "shahinchah Aryamer" ("roi des rois, lumière des Aryens") et que ses "tuteurs" américains, qui l'avaient définitivement assis sur le trône par un coup d'Etat de la CIA en 1953 contre son premier ministre nationaliste Mossadegh, avaient plus prosaïquement bombardé "gendarme du Golfe".
La journée était assurément historique. La République islamique, proclamée par Khomeyni, allait très vite subordonner les principes d'une république à ceux d'une théocratie, avec des aspirations de justice sociale et des contraintes de loi islamique (charia) scellées dans le sang. Trente ans après, le régime des mollahs est toujours là. A chaque soubresaut, le sursaut de ce nationalisme profond, si ancré chez les Iraniens, lui a permis d'aller de l'avant.
Il y avait d'abord eu ce que l'ayatollah Khomeyni appellera la "deuxième révolution" : la prise de l'ambassade américaine par un groupe d'étudiants. Cette crise des otages durera 444 jours, et contribuera à mettre l'Iran au ban des nations. Lorsqu'en septembre 1980 les troupes irakiennes envahiront la région pétrolifère du Khouzistan, les Américains et les Français, entre autres, se rangeront du côté de l'Irak. La guerre durera huit ans, fera un million de morts et assoira le pouvoir des gardiens de la révolution, cette armée idéologique qui, avec les milices des bassidji, ont été les héros du front, avant de devenir plus tard des lobbies qui "corsetteront" le pouvoir.
Pour l'Iran viendra le temps de la reconstruction, des règlements de comptes (massacre d'opposants en prison), et, bientôt, d'un changement de Guide suprême. A la mort de Khomeyni en 1989, l'homme fort du régime, Hachémi Rafsandjani, fait désigner à sa place Ali Khamenei, religieux de rang intermédiaire à l'origine, qui va tisser son propre réseau de pouvoir dans un Iran de plus en plus clientéliste.
Une quasi-théocratie
L'élection triomphale du réformateur Mohammad Khatami à la présidence de la République en 1997 sera-t-elle annonciatrice du printemps de Téhéran tant attendu ? L'ouverture est indéniable. La pression se relâche un peu sur les femmes, les intellectuels, les jeunes, qui sont la majorité désormais de la population. Les livres et les journaux fleurissent. Le président parle du dialogue des civilisations, fait entrevoir une détente. Mais la guérilla des fondamentalistes enraye tout progrès : une série d'assassinats politiques, à l'automne 1998, des révoltes étudiantes réprimées en 1999 font vite voir ce que sont les pouvoirs d'un président dans une quasi-théocratie.
L'arrivée du populiste Mahmoud Ahmadinejad à la présidence en 2005 marque un tournant : c'est la fuite en arrière, la radicalisation à outrance. Cet homme simple, issu des milices islamiques et croyant illuminé, qui veut "apporter l'argent du pétrole à la table de chaque Iranien pauvre", dilapide les fonds de réserve dans ses tournées incessantes en province, accentuant l'inflation (25 %) et le chômage. Ses diatribes contre Israël "qui doit disparaître de la carte" accroissent l'isolement du pays. Trois séries de sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU, en raison du programme nucléaire iranien contesté et soupçonné de comporter un volet militaire, feront le reste. L'Iran est à nouveau au ban des nations.
Le 12 juin 2009 les Iraniens se sont rendus aux urnes avec empressement. Pour mieux déchanter le lendemain. Tandis que le gouvernement affirmait la réélection de M. Ahmadinejad dans une ambiance de coup d'Etat, des centaines de milliers de manifestants défilaient dans les rues. Souvent derrière la bannière verte de l'ex-premier ministre Mir Hossein Moussavi. Ce candidat malheureux à l'élection, soutenu par les réformateurs, crie à la fraude et fait vite figure de chef de l'opposition. Durement réprimées (une quarantaine de morts), les manifestations cèdent la place à une répression féroce (2 000 arrestations).
M. Ahmadinejad et les fondamentalistes, appuyés sur les miliciens islamistes, tenteraient-ils une "troisième révolution" visant à instaurer un pur gouvernement islamique, comme pour célébrer les trente ans de l'arrivée au pouvoir de Khomeyni ? En cet été 2009, la question est posée.
Marie-Claude Decamps
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