mercredi 21 octobre 2009

La France et l’Iran

Une dépêche de l’AFP du 20 octobre, datée de Vienne, indique que Manouchehr Mottaki. le ministre des affaires étrangères iranien a déclaré que son pays « juge inutile la présence de la France à la réunion de Vienne sur la livraison de combustible nucléaire à Téhéran », à laquelle participent également les Etats-Unis et la Russie. La République islamique a proposé à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de solliciter (en son nom) des pays tiers pour la livraison de combustible destiné à son réacteur de recherche de Téhéran.« “L’Agence a contacté quelques pays, et les Etats-Unis et la Russie ont accepté de participer aux négociations pour fournir le combustible”, a déclaré à la presse le ministre iranien. “Les négociations vont être menées avec ces deux pays en présence de l’Agence. Nous n’avons pas besoin de beaucoup de combustible et nous n’avons pas besoin de la présence de beaucoup de pays. Il n’y a aucune raison pour la France d’être présente”, a-t-il poursuivi. »

Les discussions ont dû être suspendues quelques heures, mais elles ont finalement repris, avec la présence du représentant de la France.

Comment expliquer cette attitude iranienne ? Pourquoi la France qui, à un moment, pouvait jouer les intermédiaires avec les pays du Proche-Orient apparaît-elle, incapable de le faire, notamment sur le dossier du nucléaire iranien ?

Pour le comprendre, il suffit de lire la presse française, largement alimentée par l’Elysée et qui se contente souvent de refléter les positions de la présidence de la République et, en partie, celle du ministère des affaires étrangères. Le lundi 19 octobre, Le Figaro titre en Une, « Nucléaire iranien, le rendez-vous de la dernière chance ». En page 2, un long texte d’Isabelle Lasserre et Delphine Minoui, intitulé, « L’irrésistible marche iranienne vers la bombe » (le titre de l’édition électronique est différent).

Sur la réunion de Vienne, les deux journalistes écrivent : « À Paris, dans les couloirs des cabinets ministériels, on reconnaît pourtant que les jeux sont loin d’être faits. D’abord, parce que “la principale exigence des Six reste le gel du programme nucléaire, et que, sur ce point primordial, Téhéran n’a toujours pas répondu”, précise le même diplomate. Ensuite, parce que les Européens négocient sans relâche avec l’Iran depuis six ans et qu’aucune de leur offre n’a jamais été acceptée par Téhéran. Pourquoi le régime, qui s’est encore durci depuis, dérogerait-il cette fois à la règle ? D’autant plus que la dissimulation de ses installations nucléaires pendant 18 ans - avant la révélation, en 2003, de l’existence du site d’enrichissement de Natanz - a, depuis longtemps, altéré la confiance. »

Ce que les journalistes oublient de dire c’est qu’un accord partiel avait été trouvé en 2004, que l’Iran avait suspendu l’enrichissement d’uranium et accepté des inspections renforcées. L’échec des ces tentatives de règlement doit beaucoup à l’administration Bush (lire « Comptes à rebours en Iran » et le numéro de Manière de Voir, « Tempêtes sur l’Iran »).

Et on a assisté aussi, non seulement à un durcissement de la position iranienne depuis 2005, mais aussi à celle de la France, qui s’est alignée sur les positions néoconservatrices américaines durant les deux dernières années du mandat de Jacques Chirac (Lire « Improbable alliance entre Paris et Washington »). Une orientation accentuée par Nicolas Sarkozy et le groupe de penseurs qui décident de cette politique, notamment Thérèse Delpech que citent Isabelle Lasserre et Delphine Minoui dans leur article du Figaro et qui, comme le président Sarkozy, s’inquiète de la nouvelle politique de Barack Obama : « Ce qui manque à l’Amérique, ce ne sont pas les bonnes intentions, elle en a à revendre, c’est la capacité de résoudre les crises. Elles sont trop nombreuses au Moyen-Orient, en Extrême-Orient, en Asie centrale, pour se contenter de discours. »

On peut remarquer que seule la France (et sa presse) semble indiquer qu’il y a un délai pour les négociations, que celles-ci devraient être terminées avant la fin de l’année. Washington se garde de lancer un tel ultimatum.

