lundi 10 août 2009

L'actuel régime iranien tombera-t-il comme celui du chah, en 1979 ?

Deux mois se sont écoulés depuis le scrutin présidentiel en Iran, et le gouvernement de la république islamique apparaît publiquement divisé, discrédité, contesté, affaibli. Nous pouvons donc aujourd'hui analyser la situation et dresser plusieurs parallèles entre le régime actuel et la monarchie de l'Iran d'avant 1979, et entre ces deux périodes de troubles politiques.

Dans le passé, l'Etat iranien a bénéficié de quatre sources de légitimité : sa capacité à gérer les affaires publiques (avec l'approbation du peuple), son autorité religieuse officielle, son engagement en faveur de l'indépendance de l'Iran et une base de soutien stable dans la société. Autant de piliers aujourd'hui irrémédiablement abattus.

La fraude électorale massive du 12 juin expose à un examen approfondi de l'opinion la capacité du président Mahmoud Ahmadinejad à gérer les affaires publiques, et le soulèvement spontané des Iraniens qu'elle a entraîné a incontestablement privé son gouvernement de légitimité politique. Peu de temps après, lors de son discours à la prière du vendredi, l'ayatollah Ali Khamenei, le Guide suprême, a déclaré la guerre au peuple, le menaçant d'une violente répression s'il n'acceptait pas pleinement les résultats de l'élection. Il a ainsi balayé les derniers vestiges de la légitimité religieuse du régime.

Cette légitimité déclinait depuis quelque temps déjà, non seulement parce qu'elle est en opposition avec l'islam entendu comme un discours de liberté, mais aussi au sein du régime lui-même et chez les traditionalistes. L'ayatollah Ali Sistani (l'autorité suprême des chiites en Irak) s'opposait au principe du velayat-e faqih (littéralement "gouvernement du docte", des religieux ; théocratie), et l'ayatollah Hossein Ali Montazeri (qui fut l'héritier présumé de Khomeyni avant de devenir son détracteur) a soutenu que cette doctrine était un acte de shirk, autrement dit d'association fallacieuse à Allah.

Même la traditionnelle charia (loi coranique), que le gouvernement a invoquée pour justifier nombre de ses actes, s'est vue vidée de son contenu et réduite à une théorie de la violence généralisée. L'ayatollah Mohammad Mesbah Yazdi, qu'on peut considérer comme le gourou d'Ahmadinejad, est l'auteur d'un ouvrage intitulé "La guerre et le djihad dans l'islam", dans lequel il soutient que la violence appartient à la nature intrinsèque de l'homme et lui est nécessaire. Il a poussé la logique jusqu'à affirmer que, le Guide suprême étant désigné par Allah, son recours à la violence était légitime.

Pourtant, loin de renforcer l'autorité religieuse du régime, la théorie de la violence légitime selon l'ayatollah Yazdi l'a littéralement sapée. Elle était par ailleurs en violation d'un autre des grands fondements de la légitimité du régime, la Constitution, qui affirme en effet sans ambiguïté possible que le Guide suprême, le président et le Parlement doivent tirer leur autorité du vote populaire, et non d'Allah.

Ce que le velayat-e faqih remettait en cause dès le départ. Par ailleurs, le régime avait déjà perdu deux des trois piliers de son pouvoir, piliers qui, dans l'histoire iranienne, avaient rendu le despotisme possible : la monarchie, la domination économique du souk dans les villes et des gros propriétaires terriens à la campagne, et le clergé. De ces trois piliers ne reste que le clergé, et son pouvoir est désormais précaire. Il avait donc cherché à se renforcer grâce à un quatrième instrument du despotisme à l'iranienne : l'exploitation de la menace représentée par des puissances étrangères pour justifier d'incessants accords secrets et crises ouvertes avec d'autres Etats, à commencer par les Etats-Unis.

La présidence de George W. Bush fut donc une époque bénie pour le régime iranien, car la menace constante d'actions militaires et de sanctions économiques renforçait son emprise sur la population.

