Avec la comparution surprise de la jeune Française Clotilde Reiss et d’employés iraniens des ambassades française et britannique devant le tribunal révolutionnaire de Téhéran, samedi, la crise postélectorale en Iran a pris une tournure très internationale.
Clotilde Reiss, 24 ans, est apparue samedi matin en jean, tunique sombre et les cheveux recouverts d’un foulard aux motifs géométriques pour une «confession», qui a pris de court jusqu’à sa famille et l’ambassade de France à Téhéran, qui ne s’attendaient pas à un tel développement. La jeune lectrice de l’université d’Ispahan, arrêtée le 1er juillet, s’est livrée à des «aveux» dont tout laisse à penser qu’ils avaient été dictés lors de sa détention dans la prison d’Evin.
«J’ai écrit un rapport d’une page et l’ai remis au patron de l’Institut français de recherche en Iran (Ifri), qui dépend du service culturel de l’ambassade de France», a-t-elle répondu, en farsi, au juge qui lui demandait si elle avait écrit un rapport sur les manifestations contre la fraude ayant permis la réélection de Mahmoud Ahmadinejad, le 12 juin, dès le premier tour de la présidentielle.
Elle a aussi «avoué» avoir «participé» aux manifestations des 15 et 17 juin à Ispahan. «Je voulais voir ce qui se passait […] mes amis et ma famille étaient inquiets, je leur envoyais des mails pour leur dire que les rassemblements étaient calmes.» La presse et les diplomates étrangers étant interdits d’assister au procès, toutes ces déclarations ont été rapportées par l’agence officielle Irna.
La jeune femme a aussi reconnu avoir rédigé par le passé, dans le cadre d’un stage au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) où travaille son père, un rapport sur «les politiques en Iran en lien avec l’énergie nucléaire», précisant toutefois qu’elle avait utilisé «des articles et des informations qu’on trouve sur Internet». L’étudiante de l’Institut d’études politiques de Lille a terminé sa «confession» devant le tribunal en demandant «pardon» et en espérant «être graciée».
Procès de Moscou. Cette confession, digne des procès de Moscou de sinistre mémoire, a été suivie de celle de Nazak Afshar (lire page suivante), employée franco-iranienne de l’ambassade de France, qui a expliqué que son employeur avait donné consigne d’accueillir les manifestants dans les locaux diplomatiques en cas de besoin.
Puis Hossein Rassam, employé local de l’ambassade britannique, est venu expliquer que ses supérieurs avaient demandé à leurs employés iraniens de participer aux «émeutes». Rassam n’est pas n’importe qui : c’est un des meilleurs analystes politiques de la chancellerie britannique. Le procureur, Abdolreza Mohabati, a assuré que les accusés avaient «élaboré un plan, pour le compte de l’opposition et de pays étrangers, pour renverser le régime».
Cette parodie de procès a suscité un tollé dans les chancelleries concernées, ainsi qu’au niveau de l’Union européenne. Le père de Clotilde Reiss s’est insurgé contre ces accusations : «Ce n’est pas du tout un tempérament politique revendicatif. Bien sûr, elle est innocente, elle n’a rien à se reprocher.» Expliquant qu’elle lui avait dit être en bonne santé lors de son dernier entretien téléphonique, au début du mois, il a expliqué à l’agence Reuters avoir bon espoir «de voir une solution dans les semaines à venir». Au tribunal, la jeune fille a évoqué la «dureté» de sa vie en prison : tout en déclarant qu’il n’y avait pas eu de «mauvais comportement» à son égard, elle a mentionné la «pression psychologique».
D’autres signes témoignent du net durcissement du régime iranien, désireux de mettre fin à la contestation consécutive à la réélection d’Ahmadinejad. Téhéran a officiellement confirmé à Washington l’arrestation de trois jeunes auto-stoppeurs américains, capturés après avoir passé, apparemment par erreur, la frontière avec le Kurdistan irakien la semaine dernière.
Sur le plan intérieur, un haut responsable des pasdarans, la garde prétorienne du régime, a appelé à «juger et punir» Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, les deux candidats réformateurs à la présidentielle et fers de lance de la contestation. Yadwollah Javani, chef du bureau politique des pasdarans, a aussi nommément visé Mohammad Khatami, l’ex-président de la République, qui ne s’est pas privé de critiquer la répression.
Un autre haut gradé de l’armée, le général Massoud Jazayeri, a également demandé le jugement des «chefs du coup d’Etat», plaidant aussi pour «plus de contrôle sur les ambassades». L’arrestation de ces trois figures réformatrices ne manquerait pas de relancer les manifestations de rue et cette mesure ne fait pas encore l’unanimité dans les rangs conservateurs.
Binationaux. Mais l’avertissement est on ne peut plus clair. Il vise, bien entendu, les leaders réformateurs qui continuent d’alimenter la contestation par leurs déclarations et leurs sites internet. Il vise aussi les binationaux, nombreux en Iran, et désormais tous potentiellement suspects d’espionnage. Il s’adresse enfin aux Iraniens de base, tentés de descendre dans la rue, et ainsi prévenus que la protection ou les protestations des chancelleries occidentales ne leur seront d’aucun secours. En mobilisant contre les étrangers, accusés d’entretenir la sédition, le pouvoir entend aussi faire vibrer la corde nationaliste dans l’opinion.
Tout en menaçant, les leaders du camp conservateur cherchent aussi à faire taire les dissensions dans leurs propres rangs. La parodie de procès des prétendus «émeutiers» de juin a choqué, les allégations de torture aussi. La mort en détention du fils d’un conseiller de Mohsen Rezaï, candidat malheureux à la présidentielle et ancien chef des pasdarans, a indigné jusque chez les pro-Ahmadinejad. Hier, le pouvoir a tenté maladroitement de se dédouaner en faisant expliquer par le chef de la police que les décès au centre de détention de Kahrizak, fermé fin juillet, étaient dus à… un virus. Il a aussi annoncé l’arrestation du directeur du centre et de trois policiers, pour enquête.
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