Dans un article du Monde, « Grandes manoeuvres autour de l’atome iranien » (17 octobre), Natalie Nougayrède, qui reproduit régulièrement le point de vue officiel français, écrit : « La diplomatie française estime en outre que les discussions sur le scénario d’évacuation d’uranium ne doivent en rien effacer, ni faire passer au second plan, les demandes faites à l’Iran dans le cadre des résolutions successives du Conseil de sécurité de l’ONU. Il s’agit de l’obligation qu’a Téhéran de “rétablir la confiance” sur les intentions prétendument pacifiques de son programme nucléaire, en suspendant les activités d’enrichissement d’uranium et en faisant toute la lumière sur ses travaux scientifiques. Les responsables français ont le sentiment que l’administration Obama s’est aventurée sur un terrain glissant en élaborant un scénario qui valide potentiellement les activités iraniennes d’enrichissement d’uranium et ouvre la voie à de nouvelles manoeuvres dilatoires de Téhéran. Jusqu’où les réticences françaises s’exprimeront-elles ? Officiellement, Paris joue le jeu et se dit prêt à fournir l’Iran en combustible pour le réacteur de Téhéran si un accord solide est trouvé. Mais l’implication des Français dans le circuit technologique leur fournit un verrou, dont ils pourraient faire usage s’ils jugent que les bonnes conditions ne sont pas réunies. »

Manque de chances, l’Iran ne veut pas de la France...

Le radicalisme du président de la République suscite quelques remous, non seulement au sein de la direction Afrique du Nord-Moyen-Orient considérée comme un bastion des « arabistes », mais même chez Bernard Kouchner, peu suspect de sympathies pour le régime iranien.

Comme le rappelle Vincent Jauvert, dans « Feu sur Kouchner !, », Le Nouvel Observateur, 1er octobre : « Il n’y a guère de précédents dans l’histoire de la Ve République. Lundi matin, sur France-Inter, le ministre des Affaires étrangères a confirmé publiquement qu’il n’était pas d’accord avec le président sur le dossier diplomatique jugé essentiel par l’Elysée : l’Iran. Le différend est stratégique. Nicolas Sarkozy a adopté la vision des “faucons” américains et des dirigeants actuels d’Israël. Au cas où Téhéran refuserait de coopérer pleinement avec l’AIEA, il veut des sanctions qui fassent mal aux leaders iraniens mais aussi à leur peuple. Il souhaite donc que la communauté internationale impose un embargo sur le carburant à destination de l’Iran (qui produit beaucoup de pétrole mais en raffine trop peu pour sa consommation intérieure). »

On ne s’étonnera donc pas de voir les faucons américains utiliser l’attitude du président Sarkozy contre Obama. Ainsi, Charles Krauthammer, dans The Washington Post du 2 octobre, « Obama’s French Lesson ». Sarkozy, selon lui, « ne peut cacher son étonnement devant la naïveté d’Obama ».

En revanche, si on en croit Samy Cohen, dans une tribune du Monde (20 octobre 2009), « Le dilemme d’Israël face à l’Iran », un fort débat agite les responsables à Tel-Aviv :

« Depuis longtemps deux écoles s’affrontent. L’une croit en la volonté du régime iranien de détruire Israël. Le cocktail de fondamentalisme religieux, de possession de l’arme atomique et de politique d’hostilité affichée à l’encontre d’Israël rend, aux yeux de cette première école, la “menace iranienne” particulièrement préoccupante.

Mais cette vision est de plus en plus battue en brèche dans les milieux plus “rationnels” de l’expertise stratégique. S’ils sont sensibles au discours hostile et négationniste d’un Mahmoud Ahmadinejad, ils ne croient guère que l’Iran représente une “menace existentielle” pour Israël. Et ils n’hésitent pas à critiquer le discours officiel. Ils y voient une “construction” politique “contre-productive” qui inquiète les Israéliens au lieu de les rassurer. Le ministre de la défense, Ehud Barak, qui représente bien cette évolution de la pensée stratégique, a pris ses distances avec le ton alarmiste du premier ministre : “L’Iran ne constitue pas une menace pour l’existence d’Israël”, a-t-il affirmé à la mi-septembre.

De fait, la plupart des experts en Israël ne croient pas que l’Iran prendra le risque de se faire détruire par une attaque nucléaire israélienne de “seconde frappe”, sachant qu’Israël a les moyens de la déclencher, notamment grâce à ses sous-marins lanceurs de missiles de croisière. L’Iran est pour eux un pays qui “monte en puissance” et voit son influence s’accroître régulièrement au Proche-Orient. Il est peu probable que ses dirigeants veuillent enrayer cette dynamique. Les Iraniens, disent-ils, sont un peuple “intelligent” et “rationnel” qui a avancé ses pions de manière savamment calculée sur la scène internationale. Ce pays s’inquiète moins de l’arme nucléaire israélienne que de son voisinage à l’est, avec des puissances nucléaires telles que le Pakistan, l’Inde et la Chine. Ses dirigeants craignent davantage un Pakistan aux mains des talibans que l’“Etat sioniste” abhorré. »

Bientôt, Nicolas Sarkozy et Thérèse Delpech (auxquels on peut ajouter quelques nostalgiques de l’ère de George W. Bush), seront-ils les derniers adeptes d’une politique agressive à l’égard de l’Iran ?

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