Or la ligne de conduite de Barack Obama avec l'Iran, non conflictuelle, place le régime dans une position délicate. Ce dernier ne peut plus se poser en défenseur de l'indépendance souveraine contre les intrusions étrangères. Au contraire, même, de nouveaux slogans populaires tels que "Mort à la Russie " montrent que les Iraniens sont en désaccord avec la politique étrangère de leur gouvernement. Là aussi, le régime de Téhéran a perdu sa légitimité.

Enfin, le premier et principal soutien du régime, le clergé, a cédé la place à une mafia militaro-financière. Les "gardiens de la révolution" ont noyauté tout l'Etat et estiment que l'unique mission du clergé n'est pas de diriger le pays, mais simplement de prêter leur légitimité à ceux qui s'en chargent.

Comme la monarchie qui l'a précédé, le pouvoir du régime actuel repose sur des fondements à la fois internes et externes, ce qui le rend vulnérable aux troubles populaires. Nous pouvons faire un parallèle entre l'élection de Jimmy Carter en 1976 et celle d'Obama en 2008. Les Iraniens voyaient dans l'élection de Carter une menace pour la principale source extérieure de pouvoir de la monarchie, à savoir le soutien des Etats-Unis au régime du chah. De même, si Obama abandonne bien les politiques va-t-en-guerre à l'égard de l'Iran et prive le régime du facteur "crise", le soulèvement de ces dernières semaines pourrait bien connaître le même destin que celui de 1979.

Il y a d'autres ressemblances. Ainsi, le chant populaire Le velayat-e faqih est mort rappelle des slogans qui résonnaient avant la révolution de 1979, et dénonçaient l'illégitimité du régime du chah. Et, comme en 1979, le soulèvement actuel est non violent.

Mais le mouvement de ces dernières semaines diffère aussi sur plusieurs points importants des troubles politiques qui ont conduit à la révolution islamique. Alors que les premières manifestations de mécontentement venaient, en 1979, de l'extérieur du régime, l'opposition d'aujourd'hui est partie du régime lui-même, avec le truquage des élections au détriment de Mir Hossein Moussavi.

Certes, des indicateurs forts montrent que le soulèvement s'est étendu au-delà du régime et est devenu profondément populaire. Mais il lui faudra encore du temps pour gagner le pays tout entier, du temps pour qu'il soit possible que "les fleurs l'emportent contre les balles" comme ce fut le cas en 1979.

La révolution de 1979 appartient à l'histoire, alors que ce soulèvement est en cours. Sur quoi peut-il déboucher ? L'avenir dépend notamment de l'issue d'un casse-tête politique créé par Khamenei lui-même. Le truquage des élections et la tentative de "coup d'Etat de velours" de Khamenei ont radicalisé les deux camps.

Pour les uns comme pour les autres, changer de position serait un suicide politique. Khamenei et Ahmadinejad ne peuvent pas reconnaître qu'ils ont truqué les élections, car ce serait anéantir ce qui leur reste de légitimité légale et politique. L'ancien président Ali Akbar Rafsandjani est aujourd'hui la cible d'attaques violentes de la part des partisans de Khamenei, tandis que Moussavi et Mehdi Karoubi, un autre candidat à la présidentielle, savent que, s'ils accèdent aux demandes de Khamenei, non seulement ils perdront le soutien de l'opinion, mais ils se trouveront aussi à la merci de ce régime impitoyable.

Plusieurs issues sont possibles. Historiquement, la tactique favorite du régime pour garder son emprise a consisté à diviser les élites iraniennes en deux groupes rivaux pour en éliminer un. Aujourd'hui que cette stratégie a cours au coeur même du régime, elle est devenue fatale. Les cadres du régime contestent Ahmadinejad, et la crise économique qui s'aggrave prive les autorités de ressources, alimentant encore le mécontentement des Iraniens. Ce contexte ouvre une brèche dans laquelle le peuple peut s'engouffrer pour décider de l'issue de la bataille.

Si les Iraniens cessent de résister, la situation se durcira davantage ; s'ils continuent, leur soulèvement deviendra une révolution à part entière. Dans ce dernier cas, l'établissement de la démocratie deviendrait vraiment possible. Tout dépend aujourd'hui de la détermination des Iraniens à aller au bout de ce soulèvement.

Par Abolhassan Bani Sadr